Les cotillons célèbres. Emile Gaboriau

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Les cotillons célèbres - Emile Gaboriau


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«Plaisir, amour,» disait Charles VII.

      Mais les courtisans et les peuples ignoraient toutes ces tentatives inutiles, et hautement ils murmuraient. On accusait Agnès de l'indigne inaction du prince; on maudissait le jour où, à la suite d'Isabelle de Lorraine, elle était venue à la cour. On la comparait à Dalila, énervant entre ses bras un nouveau Samson; les plus malveillants allaient jusqu'à dire que sans nul doute elle avait été envoyée par les ennemis de la France pour ensorceler et séduire le roi.

      Le bruit de cette indignation arriva enfin aux oreilles d'Agnès; elle comprit que c'en était fait de sa réputation et de celle de son amant si cette situation se prolongeait; à tout prix elle résolut de le décider à se mettre à la tête de ses troupes afin d'en finir avec l'Anglais.

      Justement Charles VII avait manifesté l'intention de se retirer en Dauphiné pour y chercher quelque peu de solitude et de paix. Une semblable résolution exécutée ruinait à tout jamais la monarchie.

      —Eh quoi! lui dit Agnès Sorel indignée, vous ne serez même plus le roi de Bourges!

      —Las! ma dame aussi doute de mon courage, murmura tristement Charles VII.

      Puis comme Agnès ne répondait pas:

      —Qu'il soit donc fait, reprit-il, comme vous le désirez nous nous séparerons.

      Le lendemain de ce jour, pour faire souvenir le roi de sa promesse, tant de fois donnée, tant de fois oubliée, Agnès paya des groupes de gens du peuple qui, sous les fenêtres mêmes du château vinrent chanter quelques-uns des couplets ironiques que les Anglais avaient fait composer sur le roi de Bourges:

      Mes amis, que reste-t-il

       A ce dauphin si gentil?

       Orléans et Beaugency,

       Notre Dame de Cléry,

       Vendôme!

      Ces chants injurieux irritaient le roi; il parlait de faire pendre les chanteurs, mais il ne se décidait point à partir.

      Enfin, un matin, Agnès Sorel parut devant le roi, plus triste qu'à l'ordinaire; depuis longtemps en effet les soucis et le chagrin avaient chassé l'air d'enjouement qui rayonnait autrefois sur son beau visage.

      —Avez-vous donc, ma mie, quelque nouveau sujet de tristesse? demanda le roi tout inquiet.

      —Hélas! Sire! répondit «la dame de beauté,» peut-être suis-je à la veille de m'éloigner de vous pour toujours.

      —Eh! que dites-vous là?

      —La vérité, Sire; «elle est pénible et dure, elle vous fâchera peut-être à entendre.»

      —Et qu'importe, ma mie; je veux savoir la cause de votre chagrin.

      —Sachez donc, Sire, que j'ai fait, hier, tirer mon horoscope.

      —Bon! je devine, on vous aura dit quelques menteries.

      —On m'a dit, au contraire, des choses fort sérieuses, on m'a prédit l'honneur d'être aimée du plus grand roi du monde.

      Charles VII, rassuré, se prit à sourire:

      —Que voyez-vous là, ma mie, de si effrayant? Cette prédiction ne s'est-elle pas déjà accomplie, au moins en partie?

      Agnès Sorel secoua tristement la tête, quelques larmes brillèrent dans ses beaux yeux.

      —Que vous a-t-on donc dit encore, ma mie? demanda vivement le roi.

      —On ne m'a dit que cela, Sire; mais si l'oracle ne me trompe pas, je vous supplie de me permettre de me retirer à la cour du roi d'Angleterre afin de remplir ma destinée.

      —Et pourquoi, s'il vous plaît, à la cour du roi d'Angleterre? dit-il d'une voix étranglée par la colère.

      —C'est certainement lui, continua Agnès, que regarde la prédiction; puisque vous êtes à la veille de perdre votre royaume et que Henri va bientôt le réunir au sien, il est assurément un plus grand monarque que vous.

      «Ces paroles, dit Brantôme, piquèrent si fort le coeur du roi qu'il se mit à pleurer de rage,» et courut s'enfermer dans son appartement.

      Effrayée, non de la colère, mais de la douleur de son amant, Agnès Sorel essaya de le revoir; elle voulait le consoler sans doute ou pleurer avec lui. Charles VII s'obstina à ne recevoir personne. Mais le lendemain le château était plein de mouvement et de bruit, le roi faisait ses préparatifs de départ. Agnès venait enfin de réussir.

      Plus tard, se souvenant de cette anecdote charmante, François Ier écrivit les vers suivants au-dessus d'un portrait de la dame de beauté:

      Ici dessous, des belles gist l'élite,

       Car de louanges sa beauté plus mérite,

       La cause étant de France recouvrer,

       Que tout cela qu'en cloistre peut ouvrer

       Close nonain, ni en désert ermite.

      Peu de jours après la venue si opportune de l'astrologue, une foule immense de peuple se pressait tout le long de la rampe rapide qui, des bords de la Vienne, conduit au royal château de Chinon. Depuis le matin tous les habitants de la ville et des bourgs des environs étaient sur pied, impatients de voir défiler le cortège de Charles VII, qui se décidait enfin à aller chasser les Anglais. La cour du château était trop étroite pour les gens d'armes, les pages, les écuyers, les chevaux; la brise agitait les oriflammes, les armures étincelaient au soleil.

      Enfin, sur le perron, entouré de ses familiers, apparut Charles VII; la reine, quelques nobles dames et les demoiselles d'honneur, l'accompagnaient. Aux mille cris de joie qui l'accueillirent, le roi répondit par son cri de guerre «sus à l'Anglais.» Il prit alors congé de la reine, puis, s'approchant d'Agnès, «toute rougissante de honte:»

      —Belle amie, murmura-t-il, souvenez-vous que c'est à vos pieds que je viendrai déposer ma couronne reconquise.

      «Dès ce moment, dit un témoin oculaire, il parut à tous évident que, véritablement, la demoiselle de Fromenteau était la mie du roi.»

      Tandis qu'Agnès, interdite, courbait la tête sous les regards dirigés vers elle, Charles VII s'élança à cheval; d'un dernier geste il salua les dames et demoiselles réunies sur les marches du perron, et, prenant la tête du cortège, il disparut bientôt sous la voûte étroite de la porte du château de Chinon.

      Les premiers jours de solitude furent bien tristes pour la dame de beauté; elle aimait le roi, et la séparation, après tant de douces journées «passées en amoureux discours» lui semblait cruelle. Mais plus que son amant elle aimait «l'honneur et son pays.»

      Loin de Charles VII d'ailleurs, Agnès se trouvait seule avec sa faute, et l'amour chez elle n'étouffa jamais le remords. Pour cette femme dévouée, les satisfactions de la puissance et de l'amour-propre étaient bien peu de chose, une douce parole, un tendre regard du roi, étaient son unique ambition. Sous les grands respects des courtisans il lui semblait toujours voir percer un secret mépris, et ce nom de concubine royale que donnait le peuple à l'amie du roi lui faisait verser bien des larmes.

      La situation d'Agnès éloignée du roi n'était pas sans périls; elle avait des ennemis, et des ennemis puissants. Elle avait contrarié la politique de plus d'un et ne l'ignorait pas; mais ses dangers personnels étaient la moindre de ses préoccupations. Pour la défendre elle avait la reine dont elle resta toujours l'amie; elle avait aussi un serviteur fidèle, dévoué jusqu'à la mort, protecteur qu'en partant lui avait donné le roi, Étienne Chevalier.

      L'amitié qui toujours unit l'épouse et la favorite de Charles VII a donné lieu à bien des commentaires. Quelques chroniqueurs ont supposé que la reine ignorait l'intimité des relations d'Agnès et du roi, mais cette supposition est inadmissible. Marie d'Anjou savait parfaitement qu'Agnès régnait en souveraine sur le coeur du roi, et peut-être en secret en était-elle jalouse;


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