Les cotillons célèbres. Emile Gaboriau

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Les cotillons célèbres - Emile Gaboriau


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regard irrité du roi arrêta toutes les démonstrations.

      —Eh! que m'importe, dit-il avec colère, n'a-t-elle pas un enfant déjà!... Dieu merci! elle est blessée: puisqu'elle avait à l'être, tant mieux! je ne serai plus contrarié dans mes voyages par les représentations des matrones. J'irai, je viendrai à ma fantaisie, et on me laissera en repos.

      À ces paroles incroyables, le rouge monta au front des courtisans. Chacun baissait les yeux, on était muet, pétrifié. Saint-Simon assistait à cette scène; on eût, dit-il, entendu trotter une souris.

      Ainsi la honte serra la gorge de tous les hommes à genoux devant le caprice du maître, ils ne purent trouver une parole. Quelle leçon que ce silence! Le roi ne voulut pas la comprendre. Comme il avait traîné la duchesse de Bourgogne, il traîna la duchesse de Berry à Fontainebleau. Elle, aussi, accoucha d'un enfant mort et ne fut sauvée que par miracle. On porta l'embryon aux caveaux de Saint-Denis, et tout fut dit pour Louis XIV.

      Et cependant, lorsqu'il était ainsi sans pitié, un mal mystérieux et étrange frappait ceux de sa race. Le spectre sinistre de Locuste errait dans les corridors sombres du palais, marquant d'un signe funèbre la porte des enfants de Louis. Tout bas, en regardant autour de soi, on parlait de poison et de meurtre. Les lèvres ne touchaient qu'en tremblant à la coupe, l'épouvante s'asseyait aux banquets.

      Chaque matin, les courtisans comptaient avec inquiétude ceux qui survivaient de la famille royale, et chaque matin ils en trouvaient un de moins. Si bien qu'il n'en resta plus qu'un seul, un enfant au berceau, qui devait être Louis XV; encore on tremblait pour sa vie.

      Louis XIV était seul. Il avait vu s'éteindre cette riche lignée; l'un après l'autre étaient allés à Saint-Denis ses héritiers légitimes, tristes fruits d'un devoir maussade et de la raison d'État. Seuls, les bâtards prospéraient. Ils croissaient et multipliaient, se rangeaient autour du trône et semblaient vouloir le prendre d'assaut. Les fils de l'amour et de l'adultère avaient pris pour eux toute la force et toute la vie, il n'en était plus resté pour les enfants de la reine.

      Louis XIV assistait, ruine vivante, à cette grande désolation. «Les jours où il perdait quelqu'un des siens, il allait à la chasse.»

      Depuis longtemps la fortune l'avait abandonné. Les grands ministres étaient morts, morts aussi les grands généraux qui fixaient la victoire, morts tous ceux qui étaient les rayons du soleil, le génie de Louis XIV. Nul alors ne lui volait sa gloire.—Il est vrai qu'il n'y avait plus de gloire.

      De tous côtés, des nouvelles sinistres. Ce canon qu'on entend, annonce une défaite; c'est l'Europe qui prend sa revanche.

      L'infatuation du roi ne diminue pas encore. Il est seul debout au milieu des débris des splendeurs passées; mais lui, c'est encore assez. Il croit pouvoir faire face à tout, et il ne s'avoue son impuissance que le jour où, après avoir envoyé son argenterie à la Monnaie, il est réduit à demander la paix à genoux.

      Quel châtiment! s'endormir dans le nuage et s'éveiller dans l'abîme.

      Mais de quoi pouvait se plaindre Louis XIV! N'avait il pas, bien des années auparavant, assisté, tranquille et fier, à son apothéose?

      L'œuvre capitale de Louis XIV, son chef-d'œuvre, ce fut l'organisation de sa cour, de cette cour qui absorbait la France et qui s'absorbait elle-même dans le roi. Quelle admirable science de détail, quel art, quelle patience! Chaque jour le roi ajoute un rouage nouveau, une combinaison ingénieuse, et il arrive enfin à élever cette prodigieuse machine, si savante, si compliquée, et qu'il gouverne avec une si souveraine habileté.

      Continuateur du programme de Richelieu, qui sans pitié frappait la féodalité, Louis XIV prit un moyen bien autrement sûr que la force. Organisant un vaste système d'embauchage, il enrégimenta à son service toute la haute noblesse. Il y avait des grands seigneurs avant lui, après il n'y eut plus que des courtisans.

      La noblesse n'essaya pas de résister, la tentative avortée de la Fronde lui avait démontré son impuissance. Elle courba le front et passa volontiers sous les fourches caudines de la volonté royale. Plus d'existences féodales, la maison du roi absorbe toutes les grandes maisons, les princes eux-mêmes ne sont plus que les domestiques, dans l'ancienne acception du mot.

      Du roi seul viennent les grâces, les faveurs, les richesses. Voilà pourquoi il faut vivre près du roi. On ne se chauffe bien que près du soleil. Tout a été calculé pour servir la monarchie aux dépens de l'aristocratie; les grands seigneurs n'ont plus aucune part au pouvoir, et comme fiche de consolation on leur donne des titres honorifiques, des grades dans l'armée, des ordonnances de comptant, des cordons et des justaucorps à brevet.

      L'intérêt seul, cependant, ne guide pas la noblesse. Le roi, pour la retenir près de lui, a bien d'autres moyens. La cour est l'empyrée terrestre où se réunissent tous les plaisirs et tous les enchantements. Ne pas y vivre, c'est ne vivre pas. Est-on absent huit jours, on revient ridicule, et être ridicule est ce qu'on redoute avant tout.

      Être absent de la cour, c'est être oublié: on n'est plus là aux jours où les faveurs pleuvent. Veut-on des grâces, il faut savoir se mettre sous la gouttière; c'est le talent du courtisan, l'étude de tous ses instants. Pour avoir, il faut mériter, demander. Concourir à l'éclat du trône, être un rayon du soleil, voilà des titres.

      A-t-on une fois goûté de cette vie, on n'en peut tolérer une autre; au loin, en exil, à dix lieues de la cour, on se dessèche, on meurt. Nous ne pouvons, à notre époque, comprendre cette existence féerique, ces journées pleines d'enchantements: ces nuits enflammées, à peine, les mémoires du temps à la main, pouvons-nous nous en faire une idée.

      Chaque matin, quelque enchantement nouveau. Que sont auprès de ces réalités les inventions des romanciers! Les décorateurs de Louis XIV, les ordonnateurs de ses fêtes sont des hommes de génie. Spectacles, ballets, promenades se succèdent sans relâche, à chaque instant le décor change. Après la chasse, le bal, après le bal, le jeu; puis le théâtre qui se crée, avec Lully, avec Molière, avec Racine.

      Et pour animer, pour enfiévrer ce rêve, une élite incomparable de femmes resplendissantes de beauté, étourdissantes d'esprit et de verve; galantes, amoureuses, faciles; radieuses sous l'étincelant habit de l'époque.

      Au-dessus de tout cela plane le roi. Partout, il nous apparaît drapé dans sa majesté et dans son orgueil. En lui tout se résume; il est l'image, les autres sont le cadre.

      Devant le roi les têtes se découvrent, les fronts se baissent, les genoux se ploient. On n'admire plus, on adore. Acteur de génie en cela, Louis a pris son rôle au sérieux, il inocule aux autres la robuste foi qui le soutient. Ce que disent les flatteurs, ils le pensent; toutes les adulations sont consciencieuses; le courtisan, chose étrange, peut dire la vérité.

      «Nous sommes maintenant si cultivés, si raffinés, dit M. Michelet[3], que nous revenons difficilement à l'intelligence de cette robuste matérialité de l'incarnation monarchique. Ce n'est plus dans notre époque actuelle, c'est au Thibet et chez le grand Lama qu'il faut étudier cela.»

      Malheureusement, le revers de cette médaille si belle est terrible, terrible surtout pour la monarchie. La noblesse qui, aujourd'hui encore, admire Louis XIV, ne veut pas s'avouer qu'elle a été confisquée par lui. M. Pelletan a pour peindre la conduite de Louis XIV une image saisissante de vérité: «Le roi mit la noblesse à l'engrais, elle mangea et ensuite elle mourut.»

      Louis XIV, sans le savoir, fatalement, préparait et rendait possible la révolution; Louis XVI innocent devait payer la dette du coupable. En ruinant, en avilissant les grands seigneurs, en les mettant complétement sous la dépendance du roi, il assurait sa tranquillité présente et son égoïsme y trouvait son compte; mais il privait le trône de ses défenseurs naturels, ou tout au moins il leur ôtait les moyens de le secourir efficacement. Sans compter que pour subvenir à ce luxe, à ces magnificences, pour venir en aide à la noblesse obérée par lui et pour lui, il mit la France au pillage, l'accabla d'impôts, et enfin ne légua à son


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