Les cotillons célèbres. Emile Gaboriau
Читать онлайн книгу.les grandes espérances avec lui éteintes, je me souvins de ce grand deuil de la France le jour où sa mort révéla combien cher il était à tous.
Du vivant même de Louis XIV, Versailles avait eu sa décadence. Avec madame de Maintenon, la tristesse entra dans le palais enchanté, un crêpe sombre s'étendit sur ce séjour de la féerie, la fantasmagorie s'évanouit. La veuve de Scarron était reine. Les palais reflètent la physionomie des maîtres.
Le demi-dieu était redevenu un homme, moins qu'un homme, un vieillard hébété par la peur de l'enfer.
—M'aviez-vous donc cru immortel? demanda-t-il aux courtisans qui entouraient son lit d'agonie.
Ils auraient pu lui répondre: Oui, Sire, et vous-même avez essayé de le croire.
Lorsqu'on conduisit Louis XIV à Saint-Denis, le peuple imbécile crut se venger en insultant sa dépouille mortelle; il couvrit de pierres et de boue le cercueil de cet homme qu'aux jours d'enivrement et de prospérité il avait surnommé le grand roi.
II
PREMIÈRES AMOURS.
Élevé par une mère galante, sur les genoux des belles dames de la Fronde, sous les yeux d'un ministre qui pour l'éloigner des affaires favorisait tous ses penchants, Louis XIV, doué d'un tempérament de feu, fit pressentir dès son enfance qu'il marcherait glorieusement sur les traces de son aïeul Henri IV de galante mémoire.
Jeune, beau, élégant, Louis «avait tout ce qu'il faut pour réussir près des femmes,» et à tous ces dons de la nature il joignait «des grâces exquises» et une galanterie raffinée qu'il devait à madame de Choisy, son précepteur en belles manières.
La comtesse de Choisy, dont le mari était chancelier dans la maison de Monsieur, avait entrepris de faire du jeune roi ce qu'on appelait alors un honnête homme, c'est-à-dire un cavalier accompli. Cette femme d'esprit, «déjà sur le retour, possédait toutes les grâces de la politesse et du bon ton, toute la science du savoir-vivre, toutes les perfections d'une précieuse du beau temps de l'hôtel Rambouillet[6],» le jeune roi ne pouvait aller à meilleure école. L'élève fit honneur à son institutrice, et plus tard, il récompensa d'une pension de huit mille livres des leçons qui avaient fait de lui le gentilhomme le plus accompli de son royaume.
Les Mémoires du temps ont retenu les premiers bégaiements du cœur du jeune monarque, et nous savons les moindres détails de ses premières inclinations, badinages galants et enfantins, sans portée et sans conséquence. Tour à tour il sembla s'attacher à la duchesse de Châtillon, à Élisabeth de Ternau et enfin à Olympia Mancini, une des trop nombreuses nièces du cardinal Mazarin, et qui avait été la compagne de ses premiers jeux. Olympia, dangereuse Italienne, «âme et visage noirs,» fut mariée au duc de Soissons. On la retrouve à la tête de toutes les cabales organisées pour perdre Madame.
Une fille d'atours de la reine-mère, mademoiselle de La Mothe d'Argencourt, inspira à Louis XIV sa première passion sérieuse.
Cette jeune fille, que quelques mémoires nous peignent comme n'étant ni fort belle ni très-spirituelle, était en réalité d'une éclatante beauté. Elle avait de merveilleux cheveux blonds d'une richesse extrême, de grands yeux bleus pleins de feu, et, par une singularité piquante qui donnait quelque chose de saisissant à sa physionomie, des sourcils d'un noir d'ébène admirablement arqués. Avec cela une peau éblouissante de blancheur, des traits fins et réguliers, et «une taille à tenir dans une bague.»
Bientôt l'amour du jeune roi ne fut un secret pour personne. C'était son premier amour; ses regards, ses gestes, ses moindres actions le trahissaient, malgré toute sa naïve dissimulation, en dépit de toute la diplomatie si gauche et si charmante de son adolescence.
Il recherchait avec empressement tous les moyens de se rencontrer avec son amie, savait trouver des prétextes qu'il croyait habiles, et paraissait transporté de voir sa passion payée du plus tendre retour.
Mais Mazarin et la reine-mère, jaloux du pouvoir que leur laissait le jeune roi, veillaient avec sollicitude. Ils comprirent le danger. Une maîtresse pouvait prendre une terrible influence sur le royal adolescent; d'ailleurs ils entrevoyaient dans l'ombre toute la famille de mademoiselle d'Argencourt, impatiente de profiter de l'ascendant de la jeune favorite.
Anne d'Autriche résolut d'éloigner son fils. Louis était fort dévot; elle éveilla les susceptibilités de sa conscience, l'effraya de l'horrible péché qu'il allait commettre, et finit par le décider à fuir le danger. L'amant désolé de la belle d'Argencourt quitta donc Saint-Germain, et se réfugia à Vincennes près du cardinal Mazarin.
Cette éclipse du roi déconcerta si fort les belles espérances caressées par les parents de la jeune personne, «que madame d'Argencourt, qui croyait tout perdu, alla jusqu'à faire avertir la reine, que si elle le désirait elle consentirait aux relations de Louis et de sa fille, et cela sans condition.» Anne d'Autriche refusa cette offre obligeante.
Le jeune roi, arrivé à Vincennes, s'était mis en retraite sous la direction d'un confesseur choisi par le cardinal. Quinze jours durant, il pria, pleura, jeûna, se mortifia, se confessa, communia, et enfin se croyant complétement guéri, ou tout au moins en bonne voie de guérison, il revint à la cour. Il se défiait pourtant encore de son cœur, et, pour ne pas s'exposer à une rechute, il mit tous ses soins à éviter autant que possible sa charmante amie.
Cette affectation même à la fuir convainquit mademoiselle d'Argencourt qu'elle était toujours aimée, et, en fille bien instruite, elle fit naître cette occasion que redoutait le roi. L'occasion vint; la rechute fut complète.
En se trouvant près de celle qu'il aimait, Louis oublia toutes les remontrances maternelles, les pieuses exhortations de son directeur, les belles résolutions s'envolèrent: il se troubla, balbutia, rougit, et pour dissimuler sa rougeur, sans doute, cacha son front dans les belles mains de son amie.
Anne d'Autriche, à son tour, perdit tout espoir; elle avait lu dans les yeux de son fils une passion si grande, une résolution si énergique, que, renonçant à entraver cet amour, elle ne songea plus qu'à en tirer tout le parti possible et à s'arranger avec la grandeur future de cette favorite.
Malheureusement pour mademoiselle d'Argencourt, Mazarin n'avait pas dit son dernier mot. Beaucoup moins convaincu que la reine mère de l'efficacité d'une retraite, il avait cherché quelque autre moyen plus humain pour rompre ce grand amour, et il n'avait pas tardé à trouver.
Le cardinal, tandis que Louis était à Vincennes, avait mis en campagne trois ou quatre de ses plus habiles espions, et le résultat de cette enquête avait été de lui apprendre que mademoiselle d'Argencourt n'en était pas à faire ses premières armes. Un amant la vengeait de la timidité du royal néophyte, et, pour trouver la force de résister à la passion du roi, elle retrempait sa vertu entre les bras de Chamarante, le plus bel homme de la cour. Elle poussait même l'imprudence jusqu'à écrire les lettres les plus passionnées à ce favori de son cœur.
Fort de cette découverte, Mazarin manda le beau Chamarante, et lui fit comprendre qu'il donnerait un bon prix de cette correspondance amoureuse. Chamarante eut la lâcheté de trahir celle qui l'avait aimé, et, moyennant finance, la tendre prose de mademoiselle d'Argencourt passa aux mains du ministre.
Ces doux billets, le cardinal les avait précieusement conservés. Voyant que désormais le roi, emporté par la passion, n'écouterait aucune remontrance, il lui demanda un entretien.
Louis s'attendait à de longues exhortations, à une explication presque orageuse et, conseillé par sa charmante maîtresse, il s'était muni de tout