Les esclaves de Paris. Emile Gaboriau

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Les esclaves de Paris - Emile Gaboriau


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la cheminée, il analysait les combinaisons qui lui avaient été proposées avec l'application d'un général étudiant le plan de bataille que lui soumet le ministre dont il dépend.

      Cette analyse fut favorable à l'entreprise, car B. Mascarot, qui examinait le docteur de toutes les forces de son attention, vit, petit à petit, le sourire refleurir sur ses lèvres vermeilles.

      Enfin, après un long silence:

      —Il faut attaquer, prononça Hortebize. Ne nous dissimulons rien: tes projets ont des côtés extrêmement dangereux, et un échec peut nous mener loin. D'un autre côté, si nous attendons une affaire absolument sûre, nous risquons d'attendre longtemps. Ici, nous avons bien une vingtaine de chances contre nous, mais nous en avons quatre-vingts pour nous. Dans de telles conditions, et surtout, nécessité n'ayant pas de loi, comme on dit... en avant?...

      Il se redressa en prononçant ces paroles, et tendant la main à son honorable ami, il ajouta:

      —Je suis ton homme!...

      Cette décision parut ravir B. Mascarot. Il est tel moment où, si fort que l'on puisse être, on doute de soi, on hésite, et alors l'approbation d'un ami compétent est un puissant secours. C'est le poids qui entraîne le plateau de la balance trébuchante.

      Cependant avec le loyal placeur, de même qu'avec tous les gens à probité scrupuleuse, il n'y a jamais de surprise.

      —Tu as bien tout pesé, insista-t-il, tout examiné? Tu sais que de mes deux affaires, l'une, celle du marquis de Croisenois est prête, que toutes les combinaisons sont arrêtées...

      —Oui, oui!...

      —Tandis que pour l'autre, celle du duc de Champdoce, j'ai encore à rassembler d'indispensables éléments de succès. Qu'il y ait dans la vie du duc et de la duchesse un secret qui nous les livre, cela ne fait pas l'ombre d'un doute, mais quel est ce secret?... Est-ce celui que je soupçonne? je le parierais, mais il nous faut plus que des soupçons, plus que des probabilités, je veux une certitude absolue...

      —Peu importe, ce que j'ai dit est bien dit!...

      Le docteur espérait en être quitte, pour le moment du moins; il se trompait.

      —Tout étant ainsi convenu, reprit le placeur, je reviens à ma question de tout à l'heure, et j'attends une réponse sérieuse. Que penses-tu de ce garçon, qui, en somme, doit être l'instrument indispensable de notre fortune, de Paul Violaine, enfin?

      M. Hortebize se leva, fit deux ou trois tours dans le cabinet, et finalement vint se placer en face de son ami, le dos appuyé à la cheminée.

      C'est sa position favorite lorsque, dans un salon, après s'être bien fait prier, il conte une de ses anecdotes graveleuses qu'on ne fait passer qu'à force d'esprit, d'adresse et de sous-entendus, et qui sont une de ses spécialités.

      —Je pense, répondit-il, que ce garçon présente beaucoup des qualités requises et qu'il serait difficile de trouver mieux. D'ailleurs, il est enfant naturel et ne connaît pas son père, c'est une porte ouverte aux suppositions, il n'est pas de bâtard qui n'ait le droit de se croire fils d'un roi. En second lieu, il n'a ni famille, ni parents, ni protecteurs connus, ce qui nous assure que, quoi qu'il advienne, nous n'aurons de compte à rendre à personne. De plus, il est pauvre; s'il n'a pas grand bon sens, il a un certain brillant et il est vaniteux. Enfin, il est prodigieusement joli garçon, ce qui peut aplanir bien des difficultés. Seulement...

      —Ah!... il y a un seulement?...

      Le docteur qui sait que l'amitié ne vit que de ménagements et de concessions, dissimula un sourire discret.

      —Il n'y en a pas un, répondit-il, j'en vois trois pour le moins. Tout d'abord, cette jeune femme, cette Rose Pigoreau, dont la beauté a si fort émerveillé notre digne Tantaine, me paraît un sérieux danger pour l'avenir.

      M. Mascarot fit de la main un tout petit geste très significatif.

      —Sois tranquille, nous en débarasserons Paul de cette demoiselle.

      —Parfait! Mais ne t'y trompe pas, insista le docteur d'un ton sérieux qui ne lui était pas habituel, il s'en faut, le danger n'est pas celui que tu penses, celui que tu as songé à éviter. Tu es persuadé que ce garçon aime cette fille, et lui-même croit l'aimer. Pour la plus légère satisfaction d'amour-propre, il l'aura oubliée demain.

      —C'est possible.

      —Mais elle, qui s'imagine détester ce beau garçon, se trompe pareillement. Elle est tout simplement lasse de la misère. Donne-lui un mois de repos, de luxe, de fantaisies satisfaites, de bonne chère, et tu la verras rassasiée de ce qu'elle croit être le plaisir, revenir à son Paul. Oui, tu la verras le poursuivre, l'obséder, s'acharner comme s'acharnent les femmes de cette sorte qui ne redoutent rien, et venir le réclamer jusqu'aux pieds de Flavie.

      —Qu'elle ne s'en avise jamais! fit le doux placeur d'un ton menaçant.

      —Quoi! Que feras-tu? L'empêcheras-tu de parler? Elle connaît Paul, elle, depuis son enfance; elle a connu sa mère, elle a été élevée près de lui, dans la même rue peut-être. Crois-en ma vieille expérience, surveille de ce côté.

      —Il suffit, je prendrai mes mesures.

      Il suffisait, en effet, pour B. Mascarot, de connaître un danger pour le prévenir. Un bon averti, dit-on, en vaut deux; quand il est prévenu, lui, il en vaut quatre.

      —Mon second «seulement», poursuivit le prévoyant docteur, m'est inspiré par ce protecteur mystérieux dont ce jeune homme t'a parlé. Son père est mort, prétend-il, sa mère le lui a juré... soit, je consens à le croire. Mais alors, qu'est-ce que cet inconnu qui servait une rente à Mme Violaine? Un sacrifice immédiat, si gros qu'il soit, ne prouve rien. Un dévoûment si persévérant me taquine.

      —Tu as raison, docteur, raison mille fois. Là est le défaut de la cuirasse. Mais je veille, mon ami, mais je cherche.

      Le docteur commençait à se lasser, il était aisé de le voir.

      —Ma troisième objection, poursuivit-il, est peut-être la plus forte. Il va falloir utiliser ce garçon dès demain sans avoir eu le loisir de le disposer à son rôle, sans l'avoir préparé. S'il allait être honnête, par hasard!... Si à tes propositions les plus éblouissantes, il répondait par un non bien ferme et bien catégorique!...

      A son tour, M. Mascarot se leva.

      Mademoiselle, debout auprès d'un pilier, causant avec un jeune homme. Mademoiselle, debout auprès d'un pilier, causant avec un jeune homme.

      —Cette supposition, déclara-t-il du ton le plus dégagé, n'est pas admissible.

      —Pourquoi?

      —Parce que, docteur, lorsque Tantaine, après avoir trié ce garçon entre mille, nous l'a amené, il l'avait étudié. Tu ne l'as donc pas étudié, lorsque je le faisais poser pour toi? Il est plus faible et plus volage qu'une femme, vaniteux comme un faiseur de romans qu'il est, dévoré de convoitises et honteux d'être pauvre. Va, entre mes mains, il prendra telle forme que je voudrai, comme la cire sous les doigts du modeleur. Ce qu'il faudra qu'il soit, il le sera.

      M. Hortebize ne voulait pas discuter.

      —Es-tu sûr, dit-il simplement, que Mlle Flavie ne soit pour rien dans ton choix?

      —Sur cet article, répondit le placeur, tu me permettras de ne pas m'expliquer...

      Il s'interrompit prêtant l'oreille.

      —On a frappé, je crois, fit-il, écoute...

      Le bruit s'étant renouvelé, le docteur s'apprêtait à s'esquiver, M. Mascarot le retint.

      —Reste, dit-il, c'est Beaumarchef.

      Et au lieu


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