Les esclaves de Paris. Emile Gaboriau

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Les esclaves de Paris - Emile Gaboriau


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      —Allons, s'écria Rose en s'élançant vers l'escalier, voilà qui est dit.

      André s'apprêtait à la suivre, mais M. de Gandelu, mystérieusement, le retint par le revers de son pardessus.

      —Hein! lui dit-il d'un air ravi, quelle femme!... Et encore, vous ne voyez rien... Attendez que je l'aie formée, je ne vous dis que ça. D'abord moi, pour lancer une femme, je n'ai pas mon pareil. Demandez plutôt à Auguste de chez Riche.

      —Cela se voit, fit André le plus sérieusement du monde.

      —N'est-ce pas? Moi, d'abord, je suis comme ça, carré, et il faut marcher. Zora... hein! un rude nom, n'est-ce pas? c'est moi qui l'ai choisi. Donc, Zora n'est pas très épatante ce soir, mais laissez faire. Je lui ai tantôt commandé six robes, chez Van Klopen. Oh! mais des robes... Vous connaissez Van Klopen?

      —Pas du tout.

      —Eh bien!... elle est forte. Quand je dirai ça à Jules, il m'appellera blagueur, vous verrez. Van Klopen, mon bon, est un tailleur pour dames. C'est un Alsacien qui enfonce toutes les couturières. Il vous a un goût, une invention, un chic... Il n'y a que lui pour habiller une femme...

      Arrivée à son appartement, Zora-Rose s'impatientait.

      —Viendrez-vous, enfin! cria-t-elle.

      —Vite, fit Gandelu entraînant André, montons. Quand on la fâche, elle a des crises de nerfs terribles. Elle n'a pas voulu me l'avouer, mais on ne me monte pas le coup, à moi, je connais les femmes...

      Rose et Paul n'étaient pas faits pour s'entendre. Ils se ressemblaient trop.

      Si la nouvelle dame de Chantemille avait tant insisté pour avoir André à dîner, c'est qu'elle comptait l'éblouir de sa splendeur.

      Pour commencer, elle lui montra ses deux domestiques, la cuisinière et la femme de chambre, qui avaient, la dernière surtout, un air!... Puis il fallut qu'André visitât tout l'appartement, on ne lui fit grâce ni d'une pièce ni d'un meuble.

      Il dut s'extasier devant l'éternel et horripilant salon bouton d'or à agréments gros bleu. Il fut forcé de palper les étoffes et d'essayer le moelleux des fauteuils.

      Gandelu triomphant ouvrait la marche, armé d'un candélabre à huit branches, dont les bougies l'inondaient de leurs larmes. Il faisait remarquer le bon goût de chaque chose, et disait le prix de tout, d'un ton de commissaire-priseur.

      En outre, il entremêlait cette visite domiciliaire de réflexions philosophiques.

      —Cette pendule, disait-il, c'est cent louis, c'est pour rien. Est-ce drôle que vous connaissiez papa! N'est-ce pas qu'il a une bonne tête?... Cette jardinière, c'est trois cents francs!... c'est donné!... Mais méfiez-vous, il est rat. Ne voudrait-il pas me forcer à travailler? Je la trouve mauvaise. Moi travailler!... Il s'en ferait mourir... N'est-ce pas, que ce n'est pas cher, ce guéridon, vingt louis?... Moi, d'abord, quand il me la fait à la vertu, je me la brise. Un bonhomme qui n'en a pas seulement pour six mois, disent les médecins, il ferait mieux...

      Il s'interrompit. On entendait un grand bruit dans l'antichambre.

      —Ah! voilà mes invités, fit-il.

      Et posant son candélabre sur la table, il sortit précipitamment.

      André était émerveillé. Il avait bien ouï parler de ces jeunes messieurs qui font les délices des courses de Vincennes, mais il n'en avait approché aucun.

      Son air stupéfait devait flatter Rose.

      —Comme vous voyez, fit-elle, j'ai quitté Paul. D'abord, il m'ennuyait, puis il n'avait pas seulement de quoi m'acheter du pain.

      —Lui!... Plaisantez-vous? Aujourd'hui même il est venu chez moi et il m'a dit qu'il gagnait douze mille francs par an.

      —Dites douze mille mensonges. A moins que... Sait-on ce dont est capable un garçon qui accepte des billets de cinq cents francs de gens qu'il ne connaît pas...

      Elle se tut, mais en faisant signe qu'elle en avait encore long à dire.

      Le jeune Gandelu introduisait et présentait ses amis.

      —Mes enfants, disait il, tout est de chez Potel. Nous allons rire un peu, et après, vous savez... le petit bac de santé.

      Les invités valaient l'hôte, et André commençait à se féliciter d'être venu, quand un domestique, en cravate blanche ouvrit les portes du salon et cria:

      —Madame la vicomtesse est servie!!!

       Table des matières

      Quand on demande à B. Mascarot ce qu'il faut pour arriver, invariablement il répond:

      —De l'activité, encore de l'activité, toujours de l'activité!...

      Mais il a sur le commun des hommes à principes, une immense supériorité qui constitue sa force.

      Les maximes qu'il professe, il les met en pratique.

      C'est pourquoi, le lendemain de son expédition à l'hôtel de Mussidan, dès sept heures et demie du matin, il était à son bureau et travaillait.

      Bien que, par suite d'un brouillard assez épais, il fît à peine jour, les clients commençaient à emplir la première salle de l'agence de placement.

      Cette clientèle matineuse inquiète peu l'honorable placeur.

      Elle se compose surtout de servantes de crêmeries ou de cuisinières qui, nourrissant à forfait les employés des grands magasins, ont avantage à s'approvisionner aux Halles centrales.

      Ces pratiques, en général, ne savent rien de ce qui se passe dans les maisons où on les emploie, ou ce qui s'y fait n'offre aucun intérêt.

      B. Mascarot les abandonne donc absolument à Beaumarchef, et ne se dérange que s'il survient quelque maître d'hôtel, ou encore un cuisinier de grande maison ce qui arrive parfois.

      L'honorable placeur ne s'inquiétait donc pas plus du bruit de la salle voisine, qu'un grand personnage du tumulte des solliciteurs encombrant ses antichambres. Il mettait toute son attention à déchiffrer, à annoter et à classer dans un certain ordre ces petits carrés de papier qui avaient si fort intrigué Paul.

      Et telle était sa préoccupation que, pareil à un vase qui déborde, il laissait échapper le trop plein de son cerveau en un monologue bizarre.

      —Quelle entreprise! marmottait-il, mais aussi, quel résultat!... Je suis seul, cependant, tout seul, pour porter le faix de cette tâche énorme. Mon dernier mot, personne le sait. Seul, je tiens en mes mains puissantes le bout de tous les fils que depuis vingt ans, avec la patience de l'araignée lissant sa toile, j'attache à mes pantins. Que je fasse un mouvement, tout remue. Qui croirait cela, à me voir? Quand je passe rue Montorgueil, on dit: «C'est Mascarot, placeur pour les deux sexes et autres.» Et on rit, et je laisse rire. Il n'est de puissances solides que les puissances ignorées. Celles qu'on connaît, on les attaque et on les démolit. Personne ne me connaît, moi!

      Une fiche plus importante que les autres passait sous ses yeux.

      Rapidement, il traça en marge quelques lignes, et, après un silence, il reprit:

      —Je puis échouer, c'est incontestable. Il peut se trouver un hardi matin qui rompe une maille de mon filet, les timides s'évaderont par la déchirure, et alors... Cet imbécile de comte de Mussidan ne me demandait-il pas si je connais mon code! Oui, je l'ai étudié, mon code pénal, et je sais que, livre 3, titre II, se trouve un certain article 400, qui semble avoir été rédigé spécialement en vue de mes opérations. Travaux forcés à temps, s'il vous plaît... sans compter que si un magistrat madré me joint avec l'article 305, il s'agit des


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