Cet obscur objet du désir / Этот смутный объект желания. Книга для чтения на французском языке. Пьер Луис

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Cet obscur objet du désir / Этот смутный объект желания. Книга для чтения на французском языке - Пьер Луис


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que le Ciel a des indulgences inépuisables pour les amoureuses qui vont à la messe, et qu’au besoin il les favorise, garde leur lit, exalte leurs flancs, pourvu qu’elles n’oublient pas de lui conter leurs chers secrets. Si elles avaient raison, pourtant! que de chastetés pleureraient, durant la vie éternelle, une vie terrestre insignifiante.

      – Allons, reprit Concha, quittez-moi, Mateo. Vous voyez bien que ma chambre est vide. Ne soyez, à cause de moi, ni impatient, ni jaloux. Vous me trouverez là, mon amant, dimanche soir, tard dans la nuit; mais vous allez me promettre auparavant que jamais vous ne parlerez à ma mère, et qu’au matin vous me quitterez avant l’heure où elle s’éveille. Ce n’est pas que je craigne d’être vue: je suis maîtresse de moi, vous le savez; aussi je n’ai besoin de ses conseils, ni pour vous, ni contre vous. C’est un serment juré?

      – Comme il te plaira.

      – C’est bien. Soyez lié par ceci.

      Et renversant la tête elle fit glisser entre les barreaux tous ses cheveux comme un ruisseau de parfums. Je les pris dans mes mains, je les pressai sur ma bouche, je me baignai le visage dans leur onde noire et chaude…

      Puis ils s’échappèrent de mes doigts et elle ferma la fenêtre sombre.

      VIII. Où le lecteur commence à comprendre qui est le pantin de cette histoire

      Deux matins, deux jours et deux nuits interminables succédèrent. J’étais heureux, souffrant, inquiet. Je crois bien que sur les sentiments contradictoires qui m’agitaient en même temps, la joie, une joie trouble et presque douloureuse, dominait.

      Je puis dire que pendant ces quarante-huit heures, je me représentai cent fois «ce qui allait arriver», la scène, les paroles et jusqu’aux silences. Malgré moi, je jouais en pensée le rôle imminent qui m’attendait. Je me voyais, et elle dans mes bras. Et de quart d’heure en quart d’heure, la scène identique repassait, avec tous ses longs détails, dans mon imagination épuisée.

      L’heure vint. Je marchais dans la rue, n’osant m’arrêter sous ses fenêtres, de peur de la compromettre, et pourtant agacé en songeant qu’elle me regardait derrière les vitres et me laissait attendre dans une agitation étouffante.

      – Mateo!

      Elle m’appelait enfin.

      J’avais quinze ans, monsieur, à cet instant de ma vie. Derrière moi, vingt années d’amour s’évanouissaient comme un seul rêve. J’eus l’illusion absolue que pour la première fois j’allais coller mes lèvres aux lèvres d’une femme et sentir un jeune corps chaud plier et peser sur mon bras.

      M’élevant d’un pied sur une borne et de l’autre sur les barreaux recourbés, j’entrai chez elle comme un amoureux de théâtre, et je l’étreignis.

      Elle était debout le long de moi-même, elle s’abandonnait et se raidissait à la fois. Nos deux têtes jointes par la bouche se penchaient ensemble sur l’épaule en haletant des narines et en fermant les yeux. Jamais je ne compris aussi bien, dans le vertige, l’égarement, l’inconscience où je me trouvais, tout ce qu’on exprime de véritable en parlant de «l’ivresse du baiser». Je ne savais plus qui nous étions, ni rien de ce qui avait eu lieu, ni ce qu’il adviendrait de nous. Le présent était si intense que l’avenir et le passé disparaissaient en lui. Elle remuait ses lèvres avec les miennes, elle brûlait dans mes bras, et je sentais son petit ventre, à travers la jupe, me presser d’une caresse impudique et fervente.

      «Je me sens mal, murmura-t-elle. Je t’en supplie, attends… Je crois que je vais tomber… Viens dans le patio avec moi, je m’étendrai sur la natte fraîche… Attends… Je t’aime… mais je suis presque évanouie.»

      Je me dirigeai vers une porte.

      – Non, pas celle-là. C’est la chambre de maman. Viens par ici. Je te guiderai.

      Un carré de ciel noir étoilé, où s’effilaient des nuées bleuâtres, dominait le patio blanc. Tout un étage brillait, éclairé par la lune, et le reste de la cour reposait dans une ombre confidentielle.

      Concha s’étendit à l’orientale sur une natte. Je m’assis auprès d’elle et elle prit ma main.

      – Mon ami, me dit-elle, m’aimerez-vous?

      – Tu le demandes!

      – Combien de temps m’aimerez-vous?

      Je redoute ces questions que posent toutes les femmes, et auxquelles on ne peut répondre que par les pires banalités.

      – Et quand je serai moins jolie, m’aimerez-vous encore?… Et quand je serai vieille, tout à fait vieille, m’aimerez-vous encore? Dis-le-moi, mon cœur. Quand même ce ne serait pas vrai, j’ai besoin que tu me le dises et que tu me donnes des forces. Tu vois, je t’ai promis pour ce soir, mais je ne sais pas du tout si j’en aurai le courage… Je ne sais même pas si tu le mérites. Ah! Sainte Mère de Dieu! si je me trompais sur toi, il me semble que toute ma vie en serait perdue. Je ne suis pas de ces filles qui vont chez Juan et chez Miguel, et de là chez Antonio. Après toi je n’en aimerai plus d’autre et, si tu me quittes, je serai comme morte.

      Elle se mordit la lèvre avec une plainte oppressée, en fixant les yeux dans le vide, mais le mouvement de sa bouche s’acheva en sourire.

      – J’ai grandi, depuis six mois. Déjà je ne peux plus agrafer mes corsages de l’été dernier. Ouvre celui-ci, tu verras comme je suis belle.

      Si je le lui avais demandé, elle ne l’eût sans doute pas permis, car je commençais à douter que cette nuit d’entretien s’achevât jamais en nuit d’amour; mais je ne la touchais plus: elle se rapprocha.

      Hélas! les seins que je mis à nu en ouvrant ce corsage gonflé, étaient des fruits de Terre Promise. Qu’il en soit d’aussi beaux, c’est ce que je ne sais point. Eux-mêmes je ne les vis jamais comparables à leur forme de ce soir-là. Les seins sont des êtres vivants qui ont leur enfance et leur déclin. Je crois fermement que j’ai vu ceux-ci pendant leur éclair de perfection.

      Elle, cependant, avait tiré du milieu d’eux un scapulaire de drap neuf et elle le baisait pieusement, en surveillant mon émotion du coin de son œil à demi fermé.

      – Alors je vous plais?

      Je la repris dans mes bras.

      – Non, tout à l’heure.

      – Qu’y a-t-il encore?

      – Je ne suis pas disposée, voilà tout.

      Et elle referma son corsage.

      Vraiment je souffrais. Maintenant je la suppliais presque avec brusquerie en luttant contre ses mains qui redevenaient protectrices. Je l’aurais chérie et malmenée à la fois. Son obstination à me séduire et à me repousser, ce manège qui durait depuis un an déjà et redoublait à la suprême minute où j’en attendais le dénouement, arrivait à exaspérer ma tendresse la plus patiente.

      – Ma petite, lui dis-je, tu te joues de moi, mais prends garde que je ne me lasse.

      – C’est ainsi? Eh bien, je ne vous aimerai même pas aujourd’hui, don Mateo. À demain.

      – Je ne reviendrai plus.

      – Vous reviendrez demain.

      Furieux, je remis mon chapeau et sortis, déterminé à ne plus la revoir.

      Je tins ma résolution jusqu’à l’heure où je m’endormis, mais mon réveil fut lamentable.

      Et quelle journée, je m’en souviens!

      Malgré mon serment intérieur, je pris la route de Séville. J’étais attiré vers elle par une invincible puissance; je crus que ma volonté avait cessé d’être; je ne pouvais plus décider de la direction de mes pas.

      Pendant trois heures de fièvre et de lutte avec moi-même, j’errai dans la cale Amor de Dios, derrière la rue où demeurait Concha, toujours sur le point de parcourir


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