Cet obscur objet du désir / Этот смутный объект желания. Книга для чтения на французском языке. Пьер Луис

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Cet obscur objet du désir / Этот смутный объект желания. Книга для чтения на французском языке - Пьер Луис


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encore que je ne vous aime point?

      Monsieur, je me serais jeté à ses pieds.

      – Vite, montrez-moi votre chambre, ajouta-t-elle. Je ne veux pas que vous m’accusiez de nonchalance, aujourd’hui. Croyez-vous que je ne sois pas impatiente, moi aussi? Vous seriez bien surpris si vous saviez ce que je pense.

      Mais dès qu’elle fut entrée, elle se reprit:

      – Non, au fait, pas celle-ci. Il y a eu trop de femmes dans ce vilain lit. Ce n’est pas la chambre qu’il faut à une mozita. Prenons-en une autre, une chambre d’amis, qui ne soit à personne. Voulez-vous?

      C’était encore une heure d’attente. Il fallait ouvrir les fenêtres, mettre des draps, balayer…

      Enfin tout fut prêt, et nous montâmes.

      Dire que j’étais cette fois assuré de réussir, je ne l’oserais; mais enfin j’avais des espérances. Chez moi, seule, sans protection contre mon sentiment si connu d’elle, il me semblait improbable qu’elle se fût risquée avant d’avoir fait en pensée le sacrifice qu’elle prétendait m’offrir…

      Dès que nous fûmes seuls, elle défit sa mantille, qui était attachée avec quatorze épingles à ses cheveux et à son corsage, puis, très simplement, elle se déshabilla. J’avoue qu’au lieu de l’aider, je retardais plutôt ce long travail, et que vingt fois je l’interrompis pour poser mes lèvres sur ses bras nus, ses épaules rondes, ses seins fermes, sa nuque brune. Je regardais son corps apparaître de place en place, aux limites du linge, et je me persuadais que cette jeune peau rebelle allait enfin se livrer.

      – Eh bien, ai-je tenu ma promesse? dit-elle, en serrant sa chemise à la taille, comme pour mouler son corps souple. Fermez les jalousies, il fait une lumière odieuse dans cette chambre.

      J’obéis, et pendant ce temps elle se coucha silencieusement dans le lit profond. Je la voyais à travers la moustiquaire, blanche comme une apparition de théâtre derrière un rideau de gaze…

      Que vous dirai-je, monsieur? Vous avez deviné que cette fois encore je fus ridicule et joué. Je vous ai dit que cette fille était la pire des femmes et que ses inventions cruelles dépassaient toutes les bornes; mais jusqu’ici vous ne la connaissez pas encore. C’est maintenant seulement qu’en suivant mon récit vous allez, de scène en scène, savoir qui est Concha Perez.

      Ainsi, elle était venue chez moi, pour s’abandonner, disait-elle. Ses paroles d’amour et ses engagements, vous les avez entendus. Jusqu’au dernier moment, elle se tint en amoureuse vierge qui va connaître la joie, presque en jeune mariée qui se livre à un époux; jeune mariée sans ignorance, je le veux bien, mais pourtant émue et grave.

      Eh bien, en s’habillant chez elle, cette petite misérable s’était accoutrée d’un caleçon, taillé dans une sorte de toile si raide et si forte, qu’une corne de taureau ne l’aurait pas fendue, et qui se serrait à la ceinture ainsi qu’au milieu des cuisses par des lacets d’une résistance et d’une complication inattaquables. Et voilà ce que je découvris au milieu de mon ardeur la plus éperdue, tandis que la scélérate m’expliquait sans se troubler:

      – Je serai folle jusqu’où Dieu voudra, mais pas jusqu’où le voudront les hommes!

      Je doutai un instant si je l’étranglerais, puis—vraiment, je vous l’avoue, je n’en ai pas de honte—mon visage en larmes tomba dans mes mains.

      Ce que je pleurais, monsieur, c’était ma jeunesse à moi, dont cette enfant venait de me prouver l’irréparable effondrement. Entre vingt-deux et trente-cinq ans, il est des avanies que tous les hommes évitent. Je ne pouvais pas croire que Concha m’eût ainsi traité si j’avais eu dix ans de moins. Ce caleçon, cette barrière entre l’amour et moi, il me semblait que dorénavant je le verrais à toutes les femmes, ou que du moins elles voudraient l’avoir avant d’approcher de mon étreinte.

      – Pars, lui dis-je. J’ai compris.

      Mais elle s’alarma tout à coup, et m’enveloppant à son tour de ses deux petits bras vigoureux que je repoussais avec peine, elle me dit en cherchant ma bouche:

      – Mon cœur, tu ne saurais donc aimer tout ce que je te donne de moi-même? Tu as mes seins, tu as mes lèvres, mes jambes brûlantes, mes cheveux odorants, tout mon corps dans tes embrassements et ma langue dans mon baiser. Ce n’est donc pas assez, tout cela? Alors ce n’est pas moi que tu aimes, mais seulement ce que je te refuse? Toutes les femmes peuvent te le donner, pourquoi me le demandes-tu, à moi qui résiste? Est-ce parce que tu me sais vierge? Il y en a d’autres, même à Séville. Je te le jure, Mateo, j’en connais. ¡Alma mia! sangre mio! aime-moi comme je veux être aimée, peu à peu, et prends patience. Tu sais que je suis à toi, et que je me garde pour toi seul. Que veux-tu de plus, mon cœur?

      Il fut convenu que nous nous verrions chez elle ou chez moi, et que tout serait fait selon sa volonté. En échange d’une promesse de ma part, elle consentit à ne plus remettre son affreuse cuirasse de toile; mais ce fut tout ce que j’obtins d’elle; et encore la première nuit où elle ne la porta point, il me sembla que ma torture en était encore avivée.

      Voici donc le degré de servitude où cette enfant m’avait amené. (Je passe sur les perpétuelles demandes d’argent qui interrompaient sa conversation et auxquelles je cédais toujours;—même en laissant cela de côté, la nature de nos relations est d’un intérêt particulier.) Je tenais donc chaque nuit dans mes bras le corps nu d’une fille de quinze ans, sans doute élevée chez les Sœurs, mais d’une condition et d’une qualité d’âme qui excluaient toute idée de vertu corporelle—et cette fille, d’ailleurs aussi ardente et aussi passionnée qu’on pouvait le souhaiter, se comportait à mon égard comme si la nature elle-même l’avait empêchée à jamais d’assouvir ses convoitises.

      D’excuse valable à une pareille comédie, aucune n’était donnée, aucune n’existait. Vous en devinerez vous-même la raison par la suite. Et moi, je supportais qu’on me bernât ainsi.

      Car ne vous y trompez pas, jeune Français, lecteur de romans et acteur peut-être d’intrigues particulières avec les demi-virginités de villes d’eaux, nos Andalouses n’ont ni le goût, ni l’intuition de l’amour artificiel. Ce sont d’admirables amantes, mais qui ont des sens trop aigus pour supporter sans frénésie les trilles d’une chanterelle superflue. Entre Concha et moi, il ne se passait rien, mais rien, comprenez ce que veut dire rien. Et cela dura deux semaines entières.

      Le quinzième jour, comme elle avait reçu de moi la veille une somme de mille douros pour payer les dettes de sa mère, je trouvai la maison vide.

      IX. Où Concha Perez subit sa troisième métamorphose

      C’était trop. Désormais, je voyais clair dans cette petite âme de rouée. J’avais été mystifié comme un collégien et j’en restais confus encore plus qu’affligé.

      Rayant de ma vie passée la perfide enfant, je fis effort pour l’oublier du jour au lendemain, par un coup de volonté, une de ces intentions paradoxales dont les femmes escomptent toujours le fatal avortement.

      Je partis pour Madrid décidé à prendre pour maîtresse, au hasard, la première jeune femme qui attirerait mes yeux.

      C’est le stratagème classique, celui que tout le monde invente et qui ne réussit jamais.

      Je cherchai de salon en salon, puis de théâtre en théâtre, et je finis par rencontrer une danseuse italienne, grande fille aux jambes musclées qui aurait été une fort jolie bête dans les boxes d’un harem, mais qui ne suffisait sans doute point aux qualités qu’on attend d’une amie unique et intime.

      Elle fit de son mieux: elle était affectueuse et facile. Elle m’apprit des vices de Naples dont je n’avais nulle habitude et qui lui plaisaient plus qu’à moi. Je vis qu’elle s’ingéniait à me garder auprès d’elle, et que le souci de son existence matérielle n’était pas le seul motif de ce zèle tendre et ardent.

      Hélas! que n’ai-je


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