Europa en su teatro. AAVV

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Europa en su teatro - AAVV


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des publications et de la période étudiée par le «Centro Studi»: le très intéressant volume XVIII (1994): I Gesuiti e i primordi del Teatro Barocco in Europa. Riche de 20 communications, le volume est une synthèse de toute la modernité du théâtre, qui échappe à la communauté urbaine, et qui s’écarte des rituels religieux auxquels il n’est relié que par ses thèmes: on ne prie plus à travers un rite, on va voir un spectacle édifiant. Et le spectacle, moyen d’instruction, est aussi un moyen de plaisir, qui s’épanouit grâce au savoir, aux passions et à un usage concerté de l’imagination (Heinrich Pfeiffer). Et l’utilisation du spectacle, savoir et plaisir, est aussi sciemment un moyen de contrôle exercé sur le public (Adriano Prosperi, «La Chiesa tridentina e il Teatro: strategie du controllo del secondo ’500»). Plusieurs interventions soulignent le caractère pédagogique de ce théâtre, effectivement lié aux collèges, mais qui se met en situation proche de la prédication pour former le public, à la fois à la rhétorique, manière de dire claire et organisée, et à une juste pensée de l’ordre civique et religieux (Marc Fumaroli, Mario Fois). Se développe ainsi sur l’ensemble des Collèges européens un art total presque uniforme: certes on peut en observer les particularités locales (Michela Sacco Messineo sur la Sicile; Nigel Griffin sur le Portugal; Jean-Marie Valentin sur son expansion en Allemagne). Les réalisations du Collège Romain stimulent les activités des autres collèges, et se répandent de façon durable en Europe (Bruna Filippi). Même si les textes ne sont pas immuables —on remanie, on adapte le modèle original— une forme d’unanimité s’effectue autour de thèmes et de héros, avec une primauté à la tragédie. Le théâtre jésuite représente la mondialisation à l’aune de ce dont est conscient notre xviie siècle: toute l’Europe de façon durable, parfois jusqu’au xviiie siècle (Irena Kadulska, les permanences en Pologne), dans un savoir formel qui forme futurs auteurs et futurs spectateurs. Au Collège Romain s’élabore aussi une théorie du spectacle plus moderne que celle des commentateurs renaissants d’Aristote (Irene Mamczarz): La forme privilégiée désormais est celle de la tragédie, dont la régularité se construit et permet d’interroger comparativement les «cas» des malheurs (Jacques Truchet). Le théâtre est art sensuel où le texte ne suffirait pas, la musique plus que les mots atteint aux émotions qui suggèrent le divin (Emilio Sala et Federico Marincola, sur le cas de l’Apothéose de St Ignace et François Xavier). Là aussi s’élabore un répertoire de sujets dramatiques, fondé sur le théâtre des martyrs, où la violence des sacrifices sanglants est la preuve paradoxale du triomphe du Bien, dans la volontaire acceptation de la mort. L’Hermenegilde, tragédie du fils mis à mort à cause de la calomnie de sa marâtre, est un sujet «familial», il est renouvelé pour célébrer la fondation de la catholicité en Espagne (et ailleurs); ce scénario, réécrit d’abord dans plusieurs collèges, est une sorte de prototype de la leçon jésuite (Julio Alonso Asenjo). Autre version thématique forte: les vengeances de Dieu, qu’incarne l’héroïne Judith, dans un message plus adapté aux guerres de religion et à la propagande politique (Jean-Michel Gardair). Sujets bibliques et sujets antiques exaltent le choix volontaire et se complètent idéologiquement (Daniela Quarta). L’unité de commanditaires et la volonté assumée d’une emprise européenne où former la jeunesse, la capacité pédagogique de détailler la religion dans ses dimensions personnelles et théologiques, les moyens rhétoriques assumés par des personnalités identifiées et relayées sur l’ensemble de l’ordre: le premier projet fort d’utiliser le théâtre a tous les atouts du succès et fonde des modèles que même ses ennemis adopteront. Il peut ainsi offrir son soutien à des entreprises politiques modernes par le biais des exemples martyrologiques. Les vedettes de l’Ordre (comme le RP. Stefonio, l’auteur du Crispus plusieurs fois recopié en Europe) sont moins mises en valeur que ce réseau où vont puiser tous les grands dramaturges (Josep Lluís Sirera sur Lope de Vega; Gianfranco Damiano sur Emanuele Tesauro, ce Jésuite sorti de l’Ordre).

      En somme c’est le premier moment où il y a une stratégie, des auteurs, et une bonne utilisation de la culture pour la religion, en situation conflictuelle avec un théâtre laïcisé. Contrairement au Moyen-âge où les commanditaires sont une collectivité locale qui ne distingue pas entre culture et religion, le xviie siècle, surtout jésuite, est conscient de la scission entre culture et religion, dis-cute d’ailleurs âprement du fait que le théâtre soit acceptable pour la bonne doctrine religieuse, sauf entre des mains très jésuites, et face au triomphe des arts du spectacle princiers et urbains, se sait minoritaire.

      A partir de ce gros plan sur l’Ordre qui a renouvelé la formation de tout un public, les colloques ultérieurs vont renouveler l’étude des sujets. A partir aussi de ce point d’aboutissement esthétique et doctrinal, il n’y a plus de confusion possible entre théâtre et religion: ce serait un blasphème d’insinuer que les cérémonies ecclésiastiques sont du théâtre démonstratif, alors même que leur célébration est de plus en plus tournée vers un art total de musique, d’images, de sensations et de symboles; inversement sur les scènes laïques les sujets religieux vont aller se restreignant aux commémorations hagiographiques locales, puis s’amenuisent et même disparaissent de fait par une autocensure des auteurs et du public. Le théâtre s’abstient du religieux, qu’il laisse aux jésuites… à moins qu’il ne se consacre aux lieux communs sans risque d’un bon comportement.

      Dernier volume de la série, XXXIII (2009): L′eroe sensibile: evoluzione del teatro agiografico nel primo ′600 (9 communications), hors du théâtre jésuite, confirme une séparation des genres et de leurs publics. Le théâtre est cette fois encadré dans des salles. La différenciation des genres (leur enrichissement) vers un art total et luxueux, s’est effectuée; les communications mêmes peuvent varier leur point de vue: ouverture vers l’opéra, le jeu de l’acteur, la philosophie, en particulier le stoïcisme chrétien de Gryphius (Luigi Quattrocchi). Les publications de vies de saints sont à leur sommet (Sara Cabibbo). Les saints, sur scène, sont de plus en plus des héros et des passions corporelles et psychologiques subies et détaillées avec une précision gourmande de cruauté (Guendalina Serafinelli), de plus en plus des personnages. Le théâtre peut s’écarter des préoccupations religieuses pour une formation morale et une autonomie de plus en plus diversifiée de son esthétique, avec une recherche des effets émotionnels sur le spectateur (Christian Biet). Il y a des auteurs connus (Marzio Pieri) et des parentés entre héroïsme et sainteté (Giovanni Casoli). La religion et la culture se séparent, tout en restant en bonnes fréquentations à cause de leurs bases communes dans le christianisme général. La capacité à ressentir avec excès, physiquement et moralement, est une spécification d’une tendance globale des personnages tragiques, telles que le montre aussi XXX (2006): Libidine dei potenti e angoscia dei vinti. Drammaturgia della crisi alla fine del Rinascimento, où d’ailleurs des martyrs illustrent la découverte des pays exotiques et se heurtent aux formes étrangères du pouvoir (Christian Biet). La conscience d’être dans un spectacle, avec ses règles et son langage, offre, entre scène et salle, un dialogue.

      Mais un autre terrain s’est offert au théâtre religieux: l’histoire immédiate, ainsi qu’une autre fonction, ouvertement polémique. Ce qu’explore le colloque XXIX (2005): Guerre di religione sulle scene del Cinque-Seicento (18 communications). A proprement parler, il ne s’agit plus d’un théâtre religieux soucieux de spiritualité, mais d’un théâtre de propagande qui mobilise la croyance pour des messages très politiques et militaires. Outre la propagande, la question des mises en scène s’enrichit de «réalisme» guerrier qui pousse à sa limite la capacité du décor et des acteurs professionnels à faire croire à des mouvement de collectivités, sièges et batailles: ce réalisme, ou cet effet d’historicité, est une sorte de défi nouveau, après les efforts culturels pour traduire la transcendance religieuse. Ceci poussant la mise en scène à ses extrêmes, et la rhétorique démonstrative au premier plan dans le combat d’idées (Corinne Lucas Fiorato). Après l’intolérance héritée du monde antique (Manlio Simonetti), épanouie dans les croisades (Grado Giovanni Merlo), sublimée par l’épopée (Giulio Ferroni), la guerre de religion se met en scène autour des guerres d’orient (Lépante), où le mélange des impérialismes en expansion, avec ou sans motivations religieuses, cherche à contrôler la Méditerranée (Renzo Cremante, Giorgio


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