Voyage musical en Allemagne et en Italie, II. Hector Berlioz
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»Des ponts et de nos quais déserts;
»Que les cloches hurlaient, que la grêle des balles
»Sifflait et pleuvait par les airs;
»Que dans Paris entier, comme la mer qui monte,
»Le peuple soulevé grondait;
»Et qu'au lugubre accent des vieux canons de fonte
»La Marseillaise répondait3.»
L'aspect du palais de l'Institut, habité par de nombreuses familles, était alors curieux; les biscayens traversaient nos portes barricadées, les boulets ébranlaient la façade, les femmes poussaient des cris, et dans les moments de silence, entre les décharges, les hirondelles reprenaient en chœur leur chant joyeux cent fois interrompu. Et j'écrivais, j'écrivais précipitamment les dernières pages de mon orchestre, au bruit sec et mat des balles perdues qui, décrivant une parabole au-dessus des toits, venaient s'applatir près de mes fenêtres, contre la muraille de ma chambre. Enfin, le 29, je fus libre, et je pus sortir et polissonner dans Paris, le pistolet au poing, avec la sainte canaille4, jusqu'au lendemain.
III
DISTRIBUTION DES PRIX DE L'INSTITUT
Deux mois après eurent lieu, comme à l'ordinaire, la distribution des prix et l'exécution à grand orchestre de la cantate couronnée. Cette cérémonie se passe encore de la même façon. Tous les ans, les mêmes musiciens exécutent des partitions qui sont à peu près aussi toujours les mêmes, et les prix donnés avec le même discernement sont distribués avec la même solennité. Tous les ans, le même jour, à la même heure, debout sur la même marche du même escalier de l'Institut, le même académicien répète la même phrase au lauréat qui vient d'être couronné. Le jour est le premier samedi d'octobre; l'heure, la quatrième de l'après-midi; la marche d'escalier, la troisième; l'académicien, tout le monde s'en doute; la phrase, la voici:
«Allons, jeune homme, macte animo; vous allez faire un beau voyage… la terre classique des beaux-arts… la patrie des Pergolèse, des Piccini… un ciel inspirateur… Vous nous reviendrez avec quelque magnifique partition. Vous êtes en beau chemin.»
Pour cette glorieuse journée, les académiciens endossent leur bel habit brodé de vert; ils rayonnent, ils éblouissent. Ils vont couronner en pompe, un peintre, un sculpteur, un architecte, un graveur et un musicien. Grande est la joie au gynécée des muses.
Que viens-je d'écrire là?.. cela ressemble à un vers! C'est que j'étais déjà loin de l'Académie, et que je songeais (je ne sais trop à quel propos, en vérité), à cette strophe de Victor Hugo:
«Aigle qu'ils devaient suivre, aigle de notre armée,
»Dont la plume sanglante en cent lieux est semée,
»Dont le tonnerre, un soir, s'éteignit dans les flots;
»Toi qui les as couvés dans l'aire maternelle,
»Regarde et sois contente, et crie, et bats de l'aîle,
«Mère, tes aiglons sont éclos.»
Revenons à nos lauréats, dont quelques-un ressemblent bien un peu à des hiboux, à ces petits monstres rechignés dont parle La Fontaine, plutôt qu'à des aigles, mais qui se partagent tous également néanmoins les affections de l'Académie.
C'est donc le premier samedi d'octobre que leur mère radieuse bat de l'aile, et que la cantate couronnée est enfin exécutée sérieusement. On rassemble alors un orchestre tout entier; il n'y manque rien. Les instruments à cordes y sont; on y voit les deux flûtes, les deux hautbois, les deux clarinettes (je dois cependant à la vérité de dire que cette précieuse partie de l'orchestre est complète depuis peu seulement. Quand l'aurore du grand prix se leva pour moi, il n'y avait qu'une clarinette et demie; le vieillard chargé depuis un temps immémorial de la partie de première clarinette, n'ayant plus qu'une dent, ne pouvait faire sortir de son instrument asthmatique que la moitié des notes, tout au plus). On y trouve les quatre cors, les trois trombones, et jusqu'à des cornets à pistons, instruments modernes! Voilà qui est fort. Eh bien! rien n'est plus vrai. L'Académie, ce jour-là, ne se connaît plus, elle fait des folies, de véritables extravagances: elle est contente, et crie et bat de l'aile, ses hiboux (ses aiglons voulais-je dire) sont éclos. Chacun est à son poste. Habeneck, armé de l'archet conducteur, donne le signal.
Le soleil se lève; solo de violoncelle… léger crescendo.
Les petits oiseaux se réveillent; solo de flûte, trilles de violons.
Les petits ruisseaux murmurent, solo d'altos.
Les petits agneaux bêlent, solo de hautbois.
Et le crescendo continuant, il se trouve que quand les petits oiseaux, les petits ruisseaux et les petits agneaux ont été entendus successivement, le soleil est au zénith, et qu'il est midi tout au moins. Le récitatif commence:
«Déjà le jour naissant, etc.»
Suivent, le premier air, le deuxième récitatif, le deuxième air, le troisième récitatif et le troisième air où le personnage expire ordinairement, mais où le chanteur et les auditeurs respirent. M. le Secrétaire-Perpétuel prononce à haute et intelligible voix les noms et prénoms de l'auteur, tenant d'une main la couronne de laurier artificiel, qui doit ceindre les tempes du triomphateur, et de l'autre une médaille d'or véritable qui lui servira à payer son terme avant le départ pour Rome. Elle vaut 160 francs: j'en suis certain. Le lauréat se lève:
Son front nouveau tondu, symbole de candeur
Rougit, en approchant, d'une honnête pudeur.
Il embrasse M. le Secrétaire-Perpétuel. On applaudit un peu. A quelques pas de la tribune de M. le Secrétaire-Perpétuel, se trouve le maître illustre de l'élève couronné; l'élève embrasse son illustre maître: c'est juste. On applaudit encore un peu. Sur une banquette du fond, derrière les Académiciens, les parents du lauréat versent silencieusement des larmes de joie; celui-ci, enjambant les bancs de l'amphithéâtre, écrasant le pied de l'un, marchant sur l'habit de l'autre, se précipite dans les bras de son père et de sa mère, qui, cette fois, sanglotent tout haut: rien de plus naturel: mais on n'applaudit plus, le public commence à rire. A droite du lieu de la scène larmoyante, une jeune personne fait des signes au héros de la fête: celui-ci ne se fait pas prier, et déchirant au passage la robe de gaze d'une dame, déformant le chapeau d'un dandy, il finit par arriver jusqu'à sa cousine. Il embrasse sa cousine. Il embrasse quelquefois même le voisin de sa cousine. On rit beaucoup. Une autre femme placée dans un coin obscur et d'un difficile accès, donne quelques marques de sympathie que l'heureux vainqueur se garde bien de ne pas apercevoir. Il vole embrasser aussi sa maîtresse, sa future, sa fiancée, celle qui doit partager sa gloire; mais dans sa précipitation et son indifférence pour les autres femmes, il en renverse une d'un coup de pied, s'accroche lui-même à une banquette, tombe lourdement, et sans aller plus loin, renonçant à donner la moindre accolade à la pauvre jeune fille, regagne sa place suant et confus. Cette fois on applaudit à outrance, on rit aux éclats; c'est un bonheur, un délire: c'est le beau moment de la séance académique, et je sais bon nombre d'amis de la joie qui n'y vont que pour celui-là. Je ne parle pas ainsi par rancune contre les rieurs, car je n'eus pour ma part, quand mon tour arriva, ni père, ni mère, ni cousine, ni maître, ni maîtresse à embrasser. Mon maître était malade, mes parents absents et mécontents; pour ma maîtresse… Je n'embrassai donc que M. le Secrétaire-Perpétuel et je doute qu'en l'approchant on ait pu remarquer la rougeur de mon front, car, au lieu d'être nouveau tondu, il était enfoui sous une forêt de longs cheveux roux, qui, avec d'autres traits caractéristiques, ne devait pas peu contribuer à me faire ranger dans la classe des hiboux.
J'étais d'ailleurs, ce jour-là, d'humeur très-peu embrassante; je crois même n'avoir pas éprouvé de plus horrible colère dans toute ma vie. Voici pourquoi: la
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1er Iambe d'Auguste Barbier.
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Expression du même poète.