Paris. Emile Zola

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Paris - Emile Zola


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officiel, l'intelligence la plus hardie, la plus libre, uniquement passionnée de vérité, comme il le disait.

      Il n'avait pas les outils nécessaires, il se contenta de panser la plaie avec soin, après s'être assuré qu'aucune parcelle des projectiles n'était restée dans les chairs. Enfin, il partit, en promettant d'être là, le lendemain, de bonne heure. Et, comme le prêtre l'accompagnait jusqu'à la porte de la rue, il le rassura: si l'os n'avait pas été atteint trop profondément, tout irait bien.

      Pierre, de retour près du lit, y trouva son frère assis encore sur son séant, puisant une énergie dernière dans son désir d'écrire aux siens, pour les rassurer. Il dut reprendre la lampe et l'éclairer de nouveau, après lui avoir donné du papier et un crayon. Heureusement, Guillaume avait le libre usage de sa main droite. Il put, en quelques lignes, annoncer qu'il ne rentrerait pas à madame Leroi, sa belle-mère, qui était restée chez lui, après la mort de sa femme, et qui avait élevé ses trois grands fils. En outre, Pierre savait qu'il y avait, dans la maison, une jeune fille de vingt-cinq à vingt-six ans, la fille d'un ancien ami de Guillaume, recueillie par celui-ci à la mort du père, et qu'il devait épouser prochainement, malgré la grande différence d'âges. Mais c'étaient là, pour le prêtre, des choses vagues et troublantes, tout un côté de désordre condamnable, qu'il avait toujours feint d'ignorer.

      – Alors, tu veux qu'on porte tout de suite cette lettre à Montmartre?

      – Oui, tout de suite. Il n'est guère plus de sept heures, elle sera là-bas vers huit heures… Et un homme sûr, n'est-ce pas?

      – Le mieux est que Sophie prenne un fiacre. Avec elle, on peut être sans crainte, elle ne bavardera pas… Attends, je vais arranger cela.

      Sophie, appelée, comprit, promit de dire là-bas, si on la questionnait, que monsieur Guillaume était venu passer la nuit chez son frère, pour des raisons qu'elle ignorait. Et, sans faire aucune réflexion elle-même, elle s'en alla, après avoir dit simplement:

      – Le dîner de monsieur l'abbé est servi, il n'aura qu'à prendre le bouillon et le ragoût sur le fourneau.

      Mais, cette fois, quand Pierre revint s'asseoir près du lit, Guillaume y était retombé sur le dos, la tête soutenue par deux oreillers, très las, très pâle, envahi par la fièvre. La lampe brûlait doucement au coin d'un meuble, la paix était si profonde, qu'on entendait battre la grosse horloge, dans la salle à manger voisine. Un instant, ce grand silence régna autour des deux frères, enfin réunis et seuls, après tant d'années de séparation. Puis, le blessé avança au bord du drap sa bonne main, que le prêtre saisit, serra tendrement dans la sienne. Et cette étreinte se prolongea, et les deux mains fraternelles restèrent l'une dans l'autre.

      – Mon pauvre petit Pierre, murmura très bas Guillaume, pardonne-moi de tomber ici de la sorte. J'envahis la maison, je prends ton lit, je t'empêche de dîner…

      – Ne parle pas, ne te fatigue pas davantage, interrompit Pierre. Où veux-tu donc aller, si ce n'est ici, quand tu es dans la peine?

      La main fiévreuse du blessé eut une pression plus chaude, tandis que ses yeux se mouillaient.

      – Merci, mon petit Pierre. Je te retrouve, tu es doux et tendre comme autrefois… Ah! tu ne peux savoir combien cela m'est délicieux en ce moment!

      A leur tour, les yeux du prêtre s'obscurcirent. Les deux frères, au milieu de ce grand calme, de ce grand bien-être succédant à des émotions si violentes, éprouvaient un charme infini à se retrouver de la sorte, dans la maison de leur enfance. C'était là que leur père et leur mère étaient morts, le père tragiquement, foudroyé par une explosion de laboratoire, la mère, très pieuse, en véritable sainte. C'était là, dans ce même lit, que Guillaume avait soigné Pierre, lorsque, leur mère morte, lui-même avait failli mourir; et c'était là que, maintenant, Pierre soignait Guillaume. Tout les brisait, les bouleversait d'attendrissement, les circonstances imprévues de leur rencontre, l'affreuse catastrophe dont ils restaient ébranlés, le côté mystérieux des choses qui demeurait inexpliqué entre eux. Et, dans leur rapprochement tragique, après un temps si long de vie séparée, leurs souvenirs communs s'éveillaient, la vieille maison leur parlait de leur enfance, des parents disparus, des jours lointains où ils y avaient aimé et souffert. Le jardin était là, sous la fenêtre, le jardin, glacé à cette heure, qui jadis, ensoleillé, retentissait de leurs jeux. A gauche, se trouvait le laboratoire, la grande pièce, où leur père leur avait appris à lire. A droite, dans la salle à manger, ils revoyaient leur mère leur couper des tartines, si douce, avec ses grands yeux désespérés de croyante. Et la sensation qu'ils y étaient seuls à cette heure, et cette pâle clarté dormante de la lampe, et cette profonde solitude muette du jardin, de la maison, de tout le passé, les emplissaient d'une extraordinaire douceur, mêlée à une amertume immense.

      Ils auraient voulu causer, s'épancher. Mais que se dire? Malgré leurs mains qui restaient nouées étroitement, le plus infranchissable des abîmes ne les séparait-il pas? Du moins, ils le croyaient. Guillaume avait la conviction que Pierre était un saint, un prêtre de la foi la plus solide, sans un doute, qui n'avait rien de commun avec lui, ni dans les idées, ni dans la pratique de l'existence. Un coup de hache les avait désunis, ils habitaient deux mondes différents. Et, de même, Pierre s'imaginait Guillaume comme un déclassé, de conduite louche, n'ayant pas même épousé la femme dont il avait eu trois enfants, sur le point de se remarier avec cette fille trop jeune, tombée on ne savait d'où. En outre, il y avait les idées exaltées du savant et du révolutionnaire, la négation de tout, les pires violences acceptées, provoquées peut-être, le monstre vague de l'anarchie entrevu au fond. Alors, sur quel terrain l'entente aurait-elle pu se faire, du moment que chacun des deux frères gardait son préjugé contre l'autre, le voyait au bord opposé du gouffre, sans qu'une planche pût être jetée entre eux? Et, seuls, leurs pauvres cœurs sanglotaient de leur fraternelle tendresse éperdue.

      Pierre n'ignorait pas que Guillaume avait déjà couru le risque d'être compromis dans une affaire anarchiste. Il ne lui posait aucune question. Mais il ne pouvait s'empêcher de songer qu'il ne se serait pas caché ainsi, s'il n'avait eu la crainte d'être arrêté comme complice. Complice de Salvat, l'était-il donc vraiment? Et Pierre frémissait, car il n'avait toujours pour se faire une opinion que les paroles échappées à son frère, après l'attentat, le cri accusant Salvat de lui avoir volé une cartouche, l'acte aussi de s'être si héroïquement élancé sous le porche de l'hôtel Duvillard, afin d'éteindre la mèche. Seulement, que d'obscurités encore! et, si on lui avait volé une cartouche de cet effroyable explosif, c'était donc qu'il en fabriquait, qu'il en avait chez lui? Sans doute, avec son poignet blessé, même s'il n'était pas complice, il n'avait eu qu'à disparaître, jugeant bien que, trouvé là, la main sanglante, déjà compromis, jamais il n'aurait convaincu personne de son innocence. Mais, quand même, les ténèbres restaient épaisses, le crime semblait possible, c'était une aventure affreuse.

      Guillaume dut deviner, dans le tremblement de la main moite, que son frère lui abandonnait, un peu de l'anéantissement où tombait ce pauvre être, déjà foudroyé par le doute, et que la catastrophe achevait. Le sépulcre était vide, la cendre même en venait d'être balayée.

      – Mon pauvre petit Pierre, reprit-il lentement, excuse-moi, si je ne te dis rien. Je ne peux rien te dire… Et puis, à quoi bon? nous ne nous entendrions certainement pas… Ne nous disons rien, ne goûtons que la joie d'être ensemble et, quand même, de nous aimer toujours.

      Pierre leva les yeux; et, longuement, leurs regards restèrent l'un dans l'autre.

      – Ah! bégaya-t-il, que les choses sont affreuses!

      Mais Guillaume avait bien compris l'interrogation muette. Ses yeux y répondaient en ne se détournant pas, en s'allumant d'une flamme très pure, très haute.

      – Je ne peux rien te dire, répéta-t-il. Quand même, mon petit Pierre, aimons-nous.

      Et Pierre, alors, le sentit un instant supérieur à toute inquiétude basse, à la peur du coupable qui tremble pour lui, exalté au contraire dans la passion d'un grand dessein, dans le souci noble de mettre à l'abri l'idée souveraine, ce secret qu'il voulait sauver. Et ce ne fut, malheureusement,


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