Les contemplations. Aujourd'hui, 1843-1856. Виктор Мари Гюго

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Les contemplations. Aujourd'hui, 1843-1856 - Виктор Мари Гюго


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j'ai fait la guerre à la Grève homicide,

      J'ai combattu la mort, comme l'antique Alcide;

      Et me voilà; marchant toujours, ayant conquis,

      Perdu, lutté, souffert. – Encore un mot, marquis,

      Puisque nous sommes là causant entre deux portes.

      On peut être appelé renégat de deux sortes:

      En se faisant païen, en se faisant chrétien.

      L'erreur est d'un aimable et galant entretien.

      Qu'on la quitte, elle met les deux poings sur sa hanche.

      La vérité, si douce aux bons, mais rude et franche,

      Quand pour l'or, le pouvoir, la pourpre qu'on revêt,

      On la trahit, devient le spectre du chevet.

      L'une est la harengère, et l'autre est l'euménide.

      Et ne nous fâchons point. Bonjour, Épiménide.

      Le passé ne veut pas s'en aller. Il revient

      Sans cesse sur ses pas, reveut, reprend, retient,

      Use à tout ressaisir ses ongles noirs; fait rage;

      Il gonfle son vieux flot, souffle son vieil orage,

      Vomit sa vieille nuit, crie: À bas! crie: À mort!

      Pleure, tonne, tempête, éclate, hurle, mord.

      L'avenir souriant lui dit: Passe, bonhomme.

      L'immense renégat d'Hier, marquis, se nomme

      Demain; mai tourne bride et plante là l'hiver;

      Qu'est-ce qu'un papillon? le déserteur du ver;

      Falstaff se range? il est l'apostat des ribotes;

      Mes pieds, ces renégats, quittent mes vieilles bottes;

      Ah! le doux renégat des haines, c'est l'amour.

      À l'heure où, débordant d'incendie et de jour,

      Splendide, il s'évada de leurs cachots funèbres,

      Le soleil frémissant renia les ténèbres.

      O marquis peu semblable aux anciens barons loups,

      O Français renégat du Celte, embrassons-nous.

      Vous voyez bien, marquis, que vous aviez trop d'ire.

VI

      Rien, au fond de mon coeur, puisqu'il faut le redire,

      Non, rien n'a varié; je suis toujours celui

      Qui va droit au devoir, dès que l'honnête a lui,

      Qui, comme Job, frissonne aux vents, fragile arbuste,

      Mais veut le bien, le vrai, le beau, le grand, le juste.

      Je suis cet homme-là, je suis cet enfant-là.

      Seulement, un matin, mon esprit s'envola,

      Je vis l'espace large et pur qui nous réclame;

      L'horizon a changé, marquis, mais non pas l'âme.

      Rien au dedans de moi, mais tout autour de moi.

      L'histoire m'apparut, et je compris la loi

      Des générations, cherchant Dieu, portant l'arche,

      Et montant l'escalier immense marche à marche.

      Je restai le même oeil, voyant un autre ciel.

      Est-ce ma faute, à moi, si l'azur éternel

      Est plus grand et plus bleu qu'un plafond de Versailles?

      Est-ce ma faute, à moi, mon Dieu, si tu tressailles

      Dans mon coeur frémissant, à ce cri: Liberté!

      L'oeil de cet homme a plus d'aurore et de clarté,

      Tant pis! prenez-vous-en à l'aube solennelle.

      C'est la faute au soleil et non à la prunelle.

      Vous dites: Où vas-tu? Je l'ignore; et j'y vais.

      Quand le chemin est droit, jamais il n'est mauvais.

      J'ai devant moi le jour et j'ai la nuit derrière;

      Et cela me suffit; je brise la barrière.

      Je vois, et rien de plus; je crois, et rien de moins.

      Mon avenir à moi n'est pas un de mes soins.

      Les hommes du passé, les combattants de l'ombre,

      M'assaillent; je tiens tête, et sans compter leur nombre,

      À ce choc inégal et parfois hasardeux.

      Mais Longwood et Goritz 1 m'en sont témoins tous deux,

      Jamais je n'outrageai la proscription sainte.

      Le malheur, c'est la nuit; dans cette auguste enceinte,

      Les hommes et les cieux paraissent étoilés.

      Les derniers rois l'ont su quand ils s'en sont allés.

      Jamais je ne refuse, alors que le soir tombe,

      Mes larmes à l'exil, mes genoux à la tombe;

      J'ai toujours consolé qui s'est évanoui;

      Et, dans leurs noirs cercueils, leur tête me dit oui.

      Ma mère aussi le sait! et de plus, avec joie,

      Elle sait les devoirs nouveaux que Dieu m'envoie;

      Car, étant dans la fosse, elle aussi voit le vrai.

      Oui, l'homme sur la terre est un ange à l'essai;

      Aimons! servons! aidons! luttons! souffrons! Ma mère

      Sait qu'à présent je vis hors de toute chimère;

      Elle sait que mes yeux au progrès sont ouverts,

      Que j'attends les périls, l'épreuve, les revers,

      Que je suis toujours prêt, et que je hâte l'heure

      De ce grand lendemain: l'humanité meilleure!

      Qu'heureux, triste, applaudi, chassé, vaincu, vainqueur,

      Rien de ce but profond ne distraira mon coeur,

      Ma volonté, mes pas, mes cris, mes voeux, ma flamme!

      O saint tombeau, tu vois dans le fond de mon âme!

      Oh! jamais, quel que soit le sort, le deuil, l'affront,

      La conscience en moi ne baissera le front;

      Elle marche, sereine, indestructible et fière;

      Car j'aperçois toujours, conseil lointain, lumière,

      À travers mon destin, quel que soit le moment,

      Quel que soit le désastre ou l'éblouissement,

      Dans le bruit, dans le vent orageux qui m'emporte,

      Dans l'aube, dans la nuit, l'oeil de ma mère morte!

Paris, juin 1846.

      ÉCRIT EN 1855

      J'ajoute un post-scriptum après neuf ans. J'écoute:

      Êtes-vous toujours là? Vous êtes mort sans doute,

      Marquis; mais d'où je suis on peut parler aux morts.

      Ah! votre cercueil s'ouvre: – Où donc es-tu? – Dehors.

      Comme vous. – Es-tu mort? – Presque. J'habite l'ombre;

      Je suis sur un rocher qu'environne l'eau sombre,

      Écueil rongé des flots, de ténèbres chargé,

      Où s'assied, ruisselant, le blême naufragé.

      -Eh bien, me dites-vous, après? – La solitude

      Autour de moi toujours a la même attitude;

      Je


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<p>1</p>

On n'a rien changé à ces vers, écrits en 1846. Aujourd'hui, l'auteur eût ajouté Claremont.