Jane Austen: Oeuvres Majeures. Джейн ОÑтин
Читать онлайн книгу.davantage ? dit-il en s’interrompant et rougissant beaucoup ; votre intime ami vous a sans doute depuis long-temps raconté cette histoire ?
Elinor rougit aussi et endurcit de nouveau son cœur contre le séducteur de la pauvre Caroline. Oui, monsieur, lui dit-elle avec fermeté, je sais tout. Mais comment pourrez-vous vous justifier dans une telle circonstance ? Cela me paraît impossible.
— Me justifier ! s’écria-t-il vivement, je n’y songe pas même. Je vous ai dit quels avaient été mes principes, mes habitudes, mes liaisons avant que j’eusse rencontré votre sœur, et cela dit tout ; j’ajouterai seulement que celui de qui vous tenez cette histoire, ne pouvait être impartial. J’ai sans doute eu beaucoup de torts avec Caroline ; mais il n’est pas dit cependant que parce qu’elle a été offensée elle soit irréprochable, et que parce que j’étais un libertin elle soit une sainte. La violence de ses passions et la faiblesse de son jugement seraient peut-être une excuse… Mais, non, non, je n’en ai point que je puisse alléguer ; son amour pour moi méritait un meilleur traitement. Je me suis bien souvent reproché de lui avoir témoigné celui que je n’ai jamais senti, ou du moins si peu de temps, que je ne puis appeler cela de l’amour, surtout après l’avoir éprouvé dans toute sa force pour une femme qui lui est, à tout égard, si supérieure.
— Votre indifférence pour cette fille infortunée, quelque étrange qu’elle me paraisse, est un tort involontaire, reprit Elinor ; mais votre négligence est bien plus impardonnable. Quoiqu’il me soit désagréable d’entrer dans une discussion sur cet objet, permettez-moi de vous dire que si je vois de la faiblesse et de la crédulité de son côté, je vois du vôtre une cruauté, une inhumanité bien moins excusables. Pendant que vous étiez en Devonshire, poursuivant de nouveaux plans, de nouvelles amours, toujours gai, toujours heureux, votre victime était réduite à la plus extrême indigence, à la honte, au désespoir, à l’abandon.
— Sur mon ame ! je l’ignorais. J’avais pourvu à tout en la quittant ; je ne lui avais point caché que je ne comptais pas la rejoindre ; je lui avais conseillé de recourir au pardon de son protecteur. Tout pouvait être caché ou réparé, si elle avait suivi mes avis. Je croyais qu’elle était rentrée dans sa pension ou dans une autre, et je ne songeais plus à elle, quand elle fut tout à coup rappelée à mon souvenir d’une manière aussi terrible ! Je trouvai madame Smith au comble de l’indignation, et ma confusion fut extrême. La pureté de sa vie, son ignorance complète du monde, ses idées religieuses et morales très-exaltées, tout fut contre moi. Elle m’accabla du poids de sa colère, mais cependant m’offrit son pardon, si je voulais épouser Caroline. Cela ne se pouvait ; je ne le voulus pas, et je fus formellement rejeté de toute prétention sur l’amitié et la fortune de ma parente, et banni de sa maison que je devais quitter le lendemain. Je rentrai dans ma chambre pour faire mon paquet, et je trouvai sur ma table une lettre du colonel Brandon qui me reprochait le déshonneur de sa pupille, et me donnait rendez-vous à Londres, pour lui rendre raison de ma conduite. Étais-je assez puni de ce que les jeunes gens appelent un passe-temps, une légèreté ? la perte de ma fortune et de toutes mes espérances de bonheur, et peut-être celle de ma vie ! Quelle nuit je passai !… Mais à quoi servaient les combats, les réflexions ? tout était fini pour moi. Je ne pouvais plus offrir à madame Dashwood un fils, et à Maria un époux ; je n’avais plus de ressources ni pour le présent, ni pour l’avenir, et j’étais rejeté pour un genre de tort qui ne pouvait que les blesser vivement et me faire repousser aussi d’elles. Ah ! combien je désirais alors que la vengeance du colonel fût complète ! avec quel plaisir, quel empressement j’allai au-devant de la mort, que j’espérais recevoir de sa main ! Je craignais bien davantage la scène qui m’attendait encore avant de quitter pour jamais le Devonshire en prenant congé de Maria. J’étais engagé à dîner chez vous ; il fallait aller m’excuser ; il fallait revoir celle que j’allais quitter pour toujours et laisser si malheureuse !
— Pourquoi la voir, M. Willoughby ? Pourquoi ne pas écrire un mot d’excuse ? Qu’était-il nécessaire de venir vous-même ? s’écria Elinor.
— C’était nécessaire à mon orgueil et à mon amour. Je ne voulais pas laisser soupçonner à personne ce qui s’était passé entre madame Smith et moi, et je voulais voir encore une fois, avant de mourir, celle que j’idolâtrais de toute la force de mon ame ; je ne croyais pas d’ailleurs la trouver seule. Je voulais encore une fois être au milieu de cette famille que la veille encore je regardais déjà comme la mienne. Oh ! quand je me rappelais avec quelles délices j’étais revenu de la chaumière à Altenham, satisfait de moi-même, content de tout le monde, enchanté de Maria, ne songeant pas plus au passé que si jamais il n’eût existé, ne vivant que dans l’avenir, me disant : Quelques heures encore, et je vais être engagé pour la vie avec celle que j’aime si ardemment !…… Ces heures étaient écoulées, et il fallait au contraire nous séparer pour jamais ! Je rassemblai toute ma fermeté pour le cacher ; mais quand je la trouvai seule, quand je vis son profond chagrin pour ce qu’elle croyait une courte absence, et ce chagrin uni à tant de confiance en moi, ah ! dieu ! dieu ! puis-je jamais l’oublier ?
— Lui promîtes-vous de revenir bientôt ?
— Je ne sais ce que je lui dis, je ne puis m’en rappeler un seul mot. Votre mère vint aussi ajouter à mon supplice par son amitié. Ah ! combien j’étais malheureux ! et j’en remerciais le ciel. Ma seule consolation était ma propre misère ; mais celle de Maria, elle m’était insupportable ! Je m’en arrachai, je partis, et… Il s’arrêta.
— Est-ce tout, monsieur ? dit Elinor qui, tout en le plaignant, s’impatientait de ce qu’il ne partît pas.
— Oui, tout, si vous voulez. Mais ne désirez-vous pas savoir comment j’ai pu devenir plus coupable et plus malheureux encore ? En peu de mots : je rencontrai le colonel ; je fus blessé, mais non pas mortellement. Pendant que j’étais dans ma chambre, livré à mes tristes réflexions, ne voyant devant moi que l’indigence la plus entière, un de mes amis me parla des bonnes dispositions de miss Sophie Grey pour moi ; il m’assura que sa belle fortune de 50 000 liv. sterling serait à moi dès que je voudrais dire un mot. Ma blessure m’avait un peu calmé. J’avais réfléchi sur ma situation ; je ne pouvais la faire partager à Maria ; je ne l’aurais pas même voulu, non plus que sa famille. Il fallait donc tâcher de l’oublier, et de m’en faire oublier. J’allais jusqu’à trouver de la générosité dans tout ce que je faisais pour y parvenir. Je laissai faire mon ami. Dès que je fus rétabli, il me mena chez miss Sophie Grey. Elle voulait se marier, et avec un homme à la mode, avec un élégant ; c’était tout ce qu’elle demandait. Moi, je ne voulais que son argent ; et nous fûmes bientôt d’accord. Maria, pensais-je, n’entendra plus parler de moi que pour apprendre que je suis marié ; sa fierté s’indignera, elle me détestera, puis elle m’oubliera, et je serai seul malheureux ; mais au moins j’aurai les distractions et les jouissances de la fortune… ; lorsqu’une lettre de Maria, datée de Londres, m’apprend qu’elle y est, qu’elle m’aime encore avec la même tendresse, et n’a pas même l’ombre d’un doute. Non, tout ce que j’éprouvai ne peut être exprimé ! Sans aucune métaphore, chaque ligne, chaque mot de ce billet fut pour moi un coup de poignard. Savoir Maria si près de moi ; être sûr que j’en étais aimé ! ah ! je n’avais pas non plus l’ombre d’un doute. Son cœur, ses opinions, son ame m’étaient trop bien connus et m’étaient encore trop chers. Mon amour, qui était à peine assoupi, se ranima avec plus de force : et j’étais engagé avec une autre ! et quelle autre, bon dieu ! D’un côté, frivolité, insensibilité, coquetterie, jalousie ; de l’autre, grandeur d’ame, tendresse inépuisable, sensibilité profonde, confiance illimitée, esprit supérieur. Dieu ! qu’ai-je laissé échapper, et qu’ai-je trouvé en échange ! Mais Maria méritait mieux qu’un dissipateur, qu’un libertin. Elle m’aurait corrigé de tout ; je serais devenu digne d’elle. À présent, quel encouragement, quel exemple ai-je pour devenir vertueux ? Ô rage ! ô désespoir ! Il se leva et se promena violemment le poing serré sur son front.
Le cœur d’Elinor avait éprouvé plusieurs fluctuations pendant cet extraordinaire entretien. Elle était actuellement touchée, attendrie sur