Jane Austen: Oeuvres Majeures. Джейн ОÑтин
Читать онлайн книгу.de déjeuner, et sa joie, de dîner. Elle avait donc grand besoin de prendre quelque rafraichîssement, et ce petit repas lui fut très-nécessaire. Comme elle ne s’était point couchée les deux dernières nuits, madame Jennings voulut lui persuader d’aller prendre un peu de repos en attendant l’arrivée de sa mère, lui promettant de la remplacer auprès de Maria ; mais Elinor n’avait aucun sentiment de fatigue, ni de possibilité de dormir, et ne pouvait être tranquille qu’auprès de sa sœur ; elle y remonta donc immédiatement après le thé. Madame Jennings la suivit pour s’assurer encore que le mieux se soutenait, puis elle les laissa pour aller l’écrire à ses filles et se coucher de bonne heure.
La nuit était froide et orageuse ; le vent se faisait entendre dans les corridors ; la pluie battait contre les fenêtres. Elinor pensait à ses chers voyageurs, et les plaignait d’être en chemin par ce mauvais temps ; mais cela n’empêchait pas Maria de dormir paisiblement, et elle avait de quoi faire oublier à sa mère tous les petits inconvéniens du voyage.
L’horloge sonna huit heures ; si c’en eût été dix, Elinor aurait été bien heureuse, car en même temps il lui semblait entendre le roulement d’un carrosse devant la maison. Mais sûrement c’était une erreur ; il était presque impossible qu’ils fussent déjà là. Cependant elle était si sûre d’avoir entendu quelque chose, que, malgré la difficulté qu’elle avait à le croire, elle ne put s’empêcher de passer dans un cabinet à côté, et d’ouvrir la fenêtre pour s’en assurer. Elle vit au même instant que ses oreilles ne l’avaient pas trompée. Les deux lanternes d’un coupé l’éclairèrent suffisamment pour voir qu’il était attelé de quatre chevaux, ce qui lui prouva l’excès des alarmes de sa mère, et lui expliqua la rapidité du voyage.
Jamais encore Elinor, si accoutumée à se commander à elle-même, n’en avait été moins capable qu’à ce moment. L’idée de revoir sa mère, celle de ses doutes, de ses craintes, peut-être de son désespoir ; tout la bouleversait. Et comment lui dire… La joie de savoir son enfant chéri hors de danger, lui serait peut-être aussi fatale ; elle la connaissait si vive, si sensible et si nerveuse. Mais il n’y avait pas de temps à perdre en réflexions, et disant à Betty de ne pas quitter sa sœur ; elle descendit promptement. Elle entendait aller et venir dans le vestibule, on ouvrait les portes ; elle en conclut qu’ils étaient déjà entrés dans la maison. Aussi émue qu’on peut l’être quand on va revoir une mère chérie, après une longue absence, et dans une telle circonstance, elle entre au salon pour se jeter dans ses bras, et se trouve… en présence de Willoughby.
CHAPITRE XLVI.
Elinor recula avec un sentiment d’horreur à cette vue, et son premier mouvement fut de quitter à l’instant le salon. Sa main était déjà sur le pêne, quand Willoughby s’avança vivement et la retint, en disant d’un ton plus décidé que suppliant : Mademoiselle Dashwood, une demi-heure seulement, un quart d’heure, dix minutes ; je vous conjure de rester. – Non, monsieur, lui répliqua-t-elle avec fermeté, je ne resterai pas une minute ; vous ne pouvez avoir aucune affaire avec moi. Les gens ont, je suppose, oublié de vous dire que M. Palmer n’est pas chez lui.
— Quand ils m’auraient dit, reprit-il avec véhémence, que tous les Palmer étaient au diable, je serais entré également ; c’est à vous et à vous seule que j’ai à parler.
— À moi ! monsieur ; vous me surprenez beaucoup, en vérité. Parlez donc, mais soyez bref, et si vous le pouvez, moins violent.
— Asseyez-vous, et je vous promets tous les deux.
Elle hésita, et ne savait ce qu’elle devait faire. La possibilité de l’arrivée du colonel Brandon qui trouverait là M. Willoughby, et sûrement avec beaucoup de peine, traversa sa pensée ; mais elle avait consenti à l’entendre, et sa curiosité était excitée. Après un moment de réflexion, elle conclut qu’il valait mieux céder et lui accorder un moment, que de prolonger le temps par des refus et des prières. Elle revint donc en silence au bout de la table, et s’assit. Il prit une chaise vis-à-vis d’elle ; et pendant une demi-minute, il n’y eut pas un mot de prononcé de part ni d’autre.
— Je vous en prie encore, monsieur, soyez très-bref ; je n’ai pas de temps à perdre, dit enfin Elinor ; parlez, ou je sors à l’instant.
Il était dans une attitude de profonde méditation, appuyé de côté sur le dossier de sa chaise, et ne paraissait pas l’entendre. Elinor se leva ; ce mouvement parut le réveiller. – Votre sœur, dit-il vivement, est hors de danger ; le domestique qui m’a introduit me l’a dit. Que le ciel en soit béni ! Mais est-ce vrai, bien réellement vrai ? que je l’entende de votre bouche.
Elinor le regardait avec étonnement ; elle croyait voir et entendre le Willoughby de Barton-Park, et ne savait si elle ne faisait pas un rêve. Il répéta sa question avec un mouvement très-vif d’impatience. Pour l’amour de Dieu, dites-moi si elle est hors de danger ou si elle ne l’est pas ?
— J’espère qu’elle l’est.
Il se leva et se promena vivement. Elinor voulut encore le quitter ; mais l’intérêt qu’il venait de montrer pour Maria l’avait déjà un peu adoucie ; elle céda à un geste suppliant et resta. Il revint à son siége, s’approcha un peu plus près d’elle, en disant avec une vivacité un peu forcée : Si j’avais été sûr, parfaitement sûr qu’elle était hors de danger, peut-être ne serai-je pas entré, mais puisque je suis ici, puisque j’ai le bonheur de vous revoir, oh ! bonne Elinor, vous qui m’aimiez autrefois comme un frère, parlez-moi encore avec amitié ; peut-être sera-ce la dernière fois. Parlez-moi franchement, amicalement ; me croyez-vous un scélérat ? Et la rougeur la plus vive couvrit son visage.
Elinor était toujours plus surprise ; elle commença vraiment à croire qu’il était hors de sens et dans l’ivresse. La singularité de cette visite, à une heure aussi tardive, et toute sa manière ne pouvait guère s’expliquer autrement. Dès que cette idée eut frappé son esprit, elle se leva et lui dit froidement : M. Willoughby, je vous conseille de retourner à Haute-Combe, que vous habitez sans doute ; je suis garde-malade, et je ne puis rester avec vous plus longtemps, quelque affaire que vous puissiez avoir à me communiquer ; vous vous la rappellerez sûrement mieux demain.
— Je vous entends, dit-il avec un sourire expressif et une voix parfaitement calme : peut-être ai-je en effet perdu la raison, mais non pas comme vous le pensez. Depuis ce matin à huit heures que j’ai quitté Londres, je ne me suis arrêté que dix minutes au plus à Maulboroug pour faire manger mes chevaux qui n’en pouvaient plus ; j’ai pris moi-même un verre de porter et un morceau de bœuf froid : voilà tout ce que j’ai pris dans la journée. Et son regard et le son de sa voix convainquirent Elinor que, si quelque impardonnable folie l’avaient amené à Cleveland, ce n’était pas du moins celle de l’ivresse. Sûre alors qu’il pourrait l’entendre, elle lui dit avec dignité : Excusez-moi, M. Willoughby, cette fois-ci je vous ai fait tort ; je ne sais pas cependant si, après tout ce qui s’est passé, vous ne seriez pas plus excusable en attribuant votre arrivée ici à une cause étrangère, qu’à votre propre volonté. Certainement si vous aviez l’ombre de délicatesse, vous auriez senti ce que votre seule présence me fait souffrir, et dans quel moment ! Il m’est impossible de comprendre le but de cette visite. Que prétendez vous ? que demandez-vous ?
— Je prétends, dit-il avec un sérieux énergique, me faire haïr de vous de quelques degrés de moins que vous ne me haïssez sûrement ; je demande qu’il me soit permis d’alléguer quelque espèce d’excuse pour le passé, de vous ouvrir entièrement mon cœur, de vous prouver que si j’ai la tête mauvaise, ce cœur mérite quelque indulgence, d’obtenir enfin quelque chose qui ressemble à un pardon, de Mar…, de votre sœur.
— Est-ce là, monsieur, la vraie raison de cette visite ?
— Sur mon âme ! dit-il en posant la main sur la poitrine,