Jane Austen: Oeuvres Majeures. Джейн ОÑтин
Читать онлайн книгу.éducation l’a achevé. Se douterait-on que nous sommes frères ? Jamais vous ne l’auriez pensé, j’en suis bien sûr : et il se regardait encore dans la glace et recommençait à rire.
— Non en vérité, monsieur, dit Elinor en jetant sur lui un coup-d’œil méprisant ; il n’y a entre vous deux nul rapport. Elle attendit avec une immuable gravité que son accès de gaîté folle fût passé. Tout-à-coup il cessa de rire. — Mais qu’avez-vous donc, mademoiselle Dashwood, lui dit-il, vous êtes aussi sérieuse qu’Edward ; vous lui auriez cent fois mieux convenu que cette petite fille si gaie, si animée. Savez-vous qu’elle me fait grande pitié, cette pauvre petite Lucy ? Il y avait de l’étoffe pour en faire une élégante, une femme à la mode ; et devenir la femme d’un grave pasteur, être enterrée dans un presbytère, en bonnet rond, un grand chapeau de paille, au lieu de cette délicieuse coiffure, de ces plumes flottantes ! elle est vraiment très à plaindre. Et ce pauvre Edward ! je plaisante ; mais sur mon ame, je suis très-touché de son malheur ; le voilà ruiné pour toujours. On peut faire une folie d’amour quand on est riche, à la bonne heure. Épouser un jolie fille, braver tous ses parens, suivre sa tête, faire parler de soi : tout cela peut être assez plaisant ; mais il faut avoir une fortune indépendante, et ne pas risquer de tout perdre. Pauvre garçon ! c’est la meilleure créature qui existe. Ses manières, sa figure, tout cela est misérable ; mais tout le monde n’est pas né avec les mêmes avantages. C’est le plus honnête garçon des trois royaumes ; au reste, à quoi cela sert-il dans le monde ? Vous le voyez, à se rendre ridicule, à faire des folies par excès de vertu Tient-on tout ce qu’on promet ? À sa place j’aurais épousé mademoiselle Morton et ses trente mille livres, et comme Lucy Stéeles est beaucoup plus jolie, je l’aurais priée de m’aimer toujours. Il ne serait pas au point où il en est. Pauvre Edward ! il s’est ruiné lui-même complètement, le voilà séquestré de toute société décente. Pour moi je l’ai dit d’abord à madame Ferrars. Ma chère mère, je ne sais ce que vous ferez dans cette occasion ; mais si Edward épouse cette jeune fille, je suis décidé à ne plus le voir. Je lui offris de lui parler, de le dissuader de ce mariage ; mais c’était trop tard, la rupture avait eu lieu. Ma mère me promit ce qu’elle aurait donné à Edward. Je ne pouvais pas en conscience agir contre mes propres intérêts ; mais j’en suis fâché, très-fâché ! Je pouvais mieux me passer que lui de fortune, ne le trouvez-vous pas, mademoiselle Mais cependant elle ne gâte rien aux autres avantages. Pour le pauvre Edward, il n’aura qu’une jolie femme, dont il sera bientôt las, et une cure de deux cents livres qui ne le nourrira pas la moitié de l’année : et voilà le beau sort qu’il s’est fait.
Robert aurait parlé sur ce ton la journée entière ; Elinor ne l’écoutait plus du tout. L’entrée de madame John Dashwood fit taire l’un et sortir l’autre de sa profonde rêverie. Fanny avait une nuance d’embarras avec Elinor, comme se reprochant de l’avoir accusée à tort d’aimer Edward et d’en être aimée. Celle-là du moins ne lui en parla point, et tâcha d’être plus cordiale qu’à l’ordinaire ; elle poussa la bonté jusqu’à dire qu’elle était fâchée qu’elles quittassent la ville, et qu’elle espérait les voir l’été à Norland. Son mari était extasié de sa politesse et de ses grâces ; en accompagnant Elinor à sa voiture, il lui dit qu’elle devait être bien contente de sa belle-sœur et de sa visite. Je vous promets, ajouta-t-il, pour elle comme pour moi, que nous serons des premiers à vous visiter à Delafort, car je vois que tout s’achemine là, puisque le colonel doit vous aller joindre à Cléveland. Il la loua beaucoup aussi avec sa parcimonie ordinaire d’un arrangement qui les faisait retourner à Barton sans rien dépenser.
Comme Edward n’était plus à Londres et qu’elle ne craignait pas de le rencontrer, elle prit le parti d’aller faire une courte visite à Lucy, qui la reçut, avec transport, ne lui parla que de son bonheur ; et lui fit une invitation pressante de venir la voir dans son presbytère à Delafort. Elinor riait de ce que tout le monde l’envoyait à Delafort, endroit dans l’univers qu’elle désirait le moins d’habiter ; son unique désir étant actuellement d’éviter toutes les occasions de revoir Edward.
CHAPITRE XLIII.
Au commencement d’avril, par un temps singulièrement beau pour la saison, madame Jennings et ses deux jeunes amies partirent de Berkeley-Street et quittèrent Londres ; elles devaient rencontrer, dans un endroit désigné, madame Charlotte Palmer, son enfant et ses gens, et se rendre à Cleveland tous ensemble. Comme on devait voyager lentement à cause de l’enfant, M. Palmer et le colonel Brandon préférèrent suivre à cheval et devaient les rejoindre le lendemain de leur arrivée.
Maria, toujours vive, toujours exagérée dans tous ses sentimens, s’était réjouie de quitter cette ville où elle n’avait eu que des peines, et au moment d’en partir, son cœur se serra en pensant au plaisir qu’elle avait eu en y arrivant, à l’espoir qui embellissait les premiers momens de son séjour. Elle y laissait ce Willoughby qu’elle était venue rejoindre avec tant de joie et qu’elle ne pouvait oublier, perdu à jamais pour elle, retenu dans de nouveaux liens, ne l’ayant peut-être jamais aimée ; et ces pensers déchirans, renouvelés au moment du départ, lui firent verser autant de larmes que si elle avait laissé derrière elle le bonheur.
Elinor les partageait, comme toutes les peines de sa sœur ; mais ce redoublement de chagrin étant plus dans son imagination qu’en réalité, elle espérait que l’air de la campagne, la tranquillité de Barton, le plaisir de retrouver sa mère remettraient sa santé et rendraient dans peu de mois la paix à son cœur. De son côté Elinor ne laissait rien à Londres qui pût exciter en elle la moindre douleur ; elle était bien aise d’être à l’abri des confidences de Lucy, et de sa persécutante et fausse amitié ; elle remerciait aussi le ciel de ce que le traître Willoughby ne s’était point offert à sa vue ni à celle de sa sœur ; elle s’efforçait de ne plus penser à Edward que comme on pense à un ami marié, et tâchait, par une douce gaieté, de distraire un peu la pensive et triste Maria ; elle y réussit assez bien. Sur la fin de la première journée, le mouvement du carrosse, une contrée nouvelle, les caresses de madame Jennings et de sa sœur avaient fait une heureuse diversion ; mais le lendemain, dès qu’on fut entré dans le Sommerset-Shire, dès que ce mot eut été prononcé, cent mille nuages revinrent obscurcir sa physionomie, et il ne fut plus possible d’en obtenir un mot. Penchée sur la portière, absorbée dans ses souvenirs, dans ses réflexions, elle regardait chaque arbre, chaque buisson avec intérêt, comptait combien de fois Willoughby avait passé sur cette route, et se représentait avec quel délice elle l’aurait faite elle-même à côté de lui, pour aller habiter ensemble une terre qu’elle se figurait être comme le paradis, où elle avait placé le bonheur de sa vie, et dont une autre qu’elle était à présent la propriétaire.
Le matin du troisième jour on quitta la grande route pour prendre celle qui conduisait à Cleveland-House, et on y arriva après avoir fait quelques milles. C’était, une belle et spacieuse maison moderne, située sur une plaine en pente douce, bordée de bois ; il n’y avait point de parc, mais des promenades très-étendues. Un sentier uni et sablé serpentait autour de différentes espèces de plantations ; des groupes de sapins, de frênes, d’acacias, étaient répandus çà et là autour de la maison ; sur la plaine, des arbres plus épais étendaient leur belle verdure ; des peupliers d’Italie élevaient leur feuillage en panache, se balançaient au-dessus des autres arbres, et cachaient les bâtimens du service. Entre les groupes d’arbres, des fabriques simples et élégantes ornaient le paysage : c’étaient la laiterie, la basse-cour, les écuries, la maison du jardinier ; plus loin, un temple grec avec ses colonnes en marbre blanc était situé sur une colline, et dominait un beau point de vue.
Maria était dans l’enchantement ; elle aurait voulu tout voir à la fois, savoir de quel côté étaient situés Barton et Haute-Combe. Soixante milles au plus la séparaient de sa mère chérie, et seulement trente, de Haute-Combe. L’une de ces idées réveillait dans son cœur tous ses sentimens de tendresse,