Jane Austen: Oeuvres Majeures. Джейн ОÑтин
Читать онлайн книгу.J’ai entendu parler, mademoiselle, lui avait dit le colonel, de l’injustice que votre ami M. Edward Ferrars a souffert de sa famille. Si je suis bien informé, il a été entièrement repoussé par sa mère, parce qu’il persévère dans ses engagemens avec une jeune personne qu’il aime, dont il est aimé, dont sa mère et sa sœur faisaient beaucoup de cas et qui demeurait même chez la dernière comme une amie intime. Est-ce vrai, mademoiselle, je m’en rapporte à vous ?
Elinor dit que rien n’était plus vrai.
— La cruauté et le danger de séparer deux jeunes cœurs attachés l’un à l’autre depuis long-temps, dit avec sentiment le colonel, m’ont toujours paru une des responsabilités les plus terribles. Il s’agit du bonheur ou du malheur, non-seulement dans cette vie, mais aussi dans l’autre. Ma triste expérience là-dessus me fait trembler. Madame Ferrars ne sait pas ce qu’elle fait, et où elle pouvait entraîner son fils. Le malheur d’être déshérité est bien léger auprès de celui qui l’attendait dans un mariage forcé, et auprès des remords d’avoir manqué à sa parole. Je l’estime de sa noble résistance ; je ne l’ai vu que deux ou trois fois ; mais il m’a plu dès le premier moment. C’est un jeune homme plein de mérite, sans aucun des ridicules et des travers si fréquens que l’on a lorsqu’on est élevé avec l’espoir d’une brillante fortune. Je m’intéresse à lui pour lui-même et parce qu’il est votre ami, et je voudrais que dans ce moment fâcheux, cet intérêt pût lui être utile. J’apprends qu’il va se faire consacrer et prendre le parti de l’église, et je le loue encore d’avoir préféré cet état à d’autres plus brillans et moins respectables. Voudriez-vous avoir la bonté de lui dire que le bénéfice de ma terre de Delafort se trouve heureusement vacant ; j’en ai eu l’avis ces derniers jours, et s’il veut bien l’accepter, je serais charmé qu’il puisse lui convenir ? dans ces malheureuses circonstances j’ai peut-être le droit de l’espérer ; et mon regret est qu’il ne soit pas plus considérable. Le dernier recteur en tirait deux cents livres par année ; mais je le crois très-susceptible d’amélioration. Ce n’est pas sans doute une place aussi considérable qu’il le mériterait ; mais telle qu’elle est, s’il veut bien l’accepter, j’ai un grand plaisir à la lui offrir, et je vous prie de l’en assurer.
L’étonnement d’Elinor en recevant cette commission aurait à peine été plus grand, s’il lui avait fait l’offre de sa main. Cette place qu’elle croyait qu’Edward n’obtiendrait de bien long-temps, et peut être jamais, lui était offerte. Il n’y avait plus d’obstacle à son mariage ; et c’était elle qui était appelée à le lui apprendre ; c’était en partie pour elle qu’on la lui donnait. Elle éprouvait là-dessus un tel mélange de sentimens contradictoires, qu’il n’est pas étonnant que madame Jennings ait attribué son émotion à une cause plus directe. Mais bientôt tout sentiment personnel s’effaça du cœur pur et noble d’Elinor. Elle ne sentit plus qu’une profonde estime et une vive reconnaissance pour le généreux colonel qui se privait lui-même de l’avantage qu’il pouvait retirer de son bénéfice, pour obliger un homme intéressant et malheureux qu’il regardait comme l’ami d’Elinor. Elle le remercia de tout son cœur, lui parla d’Edward avec les éloges qu’elle savait qu’il méritait, et promit de se charger de cette commission avec plaisir, si réellement il préférait qu’un autre que lui-même en fût chargé ; mais elle lui fit observer que rien ne pouvait rendre cette heureuse nouvelle plus agréable à M. Ferrars que de l’apprendre de la bouche même de son bienfaiteur. Elle désirait bien en être dispensée, et pour elle-même et pour Edward, qui souffrirait peut-être de lui avoir cette obligation ; mais le colonel par des motifs de délicatesse parut désirer si vivement que ce fût elle qui voulût bien remplir cet office, qu’elle n’osa plus faire d’objection. Edward devait encore être à Londres ; Anna lui avait dit son adresse : elle résolut de lui écrire le même jour. Lorsque cela fut arrangé, le colonel la pria encore de dire à son ami, combien lui-même se trouvait heureux de s’assurer un si respectable et si bon voisinage. C’est alors qu’il parla avec regret de la petitesse de la maison et de son peu d’élégance, et qu’Elinor lui répondit, comme madame Jennings l’avait entendu, que ce ne serait pas un obstacle : une petite habitation, ajouta-t-elle, sera mieux proportionnée à leur fortune.
Le colonel parut surpris qu’Edward eut l’idée de se marier d’abord. Les revenus du bénéfice de Delafort, dit-il, seraient suffisans pour un célibataire ; mais pour une famille qui s’augmentera peut-être beaucoup, et avec les habitudes de M. Ferrars, et une jeune femme qui me paraît aimer assez le monde et la parure, il me paraît impossible qu’il ait assez ; et je le trouverais imprudent de s’établir avec cela :
CHAPITRE XLI.
Maria sortit aussi, et madame Jennings en fut charmée ; il lui tardait d’être seule avec Elinor et de lui faire son compliment. Eh bien ! ma chère, lui dit-elle en souriant avec son air de sagacité, je ne vous demande pas ce que vous disait le colonel, car, quoique, sur ma parole, je fisse tout ce que je pouvais pour ne pas écouter, je n’ai pu m’empêcher d’en entendre assez pour m’expliquer toute l’affaire. Je vous assure que jamais rien ne m’a fait plus de plaisir, et je vous en félicite de tout mon cœur.
— Je vous remercie, madame, dit Elinor ; c’est sûrement un grand plaisir pour moi, qu’une chose que je croyais ne pouvoir s’effectuer de bien long-temps, et peut-être jamais, se soit aussi vîte décidée ; et je sens la bonté du colonel, de s’être adressé à moi plutôt qu’à d’autres. Peu d’hommes agiraient aussi généreusement que lui ; peu, fort peu ont un aussi bon cœur et sont aussi désintéressés. Je n’ai jamais été plus surprise.
— Vraiment, ma chère, vous êtes aussi par trop modeste ; à quelle personne vouliez-vous qu’il s’adressât, qui lui convînt mieux que vous ? Quant à moi, je n’ai pas du tout été surprise ; j’y ai souvent pensé ces derniers temps, et j’étais sûre qu’il en viendrait là.
— Vous en avez jugé sûrement d’après la connaissance que vous aviez avant moi de l’humanité du colonel, et d’après sa bonté ; mais du moins vous ne pouviez prévoir qu’il trouverait aussitôt l’occasion de l’exercer.
— L’occasion ! répéta madame Jennings ; ah ! quant à cela, lorsqu’un homme s’est mis une chose dans la tête, l’occasion s’en trouve toujours. Eh bien ! ma chère, la noce suivra bientôt je suppose ; et je verrai un couple heureux s’il en fut jamais.
— Il faut l’espérer, dit Elinor avec un triste sourire. Vous viendrez à Delafort bientôt après sans doute.
— Ah ! ma chère, bien sûrement, et je suppose qu’il y aura place pour moi, quoique la maison soit petite, au dire du colonel ; mais ne le croyez pas ; je vous assure, moi, qu’elle est belle et bonne. Je ne sais pas ce qu’il y aurait à réparer : au reste si cela l’amuse, il faut le laisser faire ; il est assez riche pour se donner ce plaisir.
Elles furent interrompues par le domestique qui vint dire que le carosse était à la porte ; et madame Jennings qui devait sortir, se leva pour se préparer.
— Eh bien ! ma chère, dit-elle, il faut que je vous quitte avant de vous avoir dit la moitié de ce que je pense ; mais nous en jaserons dans la soirée, où nous serons tout-à-fait seules. Si le colonel revient comme je suppose, il ne sera pas de trop ; mais nous ne recevrons que lui. Vous devez avoir trop d’affaires dans la tête pour tous soucier de compagnie. Adieu, donc je vous laisse ; aussi bien vous devez languir de le dire à votre sœur. — Je le lui dirai sûrement, répondit Elinor, mais pour le moment je vous prie de n’en parler à personne. Madame Jennings eut l’air d’être un peu contrariée. — Très-bien, dit-elle, je comprends ; mais Lucy cependant qui a eu toute confiance en vous, il me semble qu’il est juste qu’elle le sache la première, et je vais la voir ce matin.
— Non, non, madame, dit vivement Elinor, sur-tout