Jane Austen: Oeuvres Majeures. Джейн Остин

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Jane Austen: Oeuvres Majeures - Джейн Остин


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à présent comme on peut se fier aux apparences. Qui aurait cru Edward capable de répondre ainsi à sa mère ?

      — Moi, dit enfin madame Jennings, qui brûlait de parler ; dès que je l’ai connu je l’ai regardé comme un honnête homme, et je pense que s’il avait cédé, il aurait agi comme un coquin et un parjure. J’ai quelques mots aussi à dire dans celle affaire ; ainsi, M. Dashwood, je vous prie de m’excuser si je vous dis ma façon de penser. Lucy Stéeles est ma cousine, et celle aussi de lady Middleton, dont le nom et le titre valent bien autant que ceux de madame Ferrars. Quant à Lucy elle n’est pas riche, et ce n’est pas sa faute ; mais elle est jolie et gentille, on ne peut pas lui nier cela, et elle mérite aussi bien qu’une autre d’avoir un bon mari. Vous ne saviez pas d’où elle venait ; et bien vous allez le savoir : son père était mon cousin issu de germain.

      John Dashwood fut très-étonné ; mais il était d’une nature pacifique, et jamais il ne cherchait à offenser personne, surtout si c’était quelqu’un de riche : loin donc de se fâcher contre madame Jennings, il fut sur le point de lui demander pardon. Je vous assure, madame, lui dit-il, que je ne veux manquer de respect à aucun de vos parens. J’ignorais que mesdemoiselles Stéeles eussent l’honneur de vous appartenir. Mademoiselle Lucy m’a toujours paru une jeune personne très-méritante, très-aimable, et pour qui nous avions, j’ose le dire, beaucoup d’amitié. Mais dans le cas présent, vous comprenez qu’une liaison est impossible ; et si vous me permettez de vous le dire, être entrée dans un secret engagement avec un jeune homme de famille riche, comme M. Ferrars, qui était remis aux soins de son oncle, est peut-être… comment dirai-je cela… un peu extraordinaire. En un mot, je ne me permets aucune réflexion sur la conduite d’une personne à qui vous vous intéressez, madame Jennings. Nous souhaitons tous qu’elle soit heureuse ; mais j’en doute fort ; car madame Ferrars tiendra sa parole. Elle agit comme une bonne mère, et selon sa conscience ; elle s’est montrée désintéressée, libérale et juste. Doit-on traiter un enfant désobéissant comme un enfant soumis ? Voyez Fanny ; elle consulte encore sa mère, sur tout ce qu’elle fait, comme si elle n’était pas mariée ; et quoiqu’elle m’aime à la folie, je suis sûr qu’elle ne m’aurait jamais épousé, si madame Ferrars l’avait menacée comme elle a fait Edward. Il a rejeté le bon lot qui lui était offert ; et je crains qu’il n’en ait un bien mauvais.

      Maria soupira profondément ; et le cœur de la pauvre Elinor était déchiré en pensant à ce qu’Edward devait avoir souffert pour une femme qui ne pouvait le récompenser.

      — Eh bien ! monsieur, dit madame Jennings, comment cela a-t-il fini ?

      — Je suis fâché, madame, d’avoir à vous l’apprendre, par une rupture complète entre la mère et le fils. Edward est rejeté pour toujours ; et madame Ferrars n’a plus que deux enfans, Robert et Fanny. Edward a quitté hier la maison ; mais est-il parti ou resté en ville, c’est ce que j’ignore, Vous comprenez que nous ne pouvons plus avoir de relations avec lui.

      — Pauvre jeune homme ! s’écria Elinor, que va-t-il devenir ?

      — Le mari de Lucy Stéeles sans doute, dit John, est un pauvre misérable qui aura à peine de quoi se nourrir ; c’est fort triste, et cependant voilà ce qui est sûr. Né avec l’espoir d’une telle fortune, et se voir réduit presque à rien ; je ne puis concevoir une situation plus déplorable ! L’intérêt de deux mille pièces ! Comment un homme peut-il vivre avec cela ? et ajoutez encore à cela le souvenir qu’il aurait pu s’il n’avait pas été un fou, avoir les deux mille pièces de revenu, et cinq cents par dessus, car mademoiselle Morton aura le jour de sa noce trente mille pièces. Je ne puis me peindre un pareil sort ! Nous le sentons vivement sa sœur et moi, je vous assure, et d’autant plus qu’il n’est pas en notre pouvoir de l’assister, sans désobéir à notre mère et courir peut-être les mêmes risques que lui.

      — Pauvre jeune homme ! s’écria encore madame Jennings ; il serait le très-bien venu s’il voulait venir loger et manger chez moi. Je le lui dirais si je pouvais le voir.

      Le cœur d’Elinor la remercia de sa bonté pour Edward.

      — S’il avait voulu, madame, il aurait une bonne maison, où il aurait pu nous inviter très souvent. À présent tout est fini, et si jamais il a une chaumière ou quelque logement semblable, je doute que personne soit tenté d’aller le voir ; on y ferait maigre chère. Ce qu’il y a de pis, c’est que c’est sans retour ; car il se prépare quelque chose contre lui, et on ne s’en tiendra pas aux menaces. Madame Ferrars s’est déterminée avec sa bonté et sa justice accoutumée, à donner immédiatement à Robert ce que devait avoir Edward, et à lui assurer mille pièces par an. Je viens de la laisser avec son avocat parlant de cette affaire.

      — Bien, dit madame Jennings, elle se venge ; et chacun, à sa manière. La mienne ne serait pas de rendre un de mes fils indépendant, parce que l’autre m’aurait blessée.

      Maria se leva et se promena dans la chambre.

      — Y a-t-il quelque chose de plus piquant, dit John, de plus désespérant que de voir son frère cadet en possession d’un bien qui devait vous appartenir. Pauvre Edward ! il est bien coupable, mais aussi bien à plaindre.

      Il se leva et prit congé d’elles, en leur assurant sans cesse que Fanny n’était point en danger, et qu’elles pouvaient être tranquilles, qu’il n’y avait lieu à aucune inquiétude.

      À peine fut-il sorti que les trois dames unanimes dans leurs sentimens, louèrent la noble conduite et le désintéressement d’Edward, autant qu’elles blâmèrent mesdames Ferrars et Dashwood. L’indignation de Maria éclata avec violence. Elinor ne disait rien ; mais elle admirait et plaignait Edward de toute la force de son cœur. Madame Jennings était de leur avis à toutes deux ; elle mit beaucoup de chaleur dans ses éloges de la conduite d’Edward, dont la possession de sa chère Lucy serait la récompense. Elinor et Maria savaient seules combien il y avait de mérite à lui d’avoir écouté la voix de l’honneur aux dépens de la perte de sa fortune et de celle même de tout son bonheur, et combien son dédommagement serait peu de chose, excepté cependant celui du témoignage de sa conscience, qui l’emporte surtout chez un honnête homme. Elinor était fière de la vertu de celui qu’elle aimait ; et Maria lui pardonnait ses torts par compassion pour son malheur. Mais quoiqu’il n’y eût plus actuellement de secret à garder, et qu’on pût en parler librement, c’était un sujet de conversation que les deux sœurs évitaient dans leur tête-à-tête autant qu’il leur était possible. Elinor parce qu’elle préférait en détourner sa pensée, et Maria parce qu’elle redoutait la comparaison qu’elle ne pouvait s’empêcher de faire elle-même de sa conduite avec-celle de sa sœur. Elle la sentait vivement cette différence, mais non pas comme Elinor l’avait espéré, pour y puiser des forces et du courage ; elle n’y trouvait qu’un nouveau sujet de peine, par les reproches amers qu’elle se faisait elle-même de n’avoir pas montré plus de fermeté, ni su cacher aussi sa douleur dans les commencemens. À présent sa santé détruite influait sur son moral ; elle se trouvait trop faible pour rien tenter, et se laissait toujours plus aller à son abattement.

      Pendant deux jours elles n’apprirent rien de nouveau ; mais elles en savaient assez pour occuper la tête et la langue de madame Jennings, qui se décida à aller faire une visite à Holborn à ses cousines Stéeles, plus encore par curiosité que par intérêt.

      Le troisième jour était un dimanche, et le temps était si beau pour la saison (c’était la seconde semaine de mars), qu’elle eut envie d’aller se promener dans les jardins de Kensington, où il y aurait sûrement beaucoup de monde, et proposa à Elinor de l’accompagner. Je parie, lui dit-elle, que nous trouverons là les Stéeles, et que je n’aurai pas besoin d’aller plus loin. Je n’ai pas trop d’envie, s’il faut le dire, de faire connaissance avec les parens chez qui elles demeurent, ce sont des gens un peu communs. Vous comprenez à présent ; j’ai pris un autre ton, d’autres habitudes. J’irai pourtant à Holborn si elles ne sont pas à Kensington, et si vous ne voulez pas venir avec moi, je vous enverrai chez votre frère ; mais pourquoi ne feriez-vous pas une visite à cette chère Lucy qui vous


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