Jane Austen: Oeuvres Majeures. Джейн ОÑтин
Читать онлайн книгу.Mais une seule chose m’afflige, c’est que son père, qui est bon cependant, assure que tous les enfans de cet âge sont de même, et ne veut pas convenir que le sien soit le plus bel enfant du monde ; sans vous déplaire, Mary, vos enfans sont très-bien, mais ils n’en approchent pas.
— Il est impossible, dit Lucy en caressant la petite, que qui que ce soit au monde l’emporte en beauté sur Sélina.
Lady Middleton un peu consolée, lui accorda toutes ses bonnes grâces et lui fit un joli présent dans la soirée ; de manière que Lucy trouva que le métier de flatteuse était bon et facile.
La liaison qui s’était établie entre les maisons Middleton et Dashwood occasionnait de fréquentes rencontres. Un jour qu’Elinor et Maria, étaient en visite chez leur belle-sœur, il y vint une dame du haut rang, qui ne connaissant point les particularités de cette famille, ne mit pas en doute qu’ils ne logeassent tous ensemble. Deux jours après, cette dame donnant un concert, envoya chez madame John Dashwood des cartes d’invitation pour elle et pour ses belles-sœurs. Madame John n’y vit d’abord que le désagrément de leur envoyer sa voiture et l’ennui de les y accompagner ; lady Middleton n’y étant pas invitée, elles ne pouvaient y aller seules. Fanny se promit bien de dire à tout le monde que ses belles-sœurs ne logeaient pas chez elle. Maria par l’habitude de faire le jour ce qu’elle avait fait la veille-même et par l’indifférence qu’elle mettait à faire une chose plutôt qu’une autre, avait été amenée par degré à reprendre le genre de vie de Londres et à sortir tous les soirs, sans attendre ni désirer le moindre amusement, et souvent sans savoir jusqu’au dernier moment où elle allait. Sa toilette l’occupait si peu, que si sa sœur n’y avait pas pensé pour elle, elle serait restée dans sa robe du matin. Mais quand, après un ennui qu’elle supportait à peine, elle était enfin parée, commençait un autre supplice ; c’était l’inventaire que faisait Anna Stéeles de toutes les pièces de son ajustement l’une après l’autre. Rien n’échappait à son insatiable curiosité et à sa minutieuse observation. Elle voyait tout, elle touchait tout, elle voulait savoir le prix de tout, elle calculait le nombre des robes de Maria, et combien le blanchissage devait lui coûter par semaine, et à combien sa toilette devait lui revenir par an. Maria en était excédée ; mais ce qui lui déplaisait plus encore était le compliment qui suivait toujours cet examen. « Eh bien, miss Maria, vous voilà très-bien mise et très-belle encore, quoiqu’on en dise : Consolez-vous, c’est moi qui vous le promets, vous allez faire encore bien des conquêtes ; et tous les jeunes gens ne seront peut-être pas légers et perfides. Mademoiselle Elinor est très-bien aussi. À présent que vous avez si fort maigri, on ne dirait pas qu’elle est l’aînée ; et elle aura bien sa part d’adorateurs ».
Avec de tels encouragemens elles attendaient ce soir-là le carosse de leur frère. Comme elles étaient prêtes, elles y entrèrent sur-le-champ au grand désespoir de Fanny qui avait espéré qu’elles ne le seraient pas encore et qu’elle pourrait rejeter le retard sur ses belles-sœurs.
Les évènemens de cette soirée ne furent pas remarquables. Le concert d’amateurs, était, comme ils le sont d’ordinaire extrêmement médiocre, quoique, dans leur propre estime et dans celle de la dame qui les avait rassemblés, ce fussent les premiers talens d’Angleterre. Au reste, à Maria près qui était très-forte sur le piano, mais qui ne faisait nulle attention à la musique, le reste de l’assemblée était peu en état d’en juger. On était là plutôt pour voir et se faire voir, que pour écouter. Aussi Elinor qui n’était point musicienne et n’y avait nulle prétention, ne se fit pas scrupule de détourner ses yeux de l’amphithéâtre de musique pour regarder d’autres objets. Dans le nombre des femmes elle en remarqua une à l’excès de sa parure, d’ailleurs très-peu jolie, mais grande et bien faite, et entourée de tous les élégans, parmi lesquels elle eut bientôt reconnu Robert Ferrars à son costume exagéré et à sa lorgnette avec laquelle il regardait toutes les femmes, avec une fatuité insupportable. Bientôt son tour vint d’être regardée ; et Robert lui-même s’avança avec nonchalance, et s’assit à côté d’elle. Bonjour, ma vieille connaissance, lui dit-il d’un ton léger.
— Monsieur, vous vous méprenez sans doute, lui dit Elinor, surprise de ce ton ; je n’ai pas du tout l’honneur de vous connaître.
— Allons donc, vous plaisantez ; n’avons-nous pas passé une heure ensemble chez Grays, l’autre matin ? Je vous reconnus à l’instant l’autre soir chez votre frère, qui je crois est le mien aussi : ainsi vous voyez que nous sommes intimes. D’ailleurs, dit-il, en souriant d’un air qu’il croyait bien fin, je suis aussi le frère d’Edward ; et l’on assure que vous ne le haïssez pas du tout, et qu’il est encore plus que moi votre ancienne connaissance.
— Monsieur, je ne hais personne, et nullement Edward Ferrars que j’aime et que j’estime depuis long-temps.
— Eh bien, d’honneur ! c’est très naïf, dit Robert en éclatant de rire. Vous me prenez pour confident ! Je suis peu accoutumé à ce rôle, mais je m’y ferai, et en ami, je veux vous donner un conseil ; c’est de ne plus penser à Edward : sa mère a d’autres vues. D’ailleurs il est impossible, absolument impossible que vous le trouviez aimable.
— Monsieur, dit Elinor avec fermeté, sans avoir sur lui aucune prétention qui puisse contrarier les vues de madame Ferrars, je trouve son fils aîné très-aimable ; et il me le paraît plus encore, depuis que je le compare à d’autres.
— Ah bien, par exemple ! c’est très-plaisant ce que vous dites-là. On ne s’attendait pas à ce qu’Edward gagnât à être comparé à d’autres. Allons, convenez donc qu’il est impossible d’être plus gauche, plus maussade, mis avec moins de goût. Il faudrait une étrange prévention pour nier cela.
— J’ai cette prétention, monsieur, et malgré votre éloge fraternel, je persiste à la croire très-bien fondée.
— Allons, allons, vous plaisantez, je vois cela. Puis-je vous offrir une pastille, mademoiselle Dashwood, dit-il, en ouvrant une petite bonbonnière d’écaille blonde à étoiles d’or ? À propos n’avez-vous pas envie de voir la boîte à cure-dents que je commandais l’autre jour ? Délicieuse ! parole d’honneur, elle a réussi à ravir. Grays est unique pour saisir mes idées… Mais pardon, madame Willoughby m’appelle.
— Madame Willoughby ! s’écria Elinor, où donc est-elle ?
— Là ; cette femme si bien mise. Personne à Londres ne se met comme elle. J’excepte cependant cette charmante toque que je vis l’autre soir sur la tête de je ne sais qui. Vous y étiez je crois ? d’honneur ! Cette coiffure m’a tourné la tête. Comment se nomme la jeune personne ?
— Mademoiselle Lucy Stéeles, une nièce de M. Pratt chez lequel votre frère a demeuré.
— Ah Dieu ! M. Pratt. Ah ! je vous en conjure, mademoiselle, si vous ne voulez pas que je meure de vapeurs, ne me parlez pas de M. Pratt ! c’est grâce à lui qu’Edward est si complètement maussade. Je l’ai dit souvent à madame Ferrars : ne vous en prenez qu’à vous, ma mère, si votre fils aîné est à peine présentable dans le beau monde ; si vous l’aviez envoyé comme moi à Westminster au lieu de le remettre aux soins de M. Pratt, vous voyez ce qu’il serait. Elle est convaincue de son erreur ; mais c’est trop tard ; le pli est pris.
Elinor ne répondit rien ; elle n’aurait pas voulu qu’Edward ressemblât à son frère, mais son séjour chez l’oncle de Lucy Stéeles ne lui était guère plus agréable.
Enfin l’élégant Robert la quitta et lui fit plaisir ; elle était sur les épines en pensant que Maria pourrait voir madame Willoughby ou seulement entendre son nom, et que Willoughby peut-être était lui-même dans le salon ; cependant elle ne l’avait point aperçu. Elle regarda encore ; il n’y était pas ; et Maria émue par la musique, plus rêveuse, plus mélancolique encore qu’à l’ordinaire, n’avait rien vu, rien entendu. Elinor aurait voulu la prévenir, mais elle n’était, pas à côté d’elle. Heureusement que Fanny qui n’aimait pas la musique, et qui s’ennuyait, avait demandé ses chevaux de bonne heure, et