Jane Austen: Oeuvres Majeures. Джейн ОÑтин
Читать онлайн книгу.jeu, vantait son habileté au whist, à laquelle la bonne dame avait de grandes prétentions, enfin faisait sa cour de son mieux. Maria était laissée seule à ses tristes pensées, et ne s’en plaignait pas. Absorbée dans ses réflexions, dans ses souvenirs, et bien loin du salon de madame John Dashwood, elle n’entendit pas même ouvrir la porte et Fanny s’écrier : Ah ! voilà mon frère. Mais Elinor ne l’entendit que trop ; son sang reflua vers son cœur qui battit avec violence ; et ses yeux baissés sur ses cartes, sans en distinguer une, elle s’efforça de reprendre son courage accoutumé. Enfin quand elle crut y avoir réussi, elle tourna ses regards d’abord sur Lucy, qui était restée à sa place, dont la physionomie n’exprimait rien, mais dont les yeux perçans suivaient celui qui venait d’entrer. Elinor était placée de manière à ne pas le voir, et n’en était pas fâchée, lorsque son frère s’écrie : Ah ! vous voilà enfin, Robert, d’où diable venez-vous ? Nous avons dîné depuis deux heures. Elinor respire ; ce n’est pas Edward. Robert s’avance auprès de son beau-frère ; elle reconnaît d’abord le merveilleux à la boîte à cure-dents qui l’avait si fort impatientée chez le bijoutier. Sans doute il la reconnut aussi ; il la salua d’une inclination de tête d’un air affecté. Son costume avait toute l’extravagance de la mode française, encore exagérée, et présentait vraiment quelque chose de très-ridicule : une crête ébouriffée, un col de chemise remontant jusqu’aux coins des yeux, un fraque étroit, un gilet de deux doigts, un pantalon qui lui montait jusque-sous les bras, un fracas de cachets et de bagues, un bouquet à la boutonnière, enfin tout ce qui constituait alors l’élégance des jeunes gens qu’on appelait des incroyables. L’émotion d’Elinor avait fait place à l’étonnement ; elle ne pouvait comprendre que ce fût là le frère du simple, du timide Edward. Il dit légèrement à son beau-frère, que, sur sa parole, il avait tout-à-fait oublié son dîner ; que, dans la foule de ses engagemens, ces oublis lui arrivaient souvent ; et promenant sa lorgnette sur les jeunes dames, il daigna ajouter : Sans doute j’ai beaucoup perdu… Cette langoureuse beauté auprès de la cheminée, est-ce une de vos sœurs, John ? en désignant Maria.
— Oui, la cadette, très-jolie autrefois sur mon honneur ; mais la pauvre enfant est malade. Robert ne l’écoutait pas ; sa lorgnette était dirigée sur la jolie toque à plumes de Lucy. Cette petite personne est délicieusement coiffée, reprit-il, mais je dis délicieusement ! Cela vient de Paris ; je crois l’avoir remarqué au magasin d’Hustley ; très-jolie sur ma parole ; du dernier goût !
— Et la jeune personne aussi ; c’est miss Lucy Stéeles, parente de lady Middleton. Et Edward où diable se tient-il ?
— Où je ne suis pas sans doute. Nous n’allons point ensemble ; il y a huit jours que je ne l’ai vu. Il s’approcha de sa mère dont il était le favori, et qui lui dit : Bon jour, Robert, avec un air assez affable. Il adressa quelques mots à Lucy sur sa délicieuse coiffure, dont elle eut l’air très-flattée. Peu après les parties finirent, et l’on prit congé les uns des autres, au grand plaisir des deux sœurs à qui la journée avait été ennuyeuse et pénible.
CHAPITRE XXXVI.
Le désir qu’Elinor avait eu de voir la mère d’Edward était plus que satisfait ; il était anéanti. Et, de tout son cœur, elle désirait actuellement ne pas se retrouver avec elle. Elle avait assez de son orgueil, de son dédain, de son esprit étroit et vain, et de sa prévention décidée contre les sœurs de son gendre ; elle voyait clairement à présent toutes les difficultés et les retards qu’il y aurait eu à son mariage avec Edward, lors même qu’il eût été libre. Il était le seul de cette famille qui lui fût agréable. La fatuité et les prétentions de l’élégant Robert lui étaient insupportables ; et madame John Dashwood n’ayant jamais cherché à gagner l’amitié de ses belles sœurs, ne leur en avait jamais témoigné. Elle se trouva donc presque heureuse qu’un obstacle insurmontable la préserva du malheur d’être sous la dépendance de madame Ferrars, d’être obligée de se soumettre à ses caprices et de supporter sa mauvaise humeur ; et si elle n’avait pas encore la force de se réjouir qu’Edward fût engagé avec Lucy, elle l’attribuait uniquement à la certitude qu’il ne serait pas heureux avec elle. Si sa rivale avait été plus aimable, elle aurait pris tout-à-fait son parti de renoncer pour sa part à un bonheur aussi chèrement acheté que d’être la fille de madame Ferrars et la sœur de M. Robert. Elle ne comprenait pas que Lucy eût attaché autant de prix aux honnêtetés d’une femme qui ne lui en avait fait que parce qu’elle n’était pas Elinor, et que la vérité ne lui était pas connue. Il fallait que Lucy fût complètement aveuglée par la vanité pour n’avoir pas senti que cette préférence arrachée à demi par ses flatteries, n’était pas du tout pour l’amante d’Edward, pas même pour Lucy Stéeles, mais pour la jeune fille qui paraissait à côté de celle, qu’on voulait mortifier. Lucy le voyait si peu sous ce jour, que dès le lendemain matin elle arriva à Berkeley-Street avec l’espoir de trouver Elinor seule, et de lui dire tout son bonheur ; elle eut celui de venir au moment où madame Jennings allait sortir.
— Chère amie, dit Lucy à Elinor, que je suis contente de pouvoir vous parler en liberté, vous dire combien je suis heureuse ! Pouvez-vous imaginer quelque chose de plus flatteur que la manière dont madame Ferrars me traita hier ? Comme elle était bonne, affable ! Vous savez combien je la redoutais ; certes, j’avais bien tort. Dès le premier moment où je lui fus présentée, je vis sur sa physionomie quelque chose qui me disait que je lui plaisais extrêmement ; et toute sa conduite avec moi l’a confirmé. N’est-ce pas que c’était ainsi ? vous l’aurez vu tout comme moi. N’en ayez-vous pas été frappée ?
— Elle était certainement très-polie avec vous.
— Polie ! est-ce que vous n’avez vu que de la politesse ? Pour moi j’ai vu beaucoup plus. Avec quelle bonté elle m’a distinguée de tout le monde ! ni orgueil ni hauteur quoique je sois une pauvre jeune personne qu’elle voyait ! aussi pour la première fois. Elle n’a presque adressé la parole qu’à moi seule, et votre belle-sœur de même. Quelle femme adorable ! toute douceur, toute affabilité, si bonne, si prévenante ! Quel bonheur pour vous que votre frère ait épousé une femme aussi aimable.
Elinor pour éviter de répondre, voulut changer d’entretien ; mais Lucy la pressa tellement de convenir de son bonheur, qu’elle ne pût s’en défendre. — Indubitablement, lui dit-elle, rien ne pourrait être plus heureux et plus flatteur pour vous que la conduite de madame Ferrars, si elle connaissait vos engagemens avec son fils, mais ce n’est pas le cas, et… — J’étais sûre d’avance que vous me répondriez cela, interrompit Lucy ; mais vous conviendrez au moins qu’il ne peut y avoir aucune raison au monde qui obligeât madame Ferrars à feindre de m’aimer, si je ne lui plaisais pas ; et elle a marqué une prévention si flatteuse pour moi, et pour moi seule, que vous ne pouvez m’ôter la satisfaction d’y croire. Je suis sûre à présent que tout finira bien, et que je ne trouverai point les difficultés que je craignais. Madame Ferrars et sa fille sont deux femmes charmantes, adorables, qui me paraissent sans défauts ; et peut-être me font-elles l’honneur de penser la même chose de moi ; car j’ai vu et senti qu’il y avait entre nous un attrait mutuel. Je suis étonnée que vous ne m’ayez jamais dit combien votre belle-sœur est agréable !
Elinor n’essaya pas même de répondre ; qu’aurait-elle pu dire ?
— Êtes-vous malade, miss Dashwood ? dit Lucy, vous semblez si triste, si abattue ! Vous ne parlez pas ; sûrement vous n’êtes pas bien, lui dit la méchante fille avec son regard abominable.
— Je ne me suis jamais mieux portée, répondit Elinor.
— J’en suis vraiment charmée ; mais vous n’en avez pas l’air du tout. Je serais consternée si vous tombiez malade, vous qui partagez si bien tout ce qui m’arrive. Le ciel sait ce que j’aurais fait sans votre amitié.
Elinor essaya de répondre quelque chose