Jane Austen: Oeuvres Majeures. Джейн ОÑтин
Читать онлайн книгу.pas plus qu’elle, il avait eu le temps de réfléchir ; et une idée l’avait frappée. La maîtresse de la maison, lady Dennison avait supposé que ses sœurs demeuraient chez lui : il était donc convenable qu’elles y fussent, et il manquait aux devoirs d’un frère, en laissant ses sœurs loger et manger chez des étrangers. L’opinion avait un grand pouvoir sur lui ; d’un autre côté sa conscience lui reprochait si souvent de n’avoir point tenu la promesse faite à son père, qu’il crut devoir l’appaiser, en les prenant quelques temps chez lui. La dépense serait peu de chose ; Elinor était petite mangeuse, et Maria, si languissante. À peine furent-ils rentrés qu’il en fit la proposition à sa femme, qui en frémit de tout son corps, et tâcha de parer le coup. — Je ne demanderais pas mieux, mon cher John ; vous savez combien j’aime tout ce qui tient à vous. Mais voyez dans ce moment-ci, je craindrais d’offenser beaucoup lady Middleton chez qui elles passent toutes leurs journées ; il serait tout-à-fait malhonnête de la priver de leur compagnie. J’en suis très-fâchée ; car vous voyez combien j’aime à être avec vos sœurs, mon cher John, à les produire dans le monde, à leur prêter ma voiture…
— Oui, oui, je vous rends justice, chère Fanny ; mais dans cette occasion, je ne sens pas la force de votre objection. Elles ne demeurent point chez lady Middleton ; et sous aucun rapport, elle ne peut-être fâchée qu’elles viennent passer quelques jours chez leur belle-sœur. Vous voyez que tout le monde pense que cela doit être ainsi.
— Oui, oui lady Dennison qui ne sait ce qu’elle dit. Enfin, mon cher, vous avez toujours raison ; et je crois comme vous que cela conviendrait ; mais malheureusement j’ai invité mesdemoiselles Stéeles à passer quelque temps avec nous. Ce sont de bonnes filles, très-complaisantes, point gênantes, dont on fait tout ce qu’on veut, et c’est une attention que je leur devais, mon frère Edward ayant été élevé chez leur oncle Pratt, ainsi que je l’ai appris l’autre jour. Nous pouvons avoir vos sœurs quand nous voudrons, soit à Norland, soit un autre hiver à Londres. Peut-être mesdemoiselles Stéeles n’y reviendront plus. Enfin je les ai déjà invitées ; et plus elles sont dépendantes et sans fortune, plus on leur doit d’égards. Vous qui avez tant de délicatesse et de générosité, mon cher John, vous sentez cela mieux que personne, j’en suis sûre ; je le suis aussi qu’elles vous amuseront beaucoup plus que vos sœurs ; elles sont gaies et très-gentilles. Ma mère est passionnée de Lucy, et c’est aussi la favorite de notre cher petit Henri.
Que répondre à de tels argumens ? M. Dashwood fut convaincu ; il convint de la nécessité d’avoir les demoiselles Stéeles ; et sa conscience s’appaisa par le souvenir du beau dîner qu’il avait donné au colonel Brandon, et par l’espoir que l’année suivante Elinor serait madame Brandon, aurait une bonne maison à Londres, et que Maria vivrait avec elle. Fanny tout à-la-fois contente d’être échappée au malheur d’avoir ses belles-sœurs, et fière de l’esprit qu’elle y avait mis, écrivit le matin suivant un billet à Lucy qu’elle antidata de deux jours, et où elle la priait ainsi que mademoiselle Anna de lui faire le plaisir de venir passer quelques jours chez elle, aussitôt que lady Middleton voudrait les lui céder. On comprend combien Lucy fut heureuse. Aller demeurer chez la sœur d’Edward, qui en l’invitant semblait travailler pour elle ! on peut cette fois pardonner à Lucy de se livrer à l’espoir. Une occasion journalière de voir Edward, de gagner l’amitié de sa famille, lui parut une chose si essentielle, qu’il ne fallait pas différer. Après avoir fait sentir à sa sœur l’avantage qui pouvait en résulter, elle la fit consentir d’autant plus facilement à quitter les Middleton, que le docteur Donavar était aussi le médecin des Dashwood, et de plus lié particulièrement avec John. L’espoir de le voir plus souvent la consola de n’avoir plus à entendre les railleries de sir Georges. Elles se préparèrent donc à y aller dès le lendemain. Lady Middleton en prit son parti avec l’indifférence qu’elle mettait à tout ce qui ne la regardait pas directement.
On comprend qu’à peine Elinor fut arrivée, que Lucy lui montra en triomphe le pressant billet de Fanny ; et pour la première fois elle partagea l’espérance de Lucy. Une telle preuve de bonté, une prévenance si marquée avec de jeunes personnes que Fanny connaissait aussi peu, elle qui, à l’ordinaire était si peu obligeante, témoignaient que l’on avait du moins beaucoup de bonne volonté et de bienveillance, qui avec le temps et l’adresse de Lucy pourraient mener à quelque chose de plus. Comme Elinor ignorait le projet que son frère avait eu de les inviter, il ne lui vint pas dans l’idée que mesdemoiselles Stéeles eussent servi de prétexte à Fanny pour ne pas les recevoir. Elles y allèrent donc dès le lendemain, et furent reçues de manière à laisser tout croire de l’effet de cette préférence. Fanny avait fait sentir à son mari qu’il était très-dangereux de rapprocher Elinor d’Edward dans un moment où on traitait de son mariage, au lieu que les petites Stéeles, qu’il connaissait à peine, étaient à tout égard sans danger pour lui. Quant à elle-même elle en faisait deux complaisantes assidues qui lui faisaient ses chiffons, servaient le thé, arrangeaient le feu, ramassaient son mouchoir, amusaient son enfant ; elle trouvait toutes ces attentions serviles très-agréables et très commodes. Sir Georges qui les allais voir quelquefois, ne parlait que de l’amitié de madame John Dashwood pour ses petites cousines. Elle était plus enchantée d’elles, et surtout de Lucy qu’elle ne l’avait jamais été de toute autre jeune personne ; elle ne les appelait plus que sa chère Lucy, sa chère Anna, leur avait fait présent à chacune d’un petit porte-feuille d’aiguilles, et disait qu’elle ne savait comment elle ferait pour se séparer de ses aimables et chères amies.
CHAPITRE XXXVIII.
Madame Palmer était si bien au bout de quinze jours, que sa mère ne trouva plus nécessaire de lui donner tout son temps, et se contenta de la visiter une ou deux fois par jour. Elle revint à sa maison, à ses habitudes, à ses jeunes amies, à qui elle racontait avec soin tout ce qu’elle apprenait dans ses courses. La troisième ou quatrième matinée, en revenant de chez sa fille, elle entra dans le salon, où Elinor travaillait seule, avec un air d’importance, comme pour la préparer à entendre quelque chose d’extraordinaire.
— Bon Dieu ! ma chère Elinor, est-ce que vous savez la nouvelle ?
Elinor eut un instant l’idée qu’elle voulait parler du retour de Willoughby, dont elle avait déjà prévenu Maria ; elle le lui dit.
— Mon Dieu non, ma chère, il s’agit bien d’autre chose vraiment ! Qu’est-ce que me font les Willoughby à présent ? Rien du tout je vous assure ; je les laisse pour ce qu’ils sont. Qu’ils aillent, qu’ils viennent peu m’importe. Mais ce que je viens d’apprendre, devinez-le si vous pouvez en cent, en mille.
— Ce sera peut être plutôt fait de me le dire, chère dame, dit en riant Elinor.
— Allons, allons je le veux bien ; c’est si étrange ! écoutez donc. Quand je suis entrée chez Charlotte, je l’ai trouvée, la pauvre petite mère, fort en peine pour son enfant. Elle croyait qu’il allait mourir, il criait, il ne voulait rien prendre et était tout couvert de petits boutons rouges. Je l’examinai, et je lui dis : Eh mon Dieu ! ma chère Charlotte, calmez-vous, ce n’est rien au monde que la rougeole ; et la nourrice dit de même. Mais madame Palmer ne fut pas contente qu’on n’eût envoyé chercher le docteur Donavar. On y alla, et on eut le bonheur de le trouver précisément comme il revenait de Harley-Street, de chez votre frère. Il vint à la minute et dit comme moi que c’était la rougeole, qu’il n’y avait rien à craindre ; alors Charlotte a été bien contente. Elinor l’écoutait avec intérêt, mais ne pouvait s’empêcher de sourire de l’importance de cette nouvelle de grand’mère. — M’y voici, dit la bonne Jennings, à ma nouvelle. Comme le docteur sortait, je m’avisai de lui dire en riant : Ah ! ah ! docteur, je sais fort bien ce qui vous attire si souvent à Harley-Stréet chez M. John Dashwood ; vous courtisez Anna Stéeles, m’a-t-on dit, et nous deviendrons cousins peut-être. Il rit aussi ; puis reprenant un air grave et mystérieux, il s’approcha de moi, et me dit : Ce n’est point du