Jane Austen: Oeuvres Majeures. Джейн Остин

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Jane Austen: Oeuvres Majeures - Джейн Остин


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Rassurez-vous, madame, m’a-t-il répondu, et rassurez aussi les jeunes miss Dashwood ; leur belle-sœur n’en mourra pas puisque la colère ne l’a pas étouffée ; mais elle n’en a pas été loin.

      — La colère ! Fanny ! eh mon Dieu ! contre qui ? dit Elinor.

      — J’ai demandé la même chose, et voici ce que j’ai appris. M. Edward Ferrars, le frère aîné de madame Dashwood, ce même jeune homme sur lequel je vous raillais à Barton, vous savez bien, mais à présent je serais bien-fâchée que vous lui eussiez donné votre cœur ! (Elinor ne demanda plus rien, elle écouta dans une grande émotion) eh bien ! cet Edward Ferrars, ne vous aimait point, ma chère ; il paraît qu’il était engagé depuis long-temps avec ma cousine Lucy. Pas une créature humaine ne s’en est doutée, excepté Anna. Auriez-vous cru cela possible ? Quant à leur amour il n’y à rien là d’extraordinaire : Lucy est gentille, elle est vive, alerte, et précisément de cette espèce de jeunes filles qui plaisent aux garçons timides, parce qu’elles font toutes les avances, Mais que cette amourette soit allée si loin et depuis si long-temps, sans que personne l’ait su ni soupçonné, c’est cela qui est étrange. Je ne les ai jamais vus ensemble, car je suis bien sûre que je l’aurais tout de suite deviné. Mais ce grand secret était si bien gardé que ni madame Ferrars, ni votre belle-sœur ne le soupçonnaient, ni personne au monde. C’était dans la famille à qui caresserait le plus Lucy ; Edward y venait fort peu. Voilà que ce matin la pauvre Anna, bonne fille sans malice comme vous savez a découvert le pot aux roses.

      Ils sont tous si passionnés de Lucy, pensait-elle, que je suis sûre qu’il n’y aura pas la moindre difficulté, et que madame Dashwood va sauter de joie. Ce matin donc elle est entrée auprès de votre belle-sœur, qui était seule dans son cabinet, et qui ne se doutait guères de ce qu’elle allait apprendre. Il n’y avait pas cinq minutes qu’elle avait dit à son mari que son frère paraissait à présent indifférent pour toutes les femmes, et qu’elle était sûre qu’on l’amènerait bientôt à épouser milady, je ne sais qui, et voilà qu’Anna lui dit comme la plus belle chose du monde qu’il est engagé avec Lucy. Vous pouvez penser quel coup c’était pour son orgueil et sa vanité ! Elle s’est mise dans une telle fureur qu’il lui a pris de violens maux de nerfs, et elle poussait de tels cris, que votre frère qui était en bas dans sa chambre, écrivant à son intendant de Norland, les a entendus. Il est accouru vers sa pauvre femme ; alors une autre scène a commencé : Lucy entra aussi tout effrayée pour donner des secours à sa chère Fanny : jugez comme elle fut reçue ! Pauvre petite ! je la plains beaucoup ; et elle n’a pas été traitée doucement j’en réponds, car votre sœur était, dit-on, comme une furie, et n’a cessé ses injures que lorsqu’un nouvel accès la fait évanouir. Anna était à deux genoux en pleurant amèrement, et quand on y pense bien c’était la plus malheureuse ; tout le monde la grondait ; sa sœur au désespoir qu’elle eût trahi son secret, l’a battue, dit-on, avant de sortir de la chambre ; et elle n’a pas comme Lucy un amant et un mari pour se consoler : le docteur Donavar ne la reverra guères. Votre frère se promenait, allait du haut en bas sans savoir que dire ni que faire. Dès que Fanny put parler, ce fut pour déclarer qu’elle ne prétendait pas que ces ingrates Stéeles fussent un instant de plus chez elle. Votre frère fut obligé de se mettre aussi à deux genoux pour lui persuader de les laisser au moins faire leurs paquets. Mais ses accès de maux de nerfs se succédaient d’une manière si effrayante, qu’il prit le parti d’envoyer chercher le docteur Donavar, qui trouva toute la maison en rumeur. Le carosse était à la porte pour emmener mes pauvres cousines chez leurs parens à Holborn ; elles descendaient l’escalier, quand il arriva. La pauvre Lucy pouvait à peine marcher ; Anna était à moitié folle de douleur. Pour moi je déclare que je suis furieuse contre votre belle-sœur, et que je désire de tout mon cœur qu’ils se marient en dépit d’elle. Bon Dieu ! dans quel état sera le pauvre Edward quand il apprendra cela ! sa bien-aimée traitée avec ce mépris. On dit qu’il l’aime passionnément, et qu’il sera capable de tout ; et je le conçois très-bien. M. Donavar pense de même, nous en avons jasé ensemble, pendant une demi-heure. Enfin il m’a quittée pour y retourner ; il avait grande envie d’y être quand madame Ferrars y arrivera. Madame Dashwood l’a fait prier de venir dès que mes pauvres cousines ont été parties ; elle est sûre que sa mère va aussi tomber en syncope : ce qu’il y a de certain c’est que ce ne sera pas moi qui la ferai revenir ; je ne les plains ni l’une ni l’autre. Je n’ai encore vu de ma vie deux femmes faire tant de cas du rang et des richesses. Je ne vois pas pourquoi Edward Ferrars n’épouserait pas Lucy Stéeles. Elle n’est pas fille de lord, cela est vrai ; mais ce n’est pas la femme qui fait le mari, et n’a-t-on pas souvent vu de pareils mariages. Ma fille Mary n’est-elle pas milady ; n’en déplaise à ces belles dames ? Lucy n’a rien ou presque rien, c’est vrai aussi ; mais elle a des charmes et du savoir faire. Personne n’est plus gentille dans une maison ; cela met la main à tout, et si madame Ferrars leur donne seulement cinq cents pièces par année, elle brillera autant qu’une autre avec mille. Ah ! comme ils seraient bien dans une petite maison comme la vôtre, ni plus ni moins, avec deux filles pour les servir et un domestique pour le mari ! Que faut-il de plus pour être heureux quand on s’aime ? Et je crois que je pourrais leur procurer une bonne femme-de-chambre, la propre sœur de ma Betty, qui leur conviendrait parfaitement. Ici Madame Jennings arrêta son flux de paroles, et comme Elinor avait eu le temps de rassembler ses idées, elle put répondre comme le sujet le demandait. Il n’y avait presque rien de nouveau pour elle ; elle était préparée à cet événement, et ne fut point soupçonnée d’y prendre un intérêt particulier ; car depuis long-temps madame Jennings avait cessé de la croire attachée à Edward. Heureuse de l’absence de Maria elle se sentit très-capable de parler de cette affaire sans embarras et de donner son sentiment avec impartialité.

      Elle savait à peine elle-même ce qu’elle désirait, mais elle s’efforçait de rejeter de son esprit toute idée que cela pût finir autrement que par le mariage d’Edward et de Lucy. Elle était inquiète de ce que ferait madame Ferrars pour l’empêcher, et bien plus inquiète encore de la manière dont Edward se conduirait. Il n’était plus lié à Lucy par l’amour, elle en était sûre ; mais il l’était par l’honneur, et quoique l’idée de le perdre fût bien cruelle, elle l’était moins que celle qu’il pût manquer à un tel engagement. Elle sentait beaucoup de compassion pour lui, très peu pour Lucy, et pas du tout pour les autres.

      Comme madame Jennings ne pouvait parler d’aucun autre sujet, il devenait indispensable d’y préparer Maria. Il n’y avait pas de temps à perdre pour la détromper, lui faire connaître l’exacte vérité, et tâcher de l’amener à en entendre parler sans trahir ni son chagrin relativement à sa sœur, ni son ressentiment contre Edward.

      La tâche d’Elinor était pénible ; elle allait détruire la seule consolation de sa sœur, qui lui disait souvent : Chère Elinor, le meilleur moyen que j’aie pour ne pas m’occuper de Willoughby, c’est de penser à Edward, au bonheur dont vous jouirez ensemble, et de me dire que vous le méritez plus que moi. Et il fallait renverser, anéantir peut-être la bonne opinion qu’elle avait de lui, et par une ressemblance dans leur situation que son imagination rendrait plus frappante qu’elle ne l’était en effet, réveiller en elle le sentiment de ses propres peines. Mais il le fallait, et Elinor se hâta de la joindre et de commencer son récit. Elle était loin de vouloir lui dépeindre ses propres sentimens et lui parler de ses souffrances, à moins que l’exemple de l’empire qu’elle prenait sur elle même depuis qu’elle connaissait l’engagement d’Edward, ne pût encourager Maria à l’imiter. Sa narration fut claire et simple, et quoiqu’elle ne pût la faire sans émotion, elle ne fut accompagnée ni d’une agitation violente ni d’un chagrin immodéré. Il n’en fut pas de même de Maria, elle l’écouta avec horreur et fit les hauts cris : Elinor fut obligée de la calmer pour ses propres peines, comme elle l’avait fait pour les siennes. Mais tout ce qu’elle put lui dire ne fit qu’augmenter son indignation, que relever encore à ses yeux le mérite d’Elinor, et conséquemment que rendre plus sensible les torts de celui qui s’était joué de son bonheur, qui avait pu en aimer une autre qu’elle. Elle n’admettait pas même en sa faveur qu’il n’eût agi que par imprudence, le seul


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