Jane Austen: Oeuvres Majeures. Джейн ОÑтин
Читать онлайн книгу.et lui dit le numéro. Il faut, que j’aille lui faire les remercîmens que vous ne voulez pas recevoir. Elinor ne tenta pas de le retenir. Ils se séparèrent avec plus d’embarras qu’au commencement. Elle lui renouvela ses vœux pour son bonheur, sous tous les rapports et dans tous les changemens de situation. Il voulut répondre de même ; ses paroles expirèrent sur ses lèvres, à peine put-il articuler : Elinor, puissiez-vous être heureuse… et il disparut.
— Heureuse ! répéta-t-elle en soupirant ; quand je le reverrai, si jamais je le revois, il sera le mari de Lucy. Des larmes remplirent ses yeux. Elle resta assise à la même place, cherchant à se rappeler chaque mot qu’il avait prononcé, à comprendre ses sentimens. Hélas ! elle ne pouvait se dissimuler qu’il n’avait pas l’air plus heureux, que c’était même tout le contraire, depuis que son sort était assuré.
Madame Jennings rentra ; quoiqu’elle eût fait beaucoup de visites et qu’elle eût sans doute bien des choses à dire, elle était tellement occupée du grand secret, qu’elle entama d’abord ce sujet en entrant au salon.
— Eh bien ! ma chère, dit-elle, vous n’avez pas eu besoin d’écrire ; je vous ai envoyé le jeune homme lui-même. N’ai-je pas bien fait ? Je suppose qu’il n’y a pas eu grande difficulté, et que vous l’avez trouvé tout disposé à accepter votre proposition.
— Oui sans doute, madame ; il est allé d’ici chez le colonel pour le remercier.
— Fort bien ! mais sera-t-il prêt bientôt ? il ne faut pas qu’il fasse trop attendre pour le mariage, puisqu’il ne peut pas se faire sans lui.
— Non bien certainement, dit Elinor en riant, mais il faut qu’on l’attende. Je ne sais pas du tout combien il lui faut de temps pour sa consécration ; je n’en puis parler que par conjecture, trois ou quatre mois peut-être.
— Trois ou quatre mois ! s’écria madame Jennings, Seigneur ! ma chère, avec quelle tranquillité vous en parlez ! Croyez-vous que le colonel veuille attendre trois ou quatre mois ? Il y a de quoi perdre toute patience. Je suis charmée qu’il saisisse cette occasion de faire quelque bien au pauvre Edward Ferrars ; mais pourtant attendre trois ou quatre mois, pour lui c’est un peu fort. Il aurait facilement trouvé quelque ecclésiastique qui ferait tout aussi bien et qu’on aurait pu avoir tout de suite.
— Oui, ma chère dame, dit Elinor, on en trouverait beaucoup ; mais le seul motif du colonel Brandon est d’être utile à M. Ferrars, et non pas à quelqu’autre.
— Que le ciel me bénisse ! s’écria la bonne Jenninss en éclatant de rire ; son seul motif ! vous ne me persuaderez pas que le colonel n’ait d’autre motif en se mariant que de donner vingt-cinq guinées à M. Ferrars.
L’erreur ne pouvait pas durer plus long-temps, et l’explication qui eut lieu, les amusa beaucoup sans qu’il y eût rien à perdre ni pour l’une ni pour l’autre. Au contraire madame Jennings échangea un plaisir pour un autre, et sans perdre l’espoir du premier. Allons, dit-elle, à la Saint-Michel j’espère aller voir Lucy dans son presbytère et la trouver bien établie ; et qui sait encore si je ne pourrai pas faire d’une pierre deux coups et visiter en même temps la maîtresse du château ; car cela viendra un jour, je vous le promets ; et vous serez les deux couples les plus heureux qu’il y ait jamais eu au monde.
Elinor soupira ; elle était bien sûre quant à elle de ne pas avoir sa part de ce bonheur.
CHAPITRE XLII.
Après que le triste Edward eut fait au colonel ses remercîmens pour une faveur dont il se serait bien passé, il alla à Holborn faire part de son bonheur à Lucy. Il faut que pendant la route il ait fait sur lui-même des efforts bien extraordinaires, car Lucy assura à madame Jennings, qui vint le jour suivant la féliciter, qu’elle ne l’avait vu de sa vie aussi gai, aussi heureux qu’en lui apprenant cette nouvelle. Son propre bonheur à elle était plus certain. Elle se joignit de grand cœur à l’espoir de madame Jennings d’être établie à la Saint-Michel au presbytère de Delafort ; elle parut aussi très-disposée à croire qu’Elinor s’était intéressée pour eux auprès du colonel ; elle vanta beaucoup son amitié pour elle et pour son futur mari, et déclara qu’il n’y avait rien qu’elle ne pût en attendre, et qu’elle savait que mademoiselle Dashwood ferait tout pour ceux qu’elle aimait. Quant au colonel Brandon, elle dit qu’elle le reverrait comme un Dieu bienfaisant. Madame Jennings ne put alors s’empêcher de dire qu’elle espérait bien qu’il épouserait Elinor, et que ce serait pour eux une grande augmentation de bonheur. Certainement, dit Lucy avec dépit ; mais Edward m’a assuré que le colonel lui procurerait bientôt un meilleur bénéfice ; sans doute je regretterai beaucoup le voisinage d’Elinor, mais il faut avant tout, penser à ce qui est le plus avantageux, et deux cents pièces ne sont pas grand chose. Mais je tâcherai, ajouta-t-elle, de lui faire rendre davantage ; j’ai dit à Edward de me laisser le soin du domaine ; et il y est tout disposé. Pendant qu’il fera et débitera ses sermons, je léverai les dîmes ; j’aurai soin de la laiterie, de la basse-cour, du jardin ; je ferai vendre nos denrées, et quand j’aurai mis de côté pendant l’été une bonne petite somme, je pourrai aller m’amuser à Londres un mois ou deux après Noël. Lorsque vous n’aurez personne pour vous tenir compagnie, ma chère cousine Jennings, je serai fort à votre service. Edward restera à Delafort ; il ne s’ennuie jamais seul. Oh ! comme nous allons être heureux ! c’est dommage seulement qu’il n’ait pas un peu de la gaîté et de la gentillesse de son frère, qui est toujours prêt à rire et à causer, au lieu qu’Edward peut être des heures entières à lire. Moi je ne connais rien de plus ennuyeux ; mais à présent j’aurai assez à faire de mon côté quand je serai là, et je n’y serai pas toujours, etc. etc. Madame Jennings revint à la maison en assurant que Lucy était la plus aimable des filles, et serait la plus heureuse des femmes.
Il y avait au moins une semaine qu’on n’avait aperçu John Dashwood, ni entendu parler de lui. Elinor n’avait point vu sa belle-sœur depuis son indisposition, et jugea qu’elle devait lui faire une visite. Cette obligation n’était rien moins qu’un plaisir ; et elle n’y fut point encouragée par ses deux compagnes. Non-seulement Maria refusa absolument d’y aller, en disant qu’elle était plus malade que Fanny, mais elle fit aussi tout ce qu’elle put pour qu’Elinor n’y allât pas. Madame Jennings lui dit que son carrosse était à son service ; mais qu’elle ne l’accompagnerait pas chez une femme dont les airs et la hauteur lui étaient insupportables. J’aurais cependant eu du plaisir, dit-elle, à la voir humiliée et piquée du choix de son frère, à lui dire combien je l’approuve, et à lui apprendre qu’Edward va se marier et n’aura plus besoin d’eux. Mais qui sait si je la trouverais encore aussi fâchée qu’elle veut le paraître ; son orgueil et son avarice doivent se livrer un combat. Elle est blessée que sa belle-sœur ne soit pas la fille d’un lord ; mais elle est bien aise peut-être de l’espoir d’avoir sa part de l’héritage de son frère. Oh ! l’odieuse femme, et que je vous plains de vous croire obligée de la voir.
La bonne Elinor pensait peut-être de même, mais ne voulut pas en convenir ; elle prit le parti de Fanny autant qu’il lui fut possible, et toujours prête à remplir les devoirs mêmes qui lui coûtaient le plus, elle se mit en chemin pour Harley-Street.
Madame Dashwood fit dire qu’elle n’était pas encore assez bien pour recevoir qui que ce fût. Mais avant que le carrosse eût tourné pour revenir à Berkeley-Street, John Dashvvood sortit de la maison et vint à la portière avec sa manière accoutumée. Il fit un bon accueil à sa sœur ; il lui dit qu’il allait dans ce moment à Berkeley-Street pour la voir, et lui assura que Fanny ne savait sûrement pas que ce fût elle et qu’elle lui ferait grand plaisir ; il l’invita donc à descendre de voiture et à passer quelques momens avec eux. Elinor qui dans le fond aimait son frère se laissait toujours prendre à son air de bonhomie et elle consentit à entrer avec lui. Il la conduisit au salon, où il n’y avait