Jane Austen: Oeuvres Majeures. Джейн Остин

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Jane Austen: Oeuvres Majeures - Джейн Остин


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J’ai fini dans deux minutes, reprit-il. Le billet de Maria me rendit donc le plus infortuné des hommes, en me prouvant son amour et en réveillant tout le mien. Je m’étais persuadé qu’elle m’avait oublié ; j’espérais même apprendre bientôt qu’elle était bien mariée. Je ne voyais plus devant elle et moi que malheur et désespoir. Mais que pouvais-je faire ? Tout était arrangé pour mon mariage ; le contrat passé, les dispenses obtenues, le jour fixé. La retraite était impossible. Tout ce qui me restait à faire était de vous éviter toutes deux ; d’essayer de réparer un peu mes torts en les augmentant, et de prendre plus de peine pour me faire haïr que je n’en avais pris pour me faire aimer. Je ne répondis point au billet de Maria ; je ne parus point chez elle. Cependant un jour où je vous avais vues sortir toutes les trois de la maison, je me décidai d’y porter ma carte pour agir plus naturellement.

      — Vous nous aviez vues ! où ? comment ?

      — Tous les jours, et, souvent plus d’une fois par jour, je voyais au moins l’une de vous. Vous seriez surprise si je vous disais tous les moyens que j’employais pour cela, et combien de fois j’ai failli être découvert par les beaux yeux de Maria, qui me cherchaient sans cesse : mon refuge était une boutique, une allée ; mais me passer de voir Maria, non, c’était impossible ! Et cependant j’aurais fui au bout du monde pour qu’elle ne me vît pas ; il ne fallait pas moins que mon étude continuelle pour l’empêcher. Je n’eus garde de me trouver au bal de sir Georges, et le matin suivant je reçus un second billet de Maria. Non, vous ne pouvez vous faire une idée de sa bonté, de sa tendresse ! si affectionnée, si franche, si confiante ! Ah ! comme je me détestais moi-même, comme vous me détesteriez plus encore si vous l’aviez lu !

      — Je l’ai lu, monsieur ; Maria ne m’a rien caché.

      — Vous avez donc vu aussi cette infâme, cette détestable lettre qu’elle ne doit jamais me pardonner, non jamais jusqu’à ce qu’elle sache… J’en reviens à la sienne ; j’essayais d’y répondre, je ne le pus, mon courage m’abandonna. Mademoiselle Dashwood, ne me refusez pas votre pitié ; avec la tête et le cœur pleins de votre sœur, à qui je pensais sans cesse, je devais faire ma cour à une autre femme, paraître empressé, paraître heureux ! Ce ne fut pas tout encore. Vous vous rappelez cette maudite assemblée où nous nous rencontrâmes ? non, l’agonie n’est rien auprès de ce que je souffrais. D’un côté, Maria, belle comme tous les anges, appelant son Willoughby, me tendant la main, me demandant une explication avec son regard enchanteur attaché sur moi ; de l’autre côté, Sophie jalouse comme le diable, regardant tout avec une audacieuse curiosité, m’appelant d’un ton impératif. J’étais en enfer, et je m’échappai aussitôt qu’il me fût possible, mais non pas sans avoir vu la pâleur de la mort sur le visage céleste de Maria. Ce fut le dernier regard que je jetai sur elle ; je ne l’ai plus revue que dans ma pensée, où toujours elle se présente ainsi. Non, Elinor, quand vous l’avez vue mourante, elle n’a pu vous faire plus d’impression ; mais vous me jurez qu’elle est mieux, qu’elle est hors de danger.

      — Je l’espère.

      — Et votre pauvre mère qui l’idolâtre, elle ne lui aurait pas survécu non plus. Adieu, je pars : dites-moi seulement que je vous suis moins odieux, que vous le direz à Maria.

      — Et cette lettre, monsieur, qui faillit aussi lui ôter la vie, cette lettre que vous eûtes la barbarie de lui envoyer en réponse à sa dernière, comment pouvez-vous la justifier ?

      — Par un seul mot que je répugnais à dire… Elle n’est pas de moi. Qu’est-ce que vous pensez du style de ma femme ? n’est-il pas délicat, tendre ? n’est-il pas… ?

      — De votre femme ! C’était votre écriture.

      — Oui, j’eus l’indigne faiblesse de la copier. Il faut en finir, me dit-elle, avec Maria ou avec moi : choisissez. Le choix ne m’était plus permis ; sa fortune était nécessaire à mon honneur, à mes engagemens : et voilà où une indigne prodigalité m’avait conduit ! Pour éviter une rupture il fallut en passer par où elle voulait ; copier sous ses yeux cette lettre où je rougissais de mettre mon nom ; me séparer des billets, de la boucle de cheveux de Maria. Le porte-feuille qui les renfermait dut être livré à Sophie, et mes trésors renvoyés comme vous l’avez vu, sans pouvoir seulement les couvrir de mes baisers et de mes larmes. Malheureusement la dernière lettre de Maria me fut remise chez miss Grey, pendant que je déjeunais avec elle ; la forme, l’élégance du papier, l’écriture réveillèrent ses soupçons déjà excités par la scène de l’assemblée. C’est de votre beauté campagnarde, me dit-elle ; voyons son style. Elle l’ouvrit, la lut, fit la réponse, m’obligea de la copier, de lui livrer ce que j’avais de Maria ; et j’obéis dans une espèce de désespoir qui me faisait trouver une sorte de plaisir à me ruiner tout-à-fait dans l’opinion de cet ange, que rien n’avait pu détacher de moi, et qui allait enfin me repousser entièrement de son cœur et de sa pensée. Mon sort était décidé ; tout le reste me parut indifférent. Je fus bien aise qu’on m’eût dicté ce que je n’aurais jamais pu dire de moi-même, et d’avoir une raison de plus de mépriser, de haïr, celle…

      — Arrêtez, M. Willoughby, dit Elinor, c’en est assez ; je n’entendrai pas un mot de plus contre une femme qui est la vôtre, que vous avez choisie volontairement, à qui vous devez votre bien-être, votre fortune, et qui au moins a droit, en échange ; à vos égards, à votre respect. Sans doute elle vous est attachée, puisqu’elle vous a épousé ; parler d’elle avec cette légèreté, vous rend très-blâmable et ne vous justifie de rien avec Maria.

      — Ne me parlez pas de madame Willoughby, reprit-il avec un profond soupir ; elle ne mérite pas votre compassion. Elle savait fort bien que je ne l’aimais pas ; si elle a voulu m’épouser, c’est qu’elle savait aussi que mes folies de jeunesse m’avaient mis dans l’affreuse dépendance de mes créanciers, et qu’elle voulait un mari qui fût dans la sienne, et qui cependant, à quelques égards, pût flatter sa vanité : elle a cru trouver cela réuni chez moi, et me fait payer bien cher son maudit argent. À présent, me plaignez-vous, mademoiselle Dashwood ? Suis-je d’un degré moins coupable à vos yeux que je ne l’étais avant cette explication ? Voilà ce que je vous conjure de me dire. — Oui, monsieur, je l’avoue ; vous avez certainement un peu changé mon opinion sur vous, et je vous trouve moins coupable que je ne le croyais, quoique vous le soyez beaucoup encore, mais plus par la tête que par le cœur ; le vôtre n’est pas méchant, et vous vous êtes rendu trop malheureux vous-même pour qu’on puisse vous haïr.

      — Voulez-vous donc, me promettre de répéter ce que vous venez de me dire à votre sœur, quand elle pourra vous entendre ? Rétablissez-moi dans son opinion comme je le suis dans la vôtre. Vous dites qu’elle m’a déjà pardonné ; laissez-moi me flatter qu’une meilleure connaissance de mon cœur, de mes sentimens actuels, me vaudra de sa part un pardon plus entier et mieux mérité. Dites-lui ma misère et ma pénitence ; dites-lui que jamais je n’ai été inconstant pour elle ; et si vous le voulez, dites-lui que, dans ce moment même, elle m’est plus chère que jamais.

      — Je lui dirai, monsieur, tout ce qui sera nécessaire pour calmer son cœur et vous justifier sur quelques points. Puisse cette assurance adoucir vos peines ! D’ailleurs je crois que cela dépend aussi de vous. Adieu, monsieur, la soirée s’avance, et cet entretien s’est trop prolongé. Un mot encore cependant avant de nous séparer : comment avez-vous appris la maladie de ma sœur ?

      — De sir Georges Middleton, que je rencontrai par hasard hier au soir dans le passage de Drury-lane. C’est la première fois que je le voyais depuis deux mois ; je mettais du soin à éviter tout ce qui pouvait me rappeler le nom de Dashwood ; et lui, plein de ressentiment contre moi depuis mon mariage, ne me cherchait pas non plus. Cette fois il ne put résister à la tentation de m’aborder, pour me dire ce qu’il croyait devoir me faire beaucoup de peine. Sa première parole fut de m’apprendre brusquement que Maria Dashwood était mourante à Cleveland, d’une fièvre nerveuse et putride ; qu’une lettre de madame Jennings, reçue ce même matin, disait le danger imminent ; que les Palmer avaient fui la contagion. Grand Dieu ! quelle accablante nouvelle


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