Jane Austen: Oeuvres Majeures. Джейн ОÑтин
Читать онлайн книгу.m’ont donnés, je m’étonne de mon rétablissement, je m’étonne que la vivacité de mon désir de vivre pour expier mes torts envers Dieu et envers vous toutes ne m’ait pas tuée. Si j’étais morte, dans quelle douleur vous aurais-je laissée, vous ma sœur, mon amie, ma fidèle et bonne garde, qui étiez en quelque sorte responsable de ma vie à notre mère ; vous qui aviez vu le chagrin, le désespoir des derniers temps de mon existence, et tous les coupables murmures de mon cœur, la détruire peu à peu ! Comment aurais-je occupé votre souvenir ! Quels sentimens cruels, amers, auriez-vous eus toute votre vie en vous rappelant votre pauvre Maria ! Et notre bonne maman que vous auriez eu la pénible tâche de consoler, sans pouvoir peut-être y réussir ! Ah ! combien j’avais été coupable en désirant, en provoquant la fin de ma vie ! Combien je m’abhorrais moi-même ! Quand je regarde ma conduite passée, je n’y vois que des devoirs négligés, des faiblesses et des torts. Chacune de mes connaissances était en droit de se plaindre de moi. La continuelle bonté de l’excellente madame Jennings, je l’ai payée d’un ingrat mépris, d’une négligence impardonnable ; avec les Middleton, les Palmer, même les Stéeles, j’ai été insolente et souvent injuste ; et ce digne colonel Brandon ! combien n’ai-je pas de reproches plus cruels encore à me faire ? Je m’endurcissais le cœur contre toutes nos connaissances ; je m’irritais, moi-même de leurs attentions ; je leur cherchais des défauts, des ridicules. Avec John, avec Fanny même, quelle qu’ait été leur conduite, je n’ai pas été comme j’aurais dû l’être avec le fils de mon père ; j’envenimais leurs torts au lieu de les pallier. Mais vous, mon Elinor, mon incomparable amie, mais ma mère, la meilleure des mères ! combien vous ai-je tourmentées de mes peines ! Moi qui connaissais votre cœur, votre attachement sans borne pour moi, qui devait me consoler de tout ; quelle influence a-t-il eue sur mes chagrins ? Aucune ; je m’y suis livrée tout entière, sans penser combien je vous affligeais inutilement, et sans le moindre avantage pour vous ou pour moi-même. Je me croyais bien sensible, et je n’étais qu’une égoïste. Votre exemple, Elinor, était devant moi ; l’impression qu’il me fit ne fut que momentanée ; et je me replongeai bientôt dans ma mélancolie, sans penser combien elle augmentait vos peines. Ai-je cherché à imiter votre courage, à diminuer votre pénible contrainte, en partageant tout ce que la complaisance ou la reconnaissance vous obligeait à faire, et dont je vous ai laissée entièrement chargée sans vous aider en rien ? Non, pas plus quand je vous ai sue aussi malheureuse que moi, que lorsque je vous croyais heureuse. J’ai rejeté loin de moi tout ce que le devoir et l’amitié me prescrivaient, accordant à peine qu’il pût exister d’autres chagrins que les miens, regrettant seulement celui qui m’avait abandonnée et trompée, qui avait médité ma perte, et vous laissant souffrir pour moi, sans m’en inquiéter, vous pour qui je professais une amitié si tendre, et qui m’en montriez une si dévouée,… Oh ! mon Elinor, votre cœur me pardonnera, je le sais ; mais le mien me reprochera toute ma vie une conduite aussi condamnable.
Ses pleurs et ses sanglots l’empêchèrent de continuer. Elinor y mêlait les siens et les plus tendres caresses ; et, sans trop la flatter, sans nier la vérité des reproches qu’elle se faisait à elle-même, elle se plaisait à les adoucir, à lui répéter combien sa franchise et son noble repentir les effaçaient, à la relever à ses propres yeux. Maria serra tendrement sa main, en lui disant : Vous êtes trop bonne, chère Elinor. L’avenir seul peut tout réparer, et il le fera. J’ai formé un plan de vie, et je le suivrai. Tous mes sentimens seront gouvernés par la raison ; et mon caractère naturel, qui n’est pas mauvais, quoique ma conduite l’ait été, s’améliorera encore ; il ne sera plus un tourment pour les autres et une torture pour moi-même. Je vivrai seulement pour ma famille. Ma mère et mes sœurs seront le monde pour moi, et c’est bien assez pour m’y attacher et me faire aimer la vie, où j’ai une si bonne part de douces affections pour de chers objets qui ne me tromperont jamais. Vous les partagerez entre vous. Je n’aurai pas, j’en suis bien sure, le moindre désir de m’éioigner de la maison et de vous quitter ; mais je vous suivrai dans la société de nos amis et de nos voisins, pour y réparer mes torts, pour y être plus humble, plus douce, plus attentive, et prouver que mon cœur est changé, à cet égard du moins ; car je n’ose dire encore, je n’ose promettre qu’il oublie jamais entièrement… Mais je ne ferai rien pour entretenir un sentiment qui serait coupable ; au contraire, j’emploierai toutes mes forces à le combattre, et j’espère y réussir. Si je ne puis parvenir à l’anéantir complètement, je puis au moins le régler, le tenir en bride par la religion, par la raison, par une constante application, et par l’étude.
Elle s’arrêta, puis elle ajouta d’une voix basse : S’il m’était possible seulement de connaître son cœur, de savoir quels ont été ses projets, je serais tout-à-fait contente.
Elinor ne balança plus à lever ce voile, et y fut complètement entraînée, puisqu’elle le pouvait sans hasarder la paix de sa sœur, et au contraire avec l’espoir de la lui rendre en entier. Elle la fit asseoir à côté d’elle sur un gazon assez sec pour n’avoir rien à craindre pour sa santé, et la pria de l’écouter.
Elle ménagea son récit avec adresse et précaution, à ce qu’elle croyait du moins ; mais dès qu’elle eut nommé Willoughby, le visage de Maria s’altéra visiblement. Grand dieu ! c’était lui, s’écria-t-elle ; vous l’avez vu à Cleveland, si près de moi ?… Elle ne put rien dire de plus, mais fit signe à sa sœur de continuer. Elle tremblait ; ses jeux étaient fixés vers la terre ; ses lèvres devinrent aussi pâles que le jour qu’on désespérait de sa vie ; des larmes coulaient sur ses joues décolorées, et sa main pressait celle de sa sœur, qui lui racontait cette visite, mais non pas précisément comme on l’a lue. Elle se contenta de lui dire exactement, tout ce qui pouvait, à quelques égards, justifier Willoughby. Elle rendit justice à son repentir, et ne parla de ses sentimens actuels que pour faire connaître son respect et sa parfaite estime. À mesure qu’elle avançait dans sa narration, la physionomie de Maria reprenait un peu de sérénité. Elle releva ses yeux et les porta d’abord sur sa sœur, puis vers le ciel : Mon dieu ! dit-elle quand Elinor eut fini, combien je vous rends grâce ! je ne désire rien de plus. Puissé-je être digne de l’excellente sœur que vous m’avez donnée ! Elles s’embrassèrent tendrement et reprirent le chemin de la maison, d’abord en silence ; ensuite Maria hasarda faiblement quelques questions sur Willoughby. Elinor lui dit tout ce qu’elle désirait savoir. Elles ne parlèrent que de lui jusqu’à la porte de la maison. Dès qu’elles y furent entrées, Maria jeta encore ses bras autour du cou de sa sœur, la remercia, et lui dit en la quittant : Chère Elinor, dites tout à maman ; ensuite elle monta l’escalier et se retira dans sa chambre. Elinor trouva fort naturel qu’elle eût besoin de quelques instans de solitude, et avec un mélange de sentimens doux et pénibles, elle entra auprès de sa mère pour remplir la commission de Maria.
CHAPITRE XLIX.
Madame Dashwood n’entendit pas sans émotion l’apologie de son premier favori ; elle se réjouit de ce qu’il était justifié du plus grand de ses torts, celui d’avoir eu le projet de séduire Maria. Elle était fâchée de son malheur ; elle voudrait apprendre qu’il fût heureux. Mais… mais le passé ne pouvait s’oublier. Rien ne pouvait faire qu’il n’eût pas été vain, égoïste, inconstant, intéressé ; rien ne pouvait le rendre sans tache aux yeux de la mère de Maria ; rien ne pouvait effacer le souvenir des souffrances de cette fille chérie, du danger dont elle sortait à peine ; rien ne pouvait le justifier de sa conduite coupable envers Caroline ; rien ne pouvait lui rendre la première estime de madame Dashwood, ni nuire aux intérêts du colonel. Si madame Dashwood avait, comme Elinor, entendu l’histoire de Willoughby de sa propre bouche ; si elle avait été témoin de son affliction, et sous le charme de ses manières et de sa belle figure, il y a toute apparence que sa compassion aurait été plus grande. Mais il n’était ni au pouvoir ni dans la volonté d’Elinor de rendre en entier à Willoughby la trop vive prévention de sa mère, de faire même éprouver à cette dernière l’espèce de pitié inutile, douloureuse, presque