Jane Austen: Oeuvres Majeures. Джейн Остин

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Jane Austen: Oeuvres Majeures - Джейн Остин


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dès que je serais en âge. Je lui en donnai mille fois l’assurance, et de bouche, et par écrit ; mais je n’allai pas plus loin, et j’aurais regardé comme un crime d’avoir une autre idée. Lucy m’aimait-elle alors comme je l’aimais, ou l’espoir de partager ma fortune et de briller à Londres, était il son seul mobile ? Ce n’est que depuis peu que je me suis permis ce doute. Elle jouait si naturellement l’amour passionné et désintéressé que, même depuis que j’ai été éclairé sur ses défauts, je n’eus jamais le moindre soupçon sur ses sentimens.

      Je passai trois ans chez M. Pratt. J’en avais dix-huit quand mes tuteurs exigèrent de ma mère que je fusse rappelé chez elle. Je partis de Longstaple, formant le projet d’une constance éternelle, la jurant à Lucy, et pouvant à peine par mes sermens répétés apaiser un peu sa douleur que je partageais de toute mon ame. Mais je n’avais que dix-huit ans, et à cet âge les sermens d’un jeune homme ont peu de valeur. Je suis convaincu que si ma mère m’avait alors voué à quelque état qui demandât de l’activité ou de la réflexion, que si mon temps avait été employé de manière à me tenir au moins quelques mois éloigné de Lucy, j’aurais fini, comme tous les jeunes gens de mon âge, par oublier cette inclination d’enfance, qui n’était rien moins que fondée sur la sympathie, et qui existait bien plus dans l’imagination que dans le cœur. Mais au lieu de m’adonner à un état, ou de me permettre d’en choisir un, je revins à la maison complètement désœuvré. Ma mère ne me grondait plus, mais ne faisait nulle attention à moi. La plus entière indifférence avait succédé à sa sévérité. Elle ne songea pas même à me présenter dans le monde, et me laissa absolument livré à moi-même et à mon oisiveté. Robert au contraire était de toutes ses sociétés, et donnait dans tous les travers et l’extravagance de la mode. L’excès de sa fatuité m’inspira naturellement une extrême aversion pour son genre de vie, et me rendit toujours plus sauvage et plus réservé. Peut-être à cette époque ai-je quelque obligation à l’amour que je croyais avoir pour Lucy, et au goût de l’étude que j’avais pris chez son oncle. Ma mère ne faisant rien pour me rendre la maison agréable, abandonné à moi-même, ne trouvant dans mon frère ni un compagnon, ni un ami, j’aurais pu facilement chercher des distractions dangereuses. Mais la seule que je me permettais était de fréquens voyages à Longstaple, que je regardais comme ma demeure, et ceux qui l’habitaient, comme ma famille ; où j’étais toujours bien venu ; où Lucy me paraissait toujours plus tendre et plus aimable ! c’était encore la seule femme que j’eusse vue ; je ne pouvais donc faire aucune comparaison, ni m’apercevoir d’aucun de ses défauts. Auprès de sa sœur Anna et de sa tante Pratt, je la trouvais un miracle d’esprit et de beauté, et chaque fois que je la voyais, je confirmais mes engagemens de l’épouser. Ainsi s’écoula toute une année. Quand j’eus dix-neuf ans, on crut convenable de me faire passer un ou deux ans à l’université d’Oxford. Mon frère était alors à Westminster. Ce fut pendant ce temps-là que notre sœur Fanny, avec qui je m’étais cependant assez lié pendant les dernières années, épousa votre frère, M. John Dashwood. Je ne fus pas à leur noce ; mais lorsqu’à vingt-un ans je quittai Oxford, mon premier soin fut d’aller la voir à Norland, dont ils venaient d’hériter… Ah ! chère Elinor, c’est là où je devais apprendre à connaître un sentiment bien différent de celui que je croyais avoir pour Lucy, et qui s’était déjà fort affaibli par l’absence ; c’est-là que voyant continuellement la plus aimable des femmes, je sentis que ce que j’avais pris jusqu’alors pour de l’amour, n’était qu’une effervescence de jeunesse, et que j’avais trouvé l’objet qui doit m’attacher pour la vie. Chacune des perfections d’Elinor me découvrait un défaut dans Lucy, dans celle avec qui j’étais engagé, et qui devait être ma compagne. Avant de venir à Norland ; j’avais fait une course à Longstaple. Déjà, comme si c’eût été un pressentiment, Lucy m’avait paru moins aimable. Elle écrit mal ; son style est commun, dépourvu d’idées ; son orthographe est mauvaise, et notre correspondance soutenue pendant que j’étais à Oxford avait plutôt affaibli qu’augmenté mon amour. Mais en la retrouvant plus tendre, plus empressée qu’elle ne l’avait encore été, je crus avoir un tort envers elle, et je voulus le réparer par un engagement positif de l’épouser lorsque je le pourrais.

      Pouvais-je, chère Elinor, dans ces circonstances, vous offrir un cœur qui ne tarda pas à vous appartenir en entier ? J’aurais dû vous fuir sans doute ; mais l’entraînement était trop fort, trop puissant. Je connaissais trop mon peu de moyens de plaire, pour imaginer qu’il y eût quelque danger pour vous, et me condamnant au silence, je crus qu’il m’était permis de jouir dans votre société des derniers momens de bonheur de ma vie. Vous partîtes pour Barton, et le vide affreux, le désespoir que j’éprouvai loin de vous, me suggéra une démarche qui devait me rendre ma liberté ; c’était de parler à Lucy avec franchise de l’état actuel de mon cœur. Je cédai à cette idée après quelques combats, et préférant lui parler moi-même, que de lui faire savoir par une lettre qu’elle aurait pu feindre de n’avoir pas reçue, j’allai à Longstaple où elle était alors, et j’eus avec elle un entretien où rien ne lui fut caché. Elle dut voir combien je vous adorais sans vous l’avoir jamais dit ; elle dut voir combien je serais malheureux, séparé de vous, uni à une autre femme ! Alors elle mit tout en jeu ; larmes, évanouissement, tendresse, reproches, prières, menaces, rien ne fut négligé. Elle parla à ma conscience. Enfin le résultat de cette visite, d’où j’avais espéré mon bonheur, fut de renouveler mes engagemens avec elle, et de la quitter le plus infortuné des hommes. En partant elle me mit au doigt un anneau de ses cheveux, et me fit jurer de le porter. Vous daignerez peut-être vous rappeler, mon Elinor, l’état où j’étais lorsque je vins à la chaumière. Nos relations de famille ne me permettaient pas de passer si près de vous sans vous voir, et je désirais vous faire tacitement un dernier adieu. Je ne voulais rester qu’un jour, et j’y fus une semaine ; ce fut pour y éprouver encore l’ascendant d’un sentiment vrai et profond. À côté de vous je ne pouvais penser qu’à vous-même, et j’étais heureux. Il fallut m’arracher à cet enchantement, il fallut vous quitter… Vous savez le reste, comme Anna trahit notre secret, et comme ma mère en voulant m’obliger à épouser mademoiselle Morton, me força à déclarer moi-même mes anciens engagemens avec Lucy. Je savais par elle qu’ils étaient connus de vous. Elle m’avait assuré que vous y preniez intérêt, que vous les regardiez comme sacrés. Ah ! cela seul m’aurait engagé à les tenir ; mon seul dédommagement était de mériter votre estime. Qu’aurais-je d’ailleurs gagné à les rompre, puisque j’étais sûr qu’alors je n’aurais plus rien été pour vous ? Je me résignai donc à mon sort, et je fis le sacrifice de ma famille, de ma fortune et de toutes mes espérances de bonheur sur cette terre, à une personne que je n’aimais plus ; et qui par ses procédés avec vous m’avait dévoilé son caractère.

      Voilà mon histoire ; celle de mon frère et de Lucy m’est moins connue. Je ne puis en juger que d’après leur caractère et les lettres qu’ils m’ont écrites, et que je vous montrerai. De tout temps Robert a affecté un grand mépris pour moi et pour ma tournure. La pensée que j’avais pu plaire à une jolie femme, a dû naturellement exciter sa vanité et lui donner l’idée de l’emporter sur moi, et de me souffler cette conquête. Quand Lucy alla demeurer chez ma sœur, je la blâmai de l’avoir accepté, et j’eus soin de m’y trouver très-peu ; Robert au contraire y était sans cesse. Il ignorait notre liaison ; mais certainement Lucy lui plaisait, parce qu’elle encensait sa vanité en le flattant avec excès. Sans doute aussi son élégance et son jargon plaisaient davantage à Lucy que ma timide simplicité. La grande découverte arriva. Je fus déshérité ; ma mère donna tout de suite à Robert ce qu’elle me destinait, et dès-lors il plut encore davantage à une femme vaine, intéressée, et qui de ce moment forma le projet de chercher à se l’attacher, mais en me ménageant encore dans le cas où elle n’y pourrait réussir. Mon absence lui donnait la facilité de suivre à merveille ce double plan. Je lui avais déclaré que notre mariage n’aurait lieu que lorsque je serais consacré et que j’aurais un presbytère. La générosité du colonel Brandon leva cet obstacle. Vous fûtes chargée de me l’apprendre, et vous dûtes voir que j’en fus plus peiné que satisfait ; mais je n’avais pas encore les ordres, et je


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