Le Leurre Zéro. Джек Марс
Читать онлайн книгу.en qualité de vice-présidente, alors qu’il aurait dû s’agir d’une simple mission de routine. Mais plus encore, elle redoutait que la paix avec un des pays du Moyen-Orient ne signifie la guerre avec un autre.
« Quelle insolence ! » tempêta Basheer en arabe alors qu’il faisait les cent pas dans l’antichambre. « Cette audace ! Voilà pourquoi l’Amérique est en train de s’effondrer. Voilà pourquoi ils s’effondrent. Rutledge est faible. Cette femme est insupportable. Si elle avait été saoudienne, je l’aurais faite exécuter publiquement ! »
Le cheikh n’avait pas bougé de sa position depuis plusieurs minutes, malgré le désir qui l’avait étreint de faire glisser la fine lame cachée dans sa manche pour trancher la gorge de la politicienne américaine. Il traversa la pièce en de longues enjambées pour se tenir auprès de son roi. « Patience, votre Altesse. Ce n’est pas le moment de perdre votre sang-froid. C’est le moment d’agir avec discipline et tact. »
Basheer approuva d’un hochement de tête, bien que ses lèvres étaient encore frémissantes de colère. « Oui, approuva-t-il. Oui, tu as raison. Bien sûr. »
En temps normal, un cheikh tribal comme Salman n’aurait jamais pu être aux côtés du roi. Mais tandis que d’autres s’étaient attirés les faveurs de Ghazi, Salman avait anticipé et porté son attention sur son fils aîné, Basheer, qui deviendrait un jour roi. Depuis les seize ans du garçon, Salman avait utilisé toutes les opportunités qui s’étaient présentées pour influencer ses décisions. De lui rappeler sa grandeur. De le persuader qu’il serait un roi bien plus puissant que son père. De le convaincre de la nécessité absolue de la chute de l’occident et de l’expansion du royaume saoudien. Salman ne souhaiterait jamais, ne pourrait jamais être roi, mais il pouvait se tenir aux côtés du roi, et son nom serait ainsi connu du monde entier.
« J’ai bien peur d’avoir réagi précipitamment, marmonna Basheer. Ce ne sera pas de bon augure pour nous.
– Bien au contraire, le rassura Salman. Vous avez fait preuve d’une forte volonté. À présent vous devez agir avec cette même volonté.
– Mais comment ? Dis-moi comment ! l’implora Basheer. S’ils réussissent à conclure un traité avec l’Iran, nous n’aurons plus d’alliés. Nous passerons pour des idiots aux yeux du monde entier. Nous ne pouvons pas nous opposer à l’armée américaine. Nous ne pouvons pas nous permettre une guerre contre eux.
– Non, admit Salman en posant une main frêle sur l’épaule du jeune roi. Nous ne le pouvons pas. Mais nous n’en aurons pas forcément besoin. Nous avons un plan, Altesse, un plan qui est déjà en marche. Et une fois accompli, l’Occident apprendra une douloureuse leçon… et le monde assistera à notre ascension. »
CHAPITRE TROIS
Don’t worry
About a thing,
’Cause every little thing…
’Cause every little thing…
« Bon sang, murmura Zéro. Tu la connais pourtant. » Il avait siffloté l’air tout en récitant les paroles dans sa tête – les filles lui avaient demandé à de nombreuses reprises d’arrêter de chanter – mais jamais il n’avait buté sur ces paroles-là auparavant. « C’est quoi déjà ?
– Tu parles tout seul ? » lui demanda Sara tandis qu’elle entrait dans la petite cuisine de l’appartement de Zéro à Bethesda, dans le Maryland. Elle portait un ample tee-shirt, ses cheveux blonds ébouriffés et emmêlés formaient une masse informe sur sa tête et, à en juger aux traces noires sous ses yeux, elle avait oublié (ou négligé) de se démaquiller la nuit précédente.
« Évidemment ! » Zéro lui déposa un baiser sur la tête tandis qu’elle ouvrait la porte du frigo. « Bonjour chérie !
– Mm », marmonna Sara en guise de réponse tout en sortant le pichet de jus d’orange. Elle était restée avec Zéro depuis Thanksgiving, depuis qu’elle s’était enfuie de la clinique de désintoxication dans laquelle il l’avait envoyée. Elle avait terminé sa fugue sous un des pontons du bord de mer, où une transaction avec un dealer avait mal tourné et lui avait presque valu d’être kidnappée. Elle avait seize ans, presque dix-sept à présent se rappela-t-il, bien que ses traits soient suffisamment matures pour qu’on lui donne quelques années de plus. C’était assez douloureux de voir que ses filles grandissaient, sans compter que le traumatisme qu’elle avait traversé l’avait fait mûrir prématurément, mais plus douloureux encore était de voir à quel point sa cadette ressemblait de plus en plus à sa mère.
« Qu’est-ce que tu prépares ? demanda-t-elle en se penchant par-dessus son épaule pour voir le contenu de la poêle.
– Oh, ça ? Ceci, ma chère, est une frittata. » Zéro saisit la poêle à frire, la secoua deux fois, puis retourna la frittata en la faisant sauter en l’air d’une manière experte.
Sara remua son nez. « On dirait une omelette.
– C’est presque une omelette. Une omelesque, si tu préfères. Comme si une pizza et une omelette avait eu un bébé. Une frittata.
– Oh mon Dieu arrête de dire…
– Frittata.
Sara leva les yeux au ciel tout en avalant une longue gorgée de son jus d’orange. « Tu es trop bizarre ! »
« Hé, Pouêt-Pouêt », déclara Maya en entrant dans la cuisine. « Donne-m’en un peu. » Elle portait un short, un sweat à capuche, des tennis et un bandeau autour du front. Ses cheveux noirs étaient coupés très court, au carré, une “coupe pixie” comme disaient les jeunes, et tandis que les traits de sa jeune sœur rappelaient ceux de sa mère, le visage de Maya se rapprochait plus de celui de Zéro.
Maya séjournait également chez Zéro, faisant de l’appartement deux pièces un endroit chaleureux mais où l’on se sentait quelque peu à l’étroit. Ses filles, qui avaient presque dix-sept et dix-neuf ans respectivement, partageaient l’une des chambres, ce dont elles ne s’étaient pas encore plaintes une seule fois. Zéro attribuait cela au temps qu’elles avaient passé séparées, Sara vivant en Floride et Maya étant enrôlée à West Point. Mais son aînée n’y avait pas terminé son premier semestre, et à présent, elle prenait le même chemin pour le deuxième. Bien qu’il n’ait pas encore abordé le sujet, il espérait qu’elle finirait par y achever son cursus.
Sara passa le jus d’orange à Maya, qui en prit une bonne lampée. « Maya, tu ne trouves pas que Papa est bizarre en ce moment ?
– Tu veux dire plus que d’habitude ? Ouais. Carrément.
– Premièrement, dit Zéro, Prenez un verre. Je n’ai pas élevé des sauvages. Et deuxièmement, comment ça je suis bizarre ?
– Tu n’arrêtes pas de chanter, dit Maya.
– J’ai arrêté de le faire dès que tu me l’as demandé.
– Maintenant tu n’arrêtes pas de siffloter, répliqua Sara.
– Et quel mal y a-t-il à siffloter ?
– Est-ce que tu es en train de faire une frittata ? demanda Maya.
– Il n’arrête pas de cuisiner, dit Sara comme s’il ne se trouvait même pas dans la pièce.
– Ouais, acquiesça Maya. C’est comme s’il était… plus heureux.
– Et en quoi est-ce bizarre ? protesta Zéro.
– Dans cette famille ? railla Sara. C’est bizarre.
– Ouche ! Zéro posa la main sur son cœur en simulant une crise cardiaque. Je suis navré d’essayer d’enrichir la vie de ceux que j’aime.
– J’y crois pas ! susurra Sara à sa sœur.
– Où étais-tu