Journal d'un bourgeois de Paris, 1405-1449. Anonyme
Читать онлайн книгу.clarté dedens les celiers. Et le XXIIIIe jour ensuivant, fut commandé par trestous les [fevres [88]] et marechaux [89] de Paris et chauderonniers que on feist des chaisnes [90] comme autresfoiz avoient esté, et lesdiz ouvriers de fer commancerent le lendemain et ouvrerent festes et dimenches et par nuit et jour. Et le XXVIe jour dudit moys de septembre, fut crié [91] parmy Paris que, qui auroit puissance d'avoir armeure, si en achetast pour garder la bonne ville de Paris.
3. Et le Xe jour d'octobre ensuivant, jour de sabmedi, vint telle esmeute en la ville de Paris, comme on pouroit gueres veoir sans savoir pourquoy; mais on disoit que le duc d'Orleans estoit à la porte de Sainct-Anthoine à toute sa puissance, dont il n'estoit riens; et les gens du duc de Bourgongne s'armerent, car les gens de Paris furent si esmeuz, comme ce tout le monde feust contre eulx et les voulsist destruire, et si ne sceut on oncques pourquoy ce feust.
[1408.]
4. ..... dont il leur print mal, car il en mourut là plus de XXVI mil, et fut le XXIIIe jour de septembre cccc et huit, et en tant que la guerre dura, par feu, par fain, par froit, à l'espée plus de XIIIIm; or sont bien quarante mil [92].
5. Le XVIe jour de novembre ensuivant, à ung sabmedi, les davantdiz signeurs, c'est assavoir Navarre, Loys, etc., enmenerent le roy à Tours, dont le peuple fut moult troublé; et disoient bien que, ce le duc de Bourgogne eust (esté) icy, qu'ilz ne l'eussent pas fait, ainsi le firent; et là fut, que là que à Chartres, XVII sepmaines, et par plusieurs foys y fut le prevost des marchans [93] et des bourgois de Paris, qui y furent mandez, et si n'y arresterent oncques preu pour eulx ne pour le peuple.
[1409.]
6. Le neufviesme jour de mars ensuivant revint le duc de Bourgongne à tout noble gent, et le XVIIe jour dudit moys de mars à ung dymenche amenerent le roy à Paris, qui fut receu le tres plus honnorablement qu'on vit passé à deux cens ans, car tous les sergens, comme du guet, ceulx de la marchandise, ceulx à cheval, ceulx à verge, ceulx de la XIIne avoient diverses livrées toutes especialment de chapperons, et tous les bourgois allerent à l'encontre de lui. Devant lui avoit XII trompettes et grant foueson menestrées, et, partout où il passoit, on crioit [tres joieusement]: «Nouel!» et gectoit on viollettes et fleurs sur lui, et au soir soupoient les gens emmy les rues par tres joyeuse chere, et firent feus tout partout Paris, et bassynoient de bassins tout parmy Paris [94]. Et le lendemain vint la royne et le daulphin, si refust la joie si tres grande comme le jour de devant ou plus, car la royne vint le plus honnorablement qu'on l'avoit oncques veue entrer à Paris depuis qu'elle vint la premiere foys.
7. Le XXVIe jour de juing ensuivant, fut fait le Saint Pere, c'est assavoir Pierre de Candye [95], et le lundi VIIIe jour de juillet ensuivant fut sceu à Paris. On en fist moult noble feste, comme quant le roy vint de Tours, comme devant est dit, et par tous les moustiers de Paris on sonnoit moult fort et toute nuyt aassi.
8. L'an mil IIIIe et IX, le jour de la my aoust, fist tel tonnoyre, environ entre cinq ou six heures au matin, que une ymaige de Nostre Dame, qui estoit sur le moustier de Sainct-Ladre, de forte pierre et toute neufve, fut de tonnoyrre tempestée et rompue parmi le mylieu, et portée bien loing de là; et à l'entrée de la Villette Sainct-Ladre [96] au bout de devers Paris, furent deux hommes tempestez, dont l'un fut tué tout mort, et ses soulliers et ses chausses, son gippon furent touz dessirez, et si n'avoit point le corps entamé; et l'autre homme fut tout afollé.
9. Item, le lundi VIIe jour d'octobre ensuivant, assavoir IIIIe et IX, fut prins ung nommé Jehan de Montagu, grant maistre d'ostel du roy de France, emprès Sainct-Victor, et fut mis en Petit Chastellet; dont il avint telle esmeute à Paris à l'eure qu'on le print, comme ce tout Paris fust plain de Sarazins, et si ne savoit nul pourquoy ils s'esmouvoient [97]. Et le print ung nommé Pierre des Essars, qui pour lors estoit prevost de Paris; et furent les lanternes commandées à alumer, comme autresfois, et de l'eaue à l'uis, et toutes les nuys le plus bel guet à pié et à cheval qu'on vit gueres oncques à Paris, et le faisoient les mestiers l'un après l'autre.
10. Et le XVIIe jour dudit moys d'octobre, jeudy, fut le dessusdit grant maistre d'ostel mis en une charrette, vestu de sa livrée, d'une houppelande de blanc et de rouge, et chapperon de mesmes, une chauce rouge et l'autre blanche, ungs esperons dorez, les mains liées devant, une croix de boys entre ses mains, hault assis en la charrette, deux trompettes devant lui, et en cel estat mené es halles. Là lui on coupa la teste, et après fut porté le corps au gibet de Paris, et pendu au plus hault, en chemise, à toutes ses chausses et esperons dorés, dont la rumeur dura à aucun des signeurs de France, comme Berry, Bourbon, Alençon et plusieurs autres [98].
[1410.]
11. Dont il advint l'année ensuivant mil IIIIc et X, environ la fin d'aoust, que chascun en droit soy admena tant de gens d'armes autour de Paris, que à XX lieues environ estoit tout degasté; car le duc de Bourgongne et ses freres admenerent leur puissance de devers Flandres et Bourgongne, mais ilz ne prenoient que vivres ceulx au duc de Bourgongne ne à ses aidans, mais trop largement en prenoient. Et les gens de Berry et de ses aidans pilloient, roboient, tuoient en eglise et dehors eglise, especialment ceulx au conte d'Armignac et les Bretons [99] dont si grant charté s'ensuivy [de pain] [100], que plus d'un moys, le sextier de bonne farine valloit LIIII frans [ou LX], dont les pauvres gens de ville comme au desespoir, fuoient; et leur firent plusieurs escarmouches et en tuerent moult.
12. Et tout ce n'estoit que pour l'envie qu'ilz avoient, pour ce que les gens de Paris amoient tant le duc de Bourgongne et le prevost de Paris nommé Pierre des Essars, pour ce qu'il gardoit si bien la ville de Paris. Car toute nuyt et toute jour il alloit tout parmy la ville de Paris, tout armé, lui et grant foison de gens d'armes, et faisoit faire aux gens de Paris toutes les nuys le plus bel guet qu'ilz povoient, et ceux qui n'y povoient aller faisoient veiller davant leur maison, et faire grans feuz par toutes les rues jusques au jour, et y avoit quarteniers, cinquanteniers, diseniers qui ce ordonnoient. Dont ceulx de devers Berry tindrent si court ceulx de Paris par devers la porte Sainct-Jacques, Sainct-Marceau [101], Sainct-Michel, que les vignes demourerent à vendenger et les semailles, et plus, à quatre lieues entour de Paris devers lesdictes portes, jusques à la sainct Climent encore vendengeoit-on, et par la grace de Dieu il y avoit tres pou de pouris, car il fist tres bel temps, mays ilz ne se povoient eschaufer es cuves. Et si ne venoit pain à Paris qu'i ne couvenist aller querre à force de gens d'armes par eaue et par terre. Et y avoit ung chevalier logé à la Chappelle-St-Denis, nommé messire Morelet de Betencourt [102], qui alloit querre le pain à Sainct-Brice [103] et ailleurs, lui et ses gens, tant que ce contens dura, qui dura jusques à la Toussains.
13. Et ung pou devant, avoit presché devant le roy le ministre des Mathurins [104], tres bonne personne, et monstra la crualité que ilz faisoient par deffaulte de bon conseil, disant qu'il failloit qu'il y eust des traistres en ce royaulme; dont ung prelat, nommé le cardinal de Bar, qui estoit audit sermon, le desmenty et nomma «villain chien», dont il fut moult hay de l'Université et du commun, mais à pou lui en fu, car il praticoit grandement avecques les autres qui portoient chascun une bende, dont il estoit embassadeur par le duc de Berry, et portoit celle bende [105], et tous iceulx de par luy. Et ce tindrent tellement en celle bende qu'il couvint que ledit prevost fust desposé [106] pour l'envie qu'ilz avoient sur le commun de Paris qu'il gardoit si bien, car aucuns et le plus de la bende [107] cuidoient de certain que on deust piller Paris. Et tout le mal qui ce faisoit de delà, chascun disoit que ce faisoit le conte d'Armignac, tant estoit de malle voulenté plain, et pour certain on avoit autant de pitié de tuer ces gens comme de chiens; et quelconques estoit tué de delà, on disoit: «C'est un Armignac [108]», car ledit conte estoit tenu pour tres cruel homme et tirant et sans pitié. Et certain, ceulx de ladite bende eussent fait du mal plus largement, ce ne fust le froit et la famine qui les fist traictier comme une chose non achevée, comme pour en charger arbitres. Et fut fait environ le VIe jour de novembre mil IIIIc et X3 [109], et s'en alla chascun à sa terre jusques à ce que on les mandast, et qui a perdu si a perdu; mais le royaulme de France ne recouvra la perte et le dommaige qu'ilz firent en vingt ans ensuivant, tant viengne bien.
14. Et en ce temps fut la riviere de Saine si petite, car oncques on ne