Journal d'un bourgeois de Paris, 1405-1449. Anonyme

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Journal d'un bourgeois de Paris, 1405-1449 - Anonyme


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l'ennemi acharné des Armagnacs, il ne cesse d'attaquer les personnages du parti anglo-bourguignon chargés de la direction des affaires, notamment l'évêque de Thérouanne, chancelier de France pour les Anglais, qu'il qualifie «d'homme tres cruel, moult hay du peuple». Après la réduction de Paris sous l'autorité de Charles VII, il s'en prend aux «faulx gouverneurs» et surtout au connétable de Richemont qu'il ne craint pas d'accuser de trahison. Quelle est la cause de cette hostilité systématique? D'où vient que notre chroniqueur parle toujours avec une certaine aigreur de ceux qui sont au pouvoir, tout en respectant la personne du souverain? A nos yeux, le chroniqueur resta toute sa vie homme d'opposition, parce que dévoré d'une ambition démesurée qu'il ne put jamais satisfaire, il brigua constamment les charges officielles sans arriver au but de ses désirs; son rêve, on le voit bien, était d'entrer dans le conseil du roi, et son langage trahit plus d'une fois cette secrète envie. Ouvrez notamment le journal à l'année 1439, vous y verrez notre anonyme se plaindre de l'absence prolongée du roi de France «qui se tenoit tousjours en Berry par les mauvais conseils qu'il avoit»; en 1441, déplorant les excès commis par les gens de guerre, excès encouragés par leurs chefs, il s'écrie: «Ainsi estoit ce roy Charles le VIIe gouverné, voire py que je ne le dy, car ilz le tenoient comme on fait ung enfent en tutelle.»

      Le chancelier Jean Chuffart nous paraît, mieux que tout autre, répondre à ces données du Journal; la haute situation qu'il occupait dans le monde ecclésiastique et universitaire lui permettait de prétendre aux faveurs du souverain dont il avait embrassé la cause après l'expulsion des Anglais. Avec une habileté remarquable, Jean Chuffart avait longtemps d'avance préparé les voies; dans un mémoire politique adressé à la reine Isabeau de Bavière, mémoire qui semble devoir lui être attribué, nous le voyons tracer tout un programme de gouvernement à l'adresse du roi de France [41]. Ce fut peine perdue, jamais Charles VII ne daigna jeter les yeux sur lui et ne songea à l'appeler dans ses conseils; ce prince avait trop conscience du rôle néfaste joué par sa mère pour introduire dans son entourage l'un des conseillers les plus intimes de cette reine; on comprend que mis à l'écart et méconnu, notre anonyme n'ait jamais manqué l'occasion de battre en brèche tous ceux que Charles VII honorait de sa confiance.

      c. L'AUTEUR DU JOURNAL PARISIEN FAIT UN VOYAGE AU SIÈGE DE MEAUX.

      Entre toutes les chroniques du XVe siècle, le Journal parisien des règnes de Charles VI et de Charles VII est celle qui nous fournit les informations les plus précises et les plus détaillées sur le siège de Meaux par les Anglais. Dans le récit palpitant d'intérêt que nous a laissé notre anonyme, il y a une variété et une abondance de renseignements vraiment surprenante, et l'on se demande comment un Parisien, un homme d'église surtout, pouvait connaître avec cette exactitude minutieuse les moindres incidents de ce siège, notamment les exploits sinistres du bâtard de Vauru, racontés dans ce style coloré qui rend si attachante la lecture de notre journal. Ne serait-on pas tenté de croire que notre chroniqueur était témoin oculaire des faits qu'il rapporte? Tout lecteur attentif du journal parisien remarquera l'insistance que met l'auteur à rappeler la présence du roi d'Angleterre au siège de Meaux; à deux reprises différentes il répète que Henri V y passa les fêtes de Noël et des Rois; or nous voyons par les registres capitulaires de Notre-Dame que Jean Chuffart, à qui nous attribuons le journal parisien, fut précisément l'un des chanoines qui, vers le milieu de janvier 1422, eurent mission de se rendre auprès du roi d'Angleterre afin de lui présenter des lettres du chapitre concernant l'élection de Jean Courtecuisse comme évêque de Paris, élection qui n'avait point l'agrément du souverain anglais. N'est-il pas curieux de constater que dans la partie du journal parisien qui coïncide avec l'époque de ce voyage, l'auteur, après avoir dépeint la situation désespérée des laboureurs de la Brie ruinés par les déprédations des Anglais, nous entretient précisément de Jean Courtecuisse, cet évêque de Paris élu par l'Université, le clergé et le Parlement, qui ne pouvait prendre possession de son siège, parce qu'il n'était pas dans les bonnes grâces du roi d'Angleterre? N'est-ce point là une allusion transparente à la mission que venait de remplir le prêtre à qui nous serions redevable du Journal parisien? Si d'une part il est difficile d'admettre que le chroniqueur qui s'étend si longuement sur le siège de Meaux n'ait pas été à même de vérifier personnellement bien des faits, comment supposer d'autre part qu'un homme d'église de Paris se soit hasardé à entreprendre un voyage aussi périlleux en plein pays ennemi, sans être protégé par une délégation d'un caractère officiel analogue à celle dont les chanoines Perrière et Chuffart eurent la charge et l'honneur peu enviables dans ces temps troublés [42]?

      d. L'AUTEUR DU JOURNAL EST UN HAUT PERSONNAGE DE L'UNIVERSITÉ DE PARIS.

      L'une des conditions essentielles que doit remplir l'auteur du Journal parisien est d'appartenir au corps universitaire, non à un titre infime, mais dans un rang éminent; c'est du reste ce que laisse entrevoir le passage bien connu où le narrateur se compte lui-même parmi les membres les plus considérables de l'Université. D'après le sentiment du président Fauchet, exprimé dans une note mise à la marge du manuscrit de Rome, l'auteur de notre journal devait être un homme d'église ou docteur de quelque faculté. Si tout chez notre chroniqueur annonce l'homme d'église, il ne s'ensuit pas nécessairement, comme l'ont supposé Étienne Pasquier et Denis Godefroy [43], qu'il doive être un théologien; on pourrait citer plus d'un chanoine de Notre-Dame n'ayant aucun grade en la faculté de théologie. Ceci posé, voyons si le chanoine-chancelier de Notre-Dame se trouve dans les conditions requises.

      Lors de sa réception comme chanoine en 1420, Jean Chuffart prend le titre de maître ès-arts et licencié en décret. Dès cette époque il occupait dans le corps universitaire une situation considérable, car l'année suivante il était appelé au poste de recteur pour le quartier d'octobre à décembre (1421). A cette occasion, Jean Chuffart fit demander aux chanoines ses confrères la continuation des distributions capitulaires qu'il devait perdre en prenant possession de sa dignité, Jean Voignon et Nicolas Fraillon furent chargés le 15 octobre 1421 de conférer avec le nouveau recteur qui obtint gain de cause et vint le 30 octobre remercier le chapitre de la faveur qu'on voulait bien lui accorder [44]. Ce n'est que le 30 juillet 1437 que Jean Chuffart, depuis longtemps déjà chancelier de l'église de Paris [45] et jouissant en cette qualité du privilège de faire passer les examens de la maîtrise ès-arts [46] et de la licence en théologie [47], se fit recevoir docteur en décret. La veille du jour fixé pour la cérémonie, il pria ses confrères d'assister à la dispute scolastique ainsi qu'au dîner qui devait couronner la fête, le chapitre répondit évasivement que tous feraient de leur mieux pour se rendre à son invitation [48].

      Une fois en possession du titre de docteur, Jean Chuffart ne borna point là son ambition et voulut entrer dans le corps enseignant. Après la mort de Jean Hubert, il devint régent en la faculté de décret; le 20 octobre 1437 il acquit des exécuteurs testamentaires de ce même Jean Hubert une maison située dans le haut de la rue du Clos Bruneau à l'enseigne de Saint-Eustache, et servant d'école de décret. C'est là qu'il ouvrit ses cours et qu'il professa jusqu'à sa mort, en 1451; par son testament il légua cette maison avec ses bancs et pupitres «à la venerable faculté de Decret en l'université de Paris» qui lui avait procuré «plusieurs prouffiz» et fait «grant courtoisie» lors de sa réception comme docteur.

      Jean Chuffart appartenait à la nation de Picardie, qui l'aida dans sa carrière, et que notre chanoine, en fils reconnaissant, obligea plus d'une fois de ses deniers; dans l'expression de ses dernières volontés, il ne l'oublia pas et l'inscrivit pour un legs de 20 écus d'or [49].

       On le voit, le chancelier Jean Chuffart répond à toutes les exigences de notre journal. Non seulement il occupait dans l'université un rang élevé, mais encore il faisait partie du corps enseignant; aussi pouvait-il, sans orgueil exagéré, se compter au nombre de ces parfaits clercs qui soutinrent au collège de Navarre une discussion publique contre Fernand de Cordoue. En rehaussant ainsi la valeur de sa personne, Jean Chuffart obéit probablement à un sentiment d'irritation motivé par les attaques dont il fut l'objet au sein de l'université. La faculté de théologie ne put jamais lui pardonner son élévation au poste de chancelier de l'église de Paris et ne cessa de demander que le chancelier de Notre-Dame fût choisi à l'avenir parmi les maîtres


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