Journal d'un bourgeois de Paris, 1405-1449. Anonyme

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Journal d'un bourgeois de Paris, 1405-1449 - Anonyme


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dans la bouche du chanoine Jean Chuffart qui remplit les fonctions de commissaire délégué par l'évêque de Paris pour les causes testamentaires dans la ville et le diocèse de Paris et qui, par conséquent, eut dans ses attributions le règlement des diverses questions que pouvait soulever l'exécution des testaments [35], nul doute que le caractère inquisitoire de la mesure prise par l'évêque de Paris dans un but purement fiscal n'ait fortement indisposé Jean Chuffart. En voyant l'auteur présumé du Journal parisien nous mettre dans la confidence de ses griefs contre l'évêque Denis du Moulin et manifester son mécontentement, l'on a moins de peine à s'expliquer le décousu de cette partie de notre chronique.

      Il n'est pas indifférent de déterminer le quartier de Paris habité par le chanoine Jean Chuffart. Rien ne nous empêche d'admettre, conformément aux conclusions de M. Longnon, que, pour la période de sa vie antérieure à 1420, il ait élu domicile sur la rive droite de la Seine, un peu plus tard nous constatons son établissement définitif dans la Cité. En effet, peu de temps après sa réception comme chanoine de Notre-Dame, il acquit moyennant 200 écus d'or la maison du cloître qu'occupait son prédécesseur Jean de Saint-Verain [36]; c'est là que s'écoula toute son existence. La maison claustrale de Jean Chuffart, située non loin du port Saint-Landry, était attenante à la maison du chanoine Pasquier de Vaulx, derrière laquelle se trouvait un jardin aboutissant à la rivière; cette proximité du fleuve explique les détails circonstanciés que donne l'auteur du journal à partir de 1420 sur les débordements de la Seine du côté de l'île Notre-Dame, des Ormeteaux et de la Grève, dont plus que personne il était à même de suivre les progrès.

      Dans l'hypothèse qui place l'habitation de notre chroniqueur près de Notre-Dame, on conçoit qu'il s'attache à relater tout ce qui concerne l'église cathédrale, le Palais, la Sainte-Chapelle, l'Hôtel-Dieu sur lequel il est bien informé, puisqu'il se fait l'écho des doléances des malades au sujet des maigres reliefs du sacre de Henri VI et qu'il nous fait connaître le chiffre des malades enlevés par l'épidémie de 1439. On comprend également que l'ouverture d'un marché devant l'église de la Madeleine en 1436 ait frappé son attention, de même que le baptême de l'enfant phénoménal né à Aubervilliers, baptême qui eut lieu dans l'église de Saint-Christophe en la Cité. Le curé de cette église étant à la nomination du chapitre et faisant partie du clergé de Notre-Dame, il ne serait point extraordinaire que notre chanoine eût été curieux d'assister à cette cérémonie, pour examiner à son aise et tenir entre ses mains le phénomène en question, comme on le voit par le récit du journal parisien. Un passage inédit de notre chronique (année 1438) signale dans le voisinage immédiat de la maison habitée par notre anonyme la chambre de maître Hugues; ne s'agirait-il point ici d'une de ces chambres dépendant des maisons canoniales et qui servaient de logement au clergé inférieur de Notre-Dame [37]? Il est difficile de vérifier jusqu'à quel point cette assertion pourrait se trouver fondée.

      Tels sont les principaux arguments qui nous permettent de rattacher l'œuvre du prétendu bourgeois de Paris à un membre du clergé de Notre-Dame, le chanoine et chancelier Jean Chuffart.

      b. L'AUTEUR DU JOURNAL PARISIEN, ANGLO-BOURGUIGNON D'ABORD, SE RALLIE EN 1436 AU PARTI NATIONAL.

      De tous les chroniqueurs des règnes de Charles VI et Charles VII dont les écrits ont été conservés, aucun ne se distingue par une couleur aussi accentuée que l'auteur de notre journal. Fervent bourguignon dès l'origine et partisan déclaré de la faction des bouchers, il embrasse la cause anglaise et ne prend pas la peine de déguiser son aversion profonde pour les Armagnacs qu'il rend responsables de toutes les calamités qui désolèrent Paris sous la domination étrangère. Ce caractère si nettement accusé de la chronique anonyme de 1405 à 1449 doit selon nous se retrouver chez son auteur et dans les principales phases de son existence; la persistance de ses sentiments hostiles à l'égard des Français ou Armagnacs permet de le compter au nombre de ces représentants du clergé parisien qui, dans maintes occasions solennelles, affirmèrent hautement leurs sympathies pour le gouvernement anglais. Cette pensée était venue à M. Longnon lorsqu'à l'appui de sa thèse il nous montrait le curé de Saint-Nicolas-des-Champs (c'est-à-dire Jean Beaurigout) jurant le 26 août 1429 l'exécution du traité de Troyes; nous suivrons son exemple et nous chercherons le chanoine de Notre-Dame auquel nous attribuons le journal parisien dans les rangs des prêtres anglo-bourguignons. Bien que la plupart des personnages ecclésiastiques qui prêtèrent serment entre les mains du Parlement ne soient désignés que par leurs titres de curés ou de prieurs, nous avons cependant remarqué deux noms inscrits en tête de la liste donnée par le greffier Fauquembergue, ceux de Pasquier de Vaulx et de Jean Chuffart, tous deux chanoines de Notre-Dame. Jean Chuffart, que M. Quicherat, dans la table des Procès de Jeanne d'Arc, appelle un notable de Paris, est bien le dignitaire du chapitre que nous connaissons; il peut donc prendre place parmi ces membres du clergé qui n'attendirent point qu'on vînt leur demander le serment de fidélité, mais qui s'empressèrent de consacrer par une adhésion spontanée le fameux traité de Troyes. A cette même époque, le chanoine Jean Chuffart était, paraît-il, fort bien vu du gouvernement anglais, si l'on en juge par un mandement du roi Henri VI, à l'adresse du Parlement de Paris, portant évocation d'une cause pendante entre le chapitre de Saint-Marcel et le même personnage, mandement dans lequel le roi le qualifie de «nostre amé» [38]. Néanmoins, il ne faut pas se dissimuler que Jean Chuffart, tout en acceptant comme beaucoup d'autres la domination anglaise, ne devint point anglais de cœur et d'âme; bourguignon il était, bourguignon il resta, et lorsque le traité d'Arras rétablit la paix depuis si longtemps rompue entre le roi de France et le duc de Bourgogne, il suivit sans hésitation le parti du souverain légitime; nous en donnerons plus loin une preuve non équivoque.

      Les mêmes fluctuations se remarquent chez l'auteur du journal parisien, à partir de la reddition de Paris à Charles VII; autant le chroniqueur se montre précédemment adversaire intraitable des Armagnacs, autant il se radoucit et change de ton. Les Armagnacs disparaissent complètement de la scène politique et deviennent les Français; quant à Charles de Valois, il n'est plus nommé que le roi de France. Pour expliquer une aussi rapide évolution, est-il nécessaire de recourir au système de l'académicien La Barre qui concluait à l'existence de deux auteurs distincts, ou bien doit-on admettre un remaniement de l'œuvre primitive? Nous ne le pensons pas. Rien de plus simple, de plus facile à concevoir avec l'hypothèse que nous émettons plus haut. Après la soumission de Paris aux Français, l'homme d'église, quel qu'il soit, auquel nous devons le journal parisien, au lieu de quitter la capitale à la suite des Anglais, se rallie à la cause nationale, ainsi que le dénote l'apaisement de son esprit; s'il conserve encore quelqu'animosité, ce n'est point contre la personne de Charles VII, mais contre celle du Dauphin et des «faulx gouverneurs» dont les exactions répétées ruinaient les Parisiens, gens d'église et autres; c'est contre les gens de guerre et leurs chefs, dont le brigandage s'exerçait en toute liberté aux portes mêmes de Paris. Il a compassion de la situation misérable faite à Paris, à cette ville qu'il aimait par-dessus tout; il déplore toutes ces oppressions, toutes ces tailles, toutes ces males gaignes, toute cette cherté dont personne n'avait souci, le roi moins que personne.

      Loin de perdre au départ de l'étranger, le chanoine Jean Chuffart, quoique compromis par une profession de foi anglaise faite publiquement, y gagna un siège de conseiller-clerc au Parlement de Paris, qu'il obtint le 12 novembre 1437 [39]. On observera que cette réception de Jean Chuffart en qualité de conseiller suivit de très près le retour du Parlement de Poitiers à Paris, que mentionne l'auteur du journal, en l'accompagnant de réflexions en faveur du régime nouveau qui rappela «aucuns bourgoys par doulceur, leur pardonnant tout tres doulcement, sans reprouche et sans mal mettre eulx ne leurs biens.» Au début de l'année 1442 le chroniqueur constate que le Parlement interrompit ses plaidoiries et ne les reprit que le 21 février; le motif de la suspension des séances touche tellement à la vie intime du Parlement et offre si peu d'intérêt pour tout autre qu'un parlementaire que celui qui en a pris note devait tenir par un lien quelconque à cette cour souveraine. Voici en effet ce que nous apprend le registre des plaidoiries à la date du 19 février 1442: «Ce jour est recommencié le Parlement à tenir, lequel avoit et a cessé par faulte de paiement de gaiges depuis le vendredi avant Noel derrainement passé jusques à huy [40].»

      Un


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