Journal d'un bourgeois de Paris, 1405-1449. Anonyme
Читать онлайн книгу.dut causer au chanoine des préoccupations d'autant plus vives qu'il possédait dans ce bourg une maison devant l'Hôtel-Dieu, au coin de la rue de Bièvre, avec terres labourables, jardin et vignes.
C'est en nous mettant au même point de vue que nous relèverons dans le Journal parisien une double mention concernant Vitry-sur-Seine; la première, de l'année 1432, est relative à l'effondrement de l'église, qui fut foudroyée le jour de la Saint-Jean-Baptiste, au moment des vêpres; la seconde, du commencement de l'année 1434, nous renseigne sur le pillage et l'incendie du village par les Armagnacs. Pour qu'un chroniqueur ait cru devoir conserver le souvenir d'accidents locaux relativement aussi peu importants, il faut que ses intérêts personnels ou ceux de la communauté à laquelle il appartenait se soient trouvés engagés. Or le chapitre de Saint-Marcel avait des possessions à Vitry, et lors de la répartition des gros revenus faite entre les chanoines le 22 février 1437 [70], Vitry et les grands cens de Saint-Marcel furent attribués à Jean Chuffart qui, aux termes d'un bail passé le 24 août 1431, exploitait déjà sur le territoire de l'Hay et de Chevilly des biens d'une certaine importance [71].
h. L'AUTEUR DU JOURNAL PARISIEN EXPLOITE DES VIGNES A SAINT-MARCEL.
Un fait que l'on ne saurait mettre en doute, c'est que l'homme d'église à qui doit être attribué le Journal parisien se livrait à la culture de la vigne dans de vastes proportions et que la majeure partie de ses vignobles se trouvaient situés du côté de Saint-Marcel; notre texte va nous permettre d'établir ces divers points.
Les nombreux lecteurs du Journal parisien savent avec quel soin minutieux l'auteur note les accidents climatériques, les variations de la valeur des denrées, l'abondance ou la rareté des plantes potagères et des fruits, le prix du vin et du blé; mais personne n'a remarqué jusqu'ici l'importance extrême que notre chroniqueur semble attacher à la culture des vignes, ainsi qu'à tous ces détails qui ne peuvent guère intéresser qu'un vigneron, tels que l'époque de la floraison des vignes (en 1421), les gelées désastreuses qui, par parenthèse, le désolent au-delà de toute expression, la quantité de vin produite par un arpent, l'époque et le prix des vendanges, les dévastations systématiques des gens de guerre dans les vignobles. Si l'auteur du Journal enregistre maintes et maintes fois dans ses éphémérides la «grant foison» des hannetons, ce n'est pas, comme on pourrait le croire, dans un but futile, mais parce que ces insectes dévastaient les arbres plantés dans les vignes et jardins, tels que les amandiers et noyers. Il n'est pas d'année où l'on ne rencontre quelques lignes relatives aux vignes et vendanges, et plusieurs pages ne suffiraient pas pour relever tout ce qui a trait à ce sujet; nous nous bornerons à citer en note les passages les plus caractéristiques [72].
De telles particularités, l'on est forcé d'en convenir, n'auraient point pris place dans le Journal parisien, si son auteur n'eût été directement intéressé dans la question; un propriétaire de vignes pouvait seul se préoccuper du prix de la journée des vendangeurs et vendangeuses, et de l'octroi payé aux portes de Paris pour l'entrée des cuves des vendanges. Nous dirons plus, les vignes en question étaient sur le territoire de Saint-Marcel; ce fait ressort d'une façon évidente d'un passage du journal où l'auteur parle des vendanges de l'année 1424, «les plus belles que oncques on eust veu d'aage de homme»; après s'être étendu sur l'abondance exceptionnelle de la récolte et le renchérissement des futailles, il ajoute: «Tout homme de quelque estat, senon les gouverneurs,» de tant de queues de vin qu'ilz cuillirent chascun paia très grant rançon, car tous ceulx qui avoient vin devers la porte Sainct-Jaques et celle de Bordelles, paoient de chascune queue IIII solz parisis, forte monnoye, et de poinsons, de caques, de barilz, au feur des queues.»
Il est clair que si le chroniqueur note le prix que devaient payer «tous ceulx qui avoient vin devers la porte Sainct-Jaques et de Bordelles», c'est que ses vignes à lui se trouvaient dans les parages de ces deux portes.
Il convient maintenant d'examiner si le chanoine Chuffart répond à ces données de la chronique parisienne.
Par décision du 26 mai 1427, le chapitre de Notre-Dame lui avait concédé à titre viager une maison dans le bourg de Saint-Marcel, moyennant une rente annuelle de six livres, et sous la réserve que toutes les terres que Jean Chuffart pourrait acquérir sur le territoire de Saint-Marcel seraient hypothéquées en garantie du revenu [73]; le domaine en question se composant de maison, cour et jardin, était situé dans la grande rue du bourg, vis-à-vis l'Hôtel-Dieu, et comprenait des vignes d'une étendue assez considérable pour nécessiter l'établissement d'un pressoir dans l'immeuble appartenant au chapitre de Notre-Dame; ce fait qui se produisit au début de l'année 1430 constituait une grave atteinte aux droits du chapitre de Saint-Marcel, lequel se réservait le pressurage de toutes les vignes comprises dans l'étendue de sa juridiction. Le 30 février 1430, Jean Chuffart annonça au chapitre de Notre-Dame son intention de tenir tête aux chanoines de Saint-Marcel qui exigeaient la démolition du pressoir nouvellement édifié [74], ajoutant qu'il n'avait agi de la sorte qu'en vue des intérêts de l'église de Paris, assertion qui s'écartait un peu de la vérité; en effet, Jean Chuffart, en parlant ainsi, ne se proposait d'autre but que de se ménager l'appui de ses confrères. Le chanoine de Notre-Dame opposa une résistance d'autant plus vive qu'en l'année 1430 il y eut une récolte des plus abondantes et que les vins furent d'excellente qualité. Le procès s'engagea au Châtelet; les chanoines de Saint-Marcel, dans leur séance du 21 septembre 1430, décidèrent qu'ils interjetteraient appel de tout jugement rendu au profit de Jean Chuffart qui l'autoriserait à faire usage pour sa vendange du pressoir litigieux [75]. Deux jours après, une sentence de la prévôté de Paris déclarait qu'il n'y avait pas lieu de tenir compte du délai de produire requis par le chapitre de Saint-Marcel [76]. Jean Chuffart eut donc gain de cause en première instance, mais les chanoines de Saint-Marcel ayant interjeté appel au Parlement, leur adversaire voulut absolument utiliser son pressoir pour les vendanges de l'année et fit rendre par provision un arrêt en date du 30 septembre 1430, par lequel il obtint de faire pressurer la vendange de ses vignes pour l'année courante, le droit de chacune des parties étant pleinement réservé [77].
L'affaire suivit son cours, et un mandement d'Henri VI, roi d'Angleterre, rendu le 11 décembre 1430 à la requête du chapitre de Saint-Marcel, ordonna au Parlement de procéder au principal dans la cause pendante entre Jean Chuffart et les chanoines. Dès la fin de janvier 1431, les chanoines de Saint-Marcel proposèrent d'entrer en arrangement, ce qui fut accepté, et le procès se termina par un accord homologué au Parlement le 11 avril 1431 [78]. Les registres capitulaires de Saint-Marcel nous montrent comment intervint une transaction entre le chapitre et son adversaire; Jean Chuffart vint en personne à la séance du 20 mars 1431 et, en présence de l'évêque de Paris appelé pour la circonstance, sollicita à titre gracieux l'autorisation de construire dans sa maison du bourg Saint-Marcel un petit pressoir sans arbre, et d'en faire usage, sa vie durant, pour la vendange de ses vignes. Le chapitre accéda à cette demande le 4 mai suivant, à charge d'une redevance annuelle de 12 deniers parisis, et, pour couper court à toute contestation, s'empressa l'année suivante d'admettre Jean Chuffart parmi ses membres [79]. Voilà donc un ensemble de faits qui établit catégoriquement la possession de vignes par notre auteur du côté de la porte Bordelles.
Indépendamment de ses vignobles de Saint-Marcel, le chanoine Jean Chuffart exploitait encore à Fontenay, depuis le 22 novembre 1426, quatre arpents de vignes qu'il s'était fait concéder par le chapitre de Notre-Dame, avec un pressoir refait à neuf et deux masures adjacentes, moyennant 8 livres parisis de rente annuelle [80]; il possédait également des vignes sur le territoire de Villejuif. En 1430 le même chanoine récolta une partie des vins de Mons [81]. Au commencement d'octobre 1436, lors de la perception d'une taxe de quatre sols sur chaque queue de vin entrée à Paris, Jean Chuffart, qui remplissait alors les fonctions de chambrier clerc, saisit le chapitre de la question en ce qui concernait les vignes de Mons [82] et s'occupa avec ses confrères des voies et moyens à mettre en œuvre pour échapper à cet impôt. Ne peut-on rapprocher ce fait de ce passage du Journal relatif aux vendanges de 1436, où l'auteur se plaint longuement, et avec une certaine amertume, de la cherté de ces vendanges et des droits élevés que les gouverneurs de Paris faisaient percevoir aux portes de Paris sur chaque «hotteur» et sur chaque charrette amenant des cuves de vendange?
Jean