LUPIN - Les aventures du gentleman-cambrioleur. Морис Леблан

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LUPIN - Les aventures du gentleman-cambrioleur - Морис Леблан


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visage d’une pâleur effrayante, mais le cœur battait encore, d’un rythme faible et lent, et il ne semblait avoir aucune blessure.

      Ils essayèrent de le ranimer, et, comme ils n’y parvenaient pas, Beautrelet se mit en quête d’un médecin. Le médecin ne réussit pas davantage. Le bonhomme ne paraissait pas souffrir. On eût dit qu’il dormait simplement, mais d’un sommeil artificiel, comme si on l’avait endormi par hypnose, ou à l’aide d’un narcotique.

      Au milieu de la huit suivante, cependant, Isidore qui le veillait, remarqua que sa respiration devenait plus forte, et que tout son être avait l’air de se dégager des liens invisibles qui le paralysaient.

      À l’aube il se réveilla et reprit ses fonctions normales, mangea, but, et se remua. Mais de toute la journée il ne put répondre aux questions du jeune homme, le cerveau comme engourdi encore par une inexplicable torpeur.

      Le lendemain, il demanda à Beautrelet :

      – Qu’est-ce que vous faites là, vous ?

      C’était la première fois qu’il s’étonnait de la présence d’un étranger auprès de lui.

      Peu à peu, de la sorte, il retrouva toute sa connaissance. Il parla. Il fit des projets. Mais, quand Beautrelet l’interrogea sur les événements qui avaient précédé son sommeil, il sembla ne pas comprendre.

      Et réellement, Beautrelet sentit qu’il ne comprenait pas. Il avait perdu le souvenir de ce qui s’était passé depuis le vendredi précédent. C’était comme un gouffre subit dans la coulée ordinaire de sa vie. Il racontait sa matinée et son après-midi du vendredi, les marchés conclus à la foire, le repas qu’il avait pris à l’auberge. Puis… plus rien… Il croyait se réveiller au lendemain de ce jour.

      Ce fut horrible pour Beautrelet. La vérité était là, dans ces yeux qui avaient vu les murs du parc derrière lesquels son père l’attendait, dans ces mains qui avaient ramassé la lettre, dans ce cerveau confus qui avait enregistré le lieu de cette scène, le décor, le petit coin du monde où se jouait le drame. Et de ces mains, de ces yeux, de ce cerveau, il ne pouvait tirer le plus faible écho de cette vérité si proche !

      Oh ! cet obstacle impalpable et formidable auquel se heurtaient ses efforts, cet obstacle fait de silence et d’oubli, comme il portait bien la marque de Lupin ! Lui seul avait pu, informé sans doute qu’un signal avait été tenté par le père Beautrelet, lui seul avait pu frapper de mort partielle celui-là seul dont le témoignage pouvait le gêner. Non point que Beautrelet se sentît découvert, et qu’il pensât que Lupin, au courant de son attaque sournoise, et sachant qu’une lettre lui était parvenue, se fût défendu contre lui personnellement. Mais, combien c’était montrer de prévoyance et de véritable intelligence, que de supprimer l’accusation possible de ce passant ! Personne ne savait plus maintenant qu’il y avait, entre les murs d’un parc, un prisonnier qui demandait du secours.

      Personne ? Si, Beautrelet. Le père Charel ne pouvait parler ? Soit. Mais on pouvait connaître du moins la foire où le bonhomme s’était rendu, et la route logique qu’il avait prise pour en revenir. Et, le long de cette route, peut-être enfin serait-il possible de trouver…

      Isidore, qui d’ailleurs n’avait fréquenté la masure du père Charel qu’avec les plus grandes précautions, et de façon à ne pas donner l’éveil, Isidore décida de n’y point retourner. S’étant renseigné, il apprit que le vendredi, c’était jour de marché à Fresselines, gros bourg situé à quelques lieues, où l’on pouvait se rendre, soit par la grand’route, assez sinueuse, soit par des raccourcis.

      Le vendredi, il choisit, pour y aller, la grand’route, et n’aperçut rien qui attirât son attention, aucune enceinte de hauts murs, aucune silhouette de vieux château. Il déjeuna dans une auberge de Fresselines et il se disposait à partir quand il vit arriver le père Charel qui traversait la place en poussant sa petite voiture de rémouleur. Il le suivit aussitôt de très loin.

      Le bonhomme fit deux interminables stations pendant lesquelles il repassa des douzaines de couteaux. Puis enfin, il s’en alla par un chemin tout différent qui se dirigeait vers Crozant et le bourg d’Eguzon.

      Beautrelet s’engagea derrière lui sur cette route. Mais il n’avait pas marché pendant cinq minutes, qu’il eut l’impression de n’être pas seul à suivre le bonhomme. Un individu cheminait entre eux qui s’arrêtait et repartait en même temps que le père Charel, sans prendre d’ailleurs beaucoup de soin pour n’être pas vu.

      « On le surveille, pensa Beautrelet, peut-être veut-on savoir s’il s’arrête devant les murs… »

      Son cœur battit. L’événement approchait.

      Tous trois, les uns derrière les autres, ils montaient et descendaient les pentes raides du pays, et ils arrivèrent à Crozant. Là, le père Charel fit une halte d’une heure. Puis il descendit vers la rivière et traversa le pont. Mais il se passa alors un fait qui surprit Beautrelet. L’individu ne franchit pas la rivière. Il regarda le bonhomme s’éloigner et quand il l’eut perdu de vue il s’engagea dans un sentier qui le conduisit en pleins champs. Que faire ? Beautrelet hésita quelques secondes, puis, brusquement, se décida. Il se mit à la poursuite de l’individu.

      « Il aura constaté, pensa-t-il, que le père Charel a passé tout droit. Il est tranquille, et il s’en va. Où ? Au château ? »

      Il touchait au but. Il le sentait à une sorte d’allégresse douloureuse qui le soulevait.

      L’homme pénétra dans un bois obscur qui dominait la rivière, puis apparut de nouveau en pleine clarté, à l’horizon du sentier. Quand Beautrelet, à son tour, sortit du bois, il fut très surpris de ne plus apercevoir l’individu. Il le cherchait des yeux, quand soudain il étouffa un cri et, d’un bond en arrière, regagna la ligne des arbres qu’il venait de quitter. À sa droite, il avait vu un rempart de hautes murailles, que flanquaient, à distances égales, des contreforts massifs.

      C’était là ! C’était là ! Ces murs emprisonnaient son père ! Il avait trouvé le lieu secret où Lupin gardait ses victimes !

      Il n’osa plus s’écarter de l’abri que lui offraient les feuillages épais du bois. Lentement, presque à plat ventre, il appuya vers la droite, et parvint ainsi au sommet d’un monticule qui atteignait le faîte des arbres voisins. Les murailles étaient plus élevées encore. Cependant il discerna le toit du château qu’elles ceignaient, un vieux toit Louis XIII que surmontaient des clochetons très fins disposés en corbeille autour d’une flèche plus aiguë et plus haute.

      Pour ce jour-là, Beautrelet n’en fit pas davantage. Il avait besoin de réfléchir et de préparer son plan d’attaque sans rien laisser au hasard. Maître de Lupin, c’était à lui maintenant de choisir l’heure et le mode du combat. Il s’en alla.

      Près du pont, il croisa deux paysannes qui portaient des seaux remplis de lait. Il leur demanda :

      – Comment s’appelle le château qui est là-bas, derrière les arbres ?

      – Ça, Monsieur, c’est le château de l’Aiguille.

      Il avait jeté sa question sans y attacher d’importance. La réponse le bouleversa.

      – Le château de l’Aiguille… Ah !… Mais où sommes-nous, ici ? Dans le département de l’Indre ?

      – Ma foi, non, l’Indre, c’est de l’autre côté de la rivière… Par ici, c’est la Creuse.

      Isidore eut un éblouissement. Le château de l’Aiguille ! Le département de la Creuse ! L’Aiguille, Creuse ! La clef même du document ! La victoire assurée, définitive, totale…

      Sans un mot de plus, il tourna le dos aux deux femmes et s’en alla en titubant, comme un homme ivre.

      6

       Un secret historique

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