LUPIN - Les aventures du gentleman-cambrioleur. Морис Леблан
Читать онлайн книгу.main de Beautrelet, et ils s’enfoncèrent dans l’ombre épaisse des fourrés. Un espace plus clair s’offrit à eux quand ils arrivèrent au bord de la pelouse centrale. Au même moment, un rayon de lune filtra, et ils aperçurent le château avec ses clochetons pointus disposés autour de cette flèche effilée à laquelle, sans doute, il devait son nom. Aucune lumière aux fenêtres. Aucun bruit. Valméras empoigna le bras de son compagnon.
– Taisez-vous.
– Quoi ?
– Les chiens là-bas… vous voyez…
Un grognement se fit entendre. Valméras siffla très bas. Deux silhouettes blanches bondirent et en quatre sauts vinrent s’abattre aux pieds du maître.
– Tout doux, les enfants… couchez là… bien… ne bougez plus…
Et il dit à Beautrelet :
– Et maintenant, marchons, je suis tranquille.
– Vous êtes sûr du chemin ?
– Oui. Nous nous rapprochons de la terrasse.
– Et alors ?
– Je me rappelle qu’il y a sur la gauche, à un endroit où la terrasse, qui domine la rivière, s’élève au niveau des fenêtres du rez-de-chaussée, un volet qui ferme mal et qu’on peut ouvrir de l’extérieur.
De fait, quand ils furent arrivés, sous l’effort, le volet céda. Avec une pointe de diamant, Valméras coupa un carreau. Il tourna l’espagnolette. L’un après l’autre ils franchirent le balcon. Cette fois, ils étaient dans le château.
– La pièce où nous sommes, dit Valméras, se trouve au bout du couloir. Puis il y a un immense vestibule orné de statues et, à l’extrémité du vestibule, un escalier qui conduit à la chambre occupée par votre père.
Il avança d’un pas.
– Vous venez, Beautrelet ?
– Oui. Oui.
– Mais non, vous ne venez pas… Qu’est-ce que vous avez ?
Il lui saisit la main. Elle était glacée, et il s’aperçut que le jeune homme était accroupi sur le parquet.
– Qu’est-ce que vous avez ? répéta-t-il.
– Rien… ça passera.
– Mais enfin…
– J’ai peur…
– Vous avez peur !
Oui, avoua Beautrelet ingénument… ce sont mes nerfs qui flanchent… j’arrive souvent à les commander… mais aujourd’hui, le silence… l’émotion… Et puis, depuis le coup de couteau de ce greffier… Mais ça va passer… tenez, ça passe…
Il réussit, en effet, à se lever, et Valméras l’entraîna hors de la chambre. Ils suivirent à tâtons un couloir, et si doucement, que chacun d’eux ne percevait pas la présence de l’autre. Une faible lueur cependant semblait éclairer le vestibule vers lequel ils se dirigeaient. Valméras passa la tête. C’était une veilleuse placée au bas de l’escalier, sur un guéridon que l’on apercevait à travers les branches frêles d’un palmier.
– Halte ! souffla Valméras.
Près de la veilleuse, il y avait un homme en faction, debout, qui tenait un fusil. Les avait-il vus ? Peut-être. Du moins quelque chose dut l’inquiéter, car il épaula.
Beautrelet était tombé à genoux contre la caisse d’un arbuste et il ne bougeait plus, le cœur comme déchaîné dans sa poitrine. Cependant le silence et l’immobilité des choses rassurèrent l’homme en faction. Il baissa son arme. Mais sa tête resta tournée vers la caisse de l’arbuste.
D’effrayantes minutes s’écoulèrent, dix, quinze. Un rayon de lune s’était glissé par une fenêtre de l’escalier. Et soudain Beautrelet s’avisa que le rayon se déplaçait insensiblement et que, avant quinze autres, dix autres minutes, il serait sur lui, l’éclairant en pleine face. Des gouttes de sueur tombèrent de son visage sur ses mains tremblantes.
Son angoisse était telle qu’il fut sur le point de se relever et de s’enfuir Mais, se souvenant que Valméras était là, il le chercha des yeux, et il fut stupéfait de le voir, ou plutôt de le deviner qui rampait dans les ténèbres à l’abri des arbustes et des statues. Déjà il atteignait le bas de l’escalier, à hauteur, à quelques pas, de l’homme. Qu’allait-il faire ? Passer quand même ? Monter seul à la délivrance du prisonnier ? Mais pourrait-il passer ? Beautrelet ne le voyait plus et il avait l’impression que quelque chose allait s’accomplir, une chose que le silence, plus lourd, plus terrible, semblait pressentir aussi.
Et brusquement une ombre qui bondit sur l’homme, la veilleuse qui s’éteint, le bruit d’une lutte… Beautrelet accourut. Les deux corps avaient roulé sur les dalles. Il voulut se pencher. Mais il entendit un gémissement rauque, un soupir, et aussitôt un des adversaires se releva qui lui saisit le bras.
– Vite… Allons-y.
C’était Valméras.
Ils montèrent deux étages et débouchèrent à l’entrée d’un corridor qu’un tapis recouvrait.
– À droite, souffla Valméras… la quatrième chambre sur la gauche.
Bientôt ils trouvèrent la porte de cette chambre. Comme ils s’y attendaient, le captif était enfermé à clef. Il leur fallut une demi-heure, une demi-heure d’efforts étouffés, de tentatives assourdies pour forcer la serrure. Enfin ils entrèrent. À tâtons, Beautrelet découvrit le lit. Son père dormait. Il le réveilla doucement.
– C’est moi, Isidore… et un ami… Ne crains rien… lève-toi… pas un mot…
Le père s’habilla, mais au moment de sortir, il leur dit à voix basse :
– Je ne suis pas seul dans le château…
– Ah ! qui ? Ganimard ? Sholmès ?
– Non… du moins je ne les ai pas vus.
– Alors ?
– Une jeune fille.
– Mlle de Saint-Véran, sans aucun doute ?
– Je ne sais pas… je l’ai aperçue de loin plusieurs fois dans le parc… et puis, en me penchant de ma fenêtre, je vois la sienne… Elle m’a fait des signaux.
– Tu sais où est sa chambre ?
– Oui, dans ce couloir, la troisième à droite.
– La chambre bleue, murmura Valméras. La porte est à deux battants, nous aurons moins de mal.
Très vite, en effet, l’un des battants céda. Ce fut le père Beautrelet qui se chargea de prévenir la jeune fille.
Dix minutes après il sortait de la chambre avec elle et disait à son fils :
– Tu avais raison… Mlle de Saint-Véran.
Ils descendirent tous quatre. Au bas de l’escalier, Valméras s’arrêta et se pencha sur l’homme, puis les entraînant vers la chambre de la terrasse :
– Il n’est pas mort, il vivra.
– Ah ! fit Beautrelet avec soulagement.
– Par bonheur, la lame de mon couteau a plié… le coup n’est pas mortel. Et puis quoi, ces coquins ne méritent pas de pitié.
Dehors, ils furent accueillis par les deux chiens qui les accompagnèrent jusqu’à la poterne. Là, Beautrelet retrouva ses deux amis. La petite troupe sortit du parc. Il était trois heures du matin.
Cette première victoire ne pouvait suffire à Beautrelet. Dès qu’il eut installé son père et la jeune fille, il les interrogea sur les gens qui résidaient au château, et en particulier sur