Les grandes espérances. Charles Dickens

Читать онлайн книгу.

Les grandes espérances - Charles Dickens


Скачать книгу
même aux cartes? demanda-t-elle avec un regard pénétrant.

      —Si, madame, je puis faire cela, si c'est nécessaire.

      —Puisque cette maison te semble vieille et triste, dit miss Havisham avec impatience, et puisque tu ne veux pas jouer, veux-tu travailler?»

      Je répondis à cette demande de meilleur cœur qu'à la première, et je dis que je ne demandais pas mieux.

      «Alors, entre dans cette chambre, dit-elle en me montrant avec sa main ridée une porte qui était derrière moi, et attends-moi là jusqu'à ce que je vienne.»

      Je traversai le palier, et j'entrai dans la chambre qu'elle m'avait indiquée. Le jour ne pénétrait pas plus dans cette chambre que dans l'autre, et il y régnait une odeur de renfermé qui oppressait. On venait tout récemment d'allumer du feu dans la vieille cheminée, mais il était plus disposé à s'éteindre qu'à brûler, et la fumée qui persistait à séjourner dans cette chambre, semblait encore plus froide que l'air, et ressemblait au brouillard de nos marais. Quelques bouts de chandelles placés sur la tablette de la grande cheminée éclairaient faiblement la chambre: ou, pour mieux dire, elles n'en troublaient que faiblement l'obscurité. Elle était vaste, et j'ose affirmer qu'elle avait été belle; mais tous les objets qu'on pouvait apercevoir étaient couverts de poussière, dans un état complet de vétusté, et tombaient en ruine. Ce qui attirait d'abord l'attention, c'était une longue table couverte d'une nappe, comme si la fête qu'on était en train de préparer dans la maison s'était arrêtée en même temps que les pendules. Un surtout, un plat du milieu, de je ne sais quelle espèce, occupait le centre de la table; mais il était tellement couvert de toiles d'araignées, qu'on n'en pouvait distinguer la forme. En regardant cette grande étendue jaunâtre, il me sembla y voir pousser un immense champignon noir, duquel je voyais entrer et sortir d'énormes araignées aux corps mouchetés et aux pattes cagneuses. On eût dit que quelque événement de la plus grande importance venait de se passer dans la communauté arachnéenne.

      J'entendais aussi les souris qui couraient derrière les panneaux des boiseries, comme si elles eussent été sous le coup de quelque grand événement; mais les perce-oreilles n'y faisaient aucune attention, et s'avançaient en tâtonnant sur le plancher et en cherchant leur chemin, comme des personnes âgées et réfléchies, à la vue courte et à l'oreille dure, qui ne sont pas en bons termes les unes avec les autres.

      Ces créatures rampantes avaient captivé toute mon attention, et je les examinais à distance, quand miss Havisham posa une de ses mains sur mon épaule; de l'autre main elle tenait une canne à bec de corbin sur laquelle elle s'appuyait, et elle me faisait l'effet de la sorcière du logis.

      «C'est ici, dit-elle en indiquant la table du bout de sa canne; c'est ici que je serai exposée après ma mort.... C'est ici qu'on viendra me voir.»

      J'éprouvais une crainte vague de la voir s'étendre sur la table et y mourir de suite, c'eût été la complète réalisation du cadavre en cire de la foire. Je tremblai à son contact.

      «Que penses-tu de l'objet qui est au milieu de cette grande table... me demanda-t-elle en l'indiquant encore avec sa canne; là, où tu vois des toiles d'araignées?

      —Je ne devine pas, madame.

      —C'est un grand gâteau... un gâteau de noces... le mien!»

      Elle regarda autour de la chambre, puis se penchant sur moi, sans ôter sa main de mon épaule:

      «Viens!... viens!... viens! Promène-moi... promène-moi.»

      Je jugeai d'après cela que l'ouvrage que j'avais à faire était de promener miss Havisham tout autour de la chambre. En conséquence, nous nous mîmes en mouvement d'un pas qui, certes, aurait pu passer pour une imitation de celui de la voiture de mon oncle Pumblechook.

      Elle n'était pas physiquement très forte; et après un moment elle me dit:

      «Plus doucement!»

      Cependant nous continuions à marcher d'un pas fort raisonnable; elle avait toujours sa main appuyée sur mon épaule, et elle ouvrit la bouche pour me dire que nous n'irions pas plus loin, parce qu'elle ne le pourrait pas. Après un moment, elle me dit:

      «Appelle Estelle!»

      J'allai sur le palier et je criai ce nom comme j'avais fait la première fois. Quand sa lumière parut, je revins auprès de miss Havisham, et nous nous remîmes en marche.

      Si Estelle eût été la seule spectatrice de notre manière d'agir, je me serais senti déjà suffisamment humilié; mais comme elle amena avec elle les trois dames et le monsieur que j'avais vus en bas, je ne savais que faire. La politesse me faisait un devoir de m'arrêter; mais miss Havisham persistait à me tenir l'épaule, et nous continuions avec la même ardeur notre promenade insensée. Pour ma part, j'étais navré à l'idée qu'ils allaient croire que c'était moi qui faisais tout cela.

      «Chère miss Havisham, dit miss Sarah Pocket, comme vous avez bonne mine!

      —Ça n'est pas vrai! dit miss Havisham, je suis jaune et n'ai que la peau sur les os.»

      Camille rayonna en voyant miss Pocket recevoir cette rebuffade, et elle murmura en contemplant miss Havisham d'une manière tout à fait triste et compatissante:

      «Pauvre chère âme! certainement, elle ne doit pas s'attendre à ce qu'on lui trouve bonne mine... la pauvre créature. Quelle idée!...

      —Et vous, comment vous portez-vous, vous?» demanda miss Havisham à Camille.

      Nous étions alors tout près de cette dernière, et j'allais en profiter pour m'arrêter; mais miss Havisham ne le voulait pas; nous poursuivîmes donc, et je sentis que je déplaisais considérablement à Camille.

      «Merci, miss Havisham, continua-t-elle, je vais aussi bien que je puis l'espérer.

      —Comment cela?... qu'avez-vous?... demanda miss Havisham, avec une vivacité surprenante.

      —Rien qui vaille la peine d'être dit, répliqua Camille; je ne veux pas faire parade de mes sentiments. Mais j'ai pensé à vous toute la nuit, et cela plus que je ne l'aurais voulu.

      —Alors, ne pensez pas à moi.

      —C'est plus facile à dire qu'à faire, répondit tendrement Camille, en réprimant un soupir, tandis que sa lèvre supérieure tremblait et que ses larmes coulaient en abondance. Raymond sait de combien de gingembre et de sels j'ai été obligée de faire usage toute la nuit, et combien de mouvements nerveux j'ai éprouvés dans ma jambe. Mais tout cela n'est rien quand je pense à ceux que j'aime.... Si je pouvais être moins affectueuse et moins sensible, j'aurais une digestion plus facile et des nerfs de fer. Je voudrais bien qu'il en fût ainsi; mais, quant à ne plus penser à vous pendant la nuit... ô quelle idée!»

      Ici, elle éclata en sanglots.

      Je compris que le Raymond en question n'était autre que le monsieur présent, et qu'il était en même temps M. Camille. Il vint au secours de sa femme, et lui dit en manière de consolation:

      «Camille... ma chère... c'est un fait avéré que vos sentiments de famille vous minent, au point de rendre une de vos jambes plus courte que l'autre.

      —Je ne savais pas, dit la digne dame, dont je n'avais encore entendu la voix qu'une seule fois, que penser à une personne vous donnât des droits sur cette même personne, ma chère.»

      Miss Sarah Pocket, que je contemplais alors, était une petite femme, vieille, sèche, à la peau brune et ridée; elle avait une petite tête qui semblait faite en coquille de noix et une grande bouche, comme celle d'un chat sans les moustaches. Elle répétait sans cesse:

      Конец ознакомительного фрагмента.

      Текст предоставлен ООО «ЛитРес».

      Прочитайте


Скачать книгу