L'hôtel hanté. Уилки Коллинз

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L'hôtel hanté - Уилки Коллинз


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sentiments, contenus dans les limites des convenances du monde, sont les seuls que j'aie pu deviner; ils n'ont du reste fait que paraître et disparaître. En proie à une horrible agitation, toutes mes facultés se troublaient; si j'avais pu marcher, je me serais précipitée hors de la chambre, tant cette femme me faisait peur. Mais c'est à peine si je pus me lever, je tombai à la renverse sur ma chaise, regardant toujours ces yeux bleus et calmes qui me fixaient alors avec une douce expression de surprise, et cependant j'étais là comme un oiseau fasciné par un serpent. Son âme plongeait dans la mienne, l'enveloppant d'une crainte mortelle. Je vous dis mon impression telle que je l'ai ressentie, dans toute son horreur et dans toute sa folie. Cette femme, j'en suis sûre, est destinée, sans le savoir, à être le mauvais génie de ma vie. Ses yeux limpides ont découvert en moi des germes de méchanceté cachée que je ne connaissais pas moi-même jusqu'au moment où je les ai sentis tressaillir sous son regard. À partir d'aujourd'hui, si dans ma vie je commets des fautes, si je me laisse entraîner au crime, c'est elle qui m'en fera payer la peine involontairement, je le crois; mais involontairement ou non, ce sera elle. En un instant, toutes ces pensées traversèrent mon esprit et se peignirent sur mes traits. Cette bonne créature s'inquiéta de moi. «La chaleur étouffante de cette pièce vous a fait mal, voulez-vous mon flacon?» me dit-elle doucement, puis je ne me souviens plus de rien. J'étais évanouie. Quand je repris connaissance, tout le monde était parti; seule la maîtresse de la maison était avec moi. Je ne pus tout d'abord prononcer une parole; l'impression terrible que j'ai essayé de décrire me revint aussi violente que quand je la ressentis. Dès que je pus parler, je la suppliai de me dire toute la vérité sur la femme que j'avais supplantée, j'avais un faible espoir que sa bonne réputation ne fût pas réellement méritée, que sa lettre fût une adroite hypocrisie; enfin j'espérais qu'elle nourrissait contre moi une haine soigneusement cachée.

      Non! La personne à qui je m'adressais avait été son amie d'enfance, elle la connaissait aussi bien que si elle eût été sa soeur, elle m'affirma qu'elle était aussi bonne, aussi douce, aussi incapable de haïr que la sainte la plus parfaite qui ait jamais été. Mon seul, mon unique espoir m'échappait donc. J'aurais voulu croire que ce que j'avais éprouvé en présence de cette femme était un avertissement de me tenir en garde contre elle, comme contre un ennemi; après ce qu'on venait de m'en dire, cela était impossible. Il me restait encore un effort à faire, je le fis. J'allai chez celui que je dois épouser lui demander de me rendre ma parole. Il refusa, Je déclarai que, malgré tout, je voulais rompre. Il me fit voir alors des lettres de ses soeurs, des lettres de ses frères et de ses meilleurs amis; toutes l'engageaient à bien réfléchir avant de faire de moi sa femme; toutes répétant les bruits qui ont couru sur moi à Paris, à Vienne et à Londres, autant de mensonges infâmes. «Si vous refusez de m'épouser, me dit-il, c'est que vous reconnaîtrez que ces bruits sont fondés. Vous avouerez que vous avez peur d'affronter le monde à mon bras.» Que pouvais-je répondre? Il n'y avait pas à discuter. Il avait pleinement raison; si je persistais dans mon refus, c'était l'entière destruction de ma réputation. Je consentis donc à ce que le mariage ait lieu, comme nous l'avions arrêté, et je le quittai. C'était hier. Je suis ici, toujours avec mon idée fixe: cette femme est appelée à avoir une influence fatale sur ma vie. Je suis ici et je pose la seule question que j'aie à faire, au seul homme qui puisse y répondre. Pour la dernière fois, monsieur, que suis-je? Un démon qui a vu l'ange vengeur ou une pauvre folle trompée par l'imagination déréglée d'un esprit en délire?»

      Le docteur Wybrow se leva de sa chaise pour terminer l'entretien.

      Il était fortement et péniblement impressionné par ce qu'il avait entendu.

      À mesure qu'il avait écouté ce récit, la conviction qu'il était en face d'une méchante femme s'était ancrée dans son esprit. Il essaya, mais en vain, de la regarder comme une personne à_ _plaindre, comme une malheureuse femme d'une imagination sensible et maladive sentant se développer les germes du mal que nous avons tous en nous, et essayant réellement de réagir contre cette fatale influence, et d'ouvrir son coeur aux conseils du bien. Mais une mauvaise pensée lui souffla ces mots aussi distinctement que s'il l'eût entendu à son oreille: Fais attention, tu crois trop en elle.

      «Je vous ai déjà donné mon opinion, dit-il; il n'y a chez vous aucun symptôme de dérangement d'esprit présent ou à venir qu'un médecin puisse découvrir; un médecin, vous m'entendez bien. Quant aux impressions que vous m'avez confiées, tout ce que je puis vous dire, c'est que vous êtes, je crois, dans un cas où l'on a plus besoin de conseils s'appliquant à l'âme qu'au corps. Soyez certaine que ce que vous m'avez dit dans ce cabinet n'en sortira pas. Votre confession restera secrète, je vous l'affirme.»

      Elle l'écouta avec une sorte de résignation soumise jusqu'à la fin.

      «Est-ce là tout? demanda-t-elle.

      —C'est tout, répondit-il.

      —Permettez-moi de vous remercier, monsieur, reprit-elle en mettant un petit rouleau d'argent sur la table». Elle se leva. Ses yeux noirs et brillants avaient une expression de désespoir si poignant et si horrible dans leur plainte silencieuse, que le docteur détourna la tête, incapable d'en supporter la vue. L'idée de garder non seulement de l'argent, mais même une chose qui lui eût appartenu, ou à laquelle elle eût touché, lui était insupportable. Soudain, toujours sans la regarder, il lui tendit le rouleau en disant:

      «Reprenez-le, je ne veux pas être payé.»

      Elle, sans faire attention, sans entendre, les yeux toujours levés au ciel se parlant à elle-même, s'écria:

      «Attendons la fin, car j'ai fini avec la lutte; je me soumets.»

      Elle rabattit son voile sur son visage, salua le docteur et quitta le cabinet.

      Il sonna, la reconduisit jusqu'à l'antichambre, et, comme le domestique refermait la porte derrière elle, un éclair de curiosité indigne de lui et en même temps irrésistible traversa l'esprit du docteur. C'est en rougissant qu'il dit à son domestique:

      «Suivez-la chez elle, et sachez son nom.»

      Pendant un instant le serviteur regarda le maître, se demandant s'il en croirait ses oreilles. Le docteur Wybrow le fixa en silence. Le domestique comprit ce que ce silence signifiait, il prit son chapeau et s'élança dans la rue. Le docteur rentra dans son cabinet. À peine y fut-il qu'un changement subit se fit en lui. Cette femme avait-elle donc apporté chez lui une épidémie de mauvais sentiments. Y avait-il déjà succombé?

      Quel besoin avait-il de se rabaisser aux yeux de son propre domestique? Sa conduite était indigne d'un honnête homme; d'un homme qui l'avait fidèlement servi depuis des années, il venait de faire un espion!

      Irrité à cette seule pensée, il courut à l'antichambre et en ouvrit la porte. Le domestique avait disparu; il était trop tard pour le rappeler. Il ne lui restait qu'un moyen d'oublier le mépris qu'il se sentait pour lui-même: le travail. Il monta en voiture et fit ses visites à ses malades.

      Si ce fameux médecin avait pu détruire sa réputation, il l'aurait fait cet après-midi même. Jamais encore il ne s'était montré si peu soigneux de ses malades. Jamais encore il n'avait remis au lendemain l'ordonnance qui aurait dû être écrite à l'instant même, le diagnostic qui aurait dû être donné instantanément. Il rentra chez lui de meilleure heure que de coutume, fort mécontent.

      Le domestique était de retour. Le docteur Wybrow n'osait plus le questionner; mais avant d'être interrogé, il rendit compte du résultat de sa mission.

      «La dame s'appelle la comtesse Narona. Elle demeure à…»

      Sans en entendre davantage, le docteur fit un signe de tête comme pour remercier et entra dans son cabinet. L'argent qu'il avait refusé était encore sur la table, dans son petit rouleau de papier blanc. Il le mit sous une enveloppe qu'il cacheta: il le destinait au tronc pour les pauvres du bureau de police voisin; puis, appelant le domestique, il lui donna l'ordre de le porter au magistrat dès le lendemain matin. Fidèle à ses devoirs, le domestique fit la question accoutumée:

      «Monsieur dîne-t-il chez lui aujourd'hui?»


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