L'hôtel hanté. Уилки Коллинз
Читать онлайн книгу.de la famille Westwick, qui avait si publiquement déclaré, dans le fumoir du cercle, son mépris pour son frère aîné.
Agnès hésitait. Une légère rougeur colora son visage.
C'est qu'il y avait eu un temps, bien éloigné maintenant, où Henry Westwick avait dit qu'il l'aimait. Elle lui avait fait sa confession bien sincère, lui avait dit que son coeur appartenait à son frère aîné, et Henry s'était soumis. Depuis, ils avaient été de véritables amis, des parents dévoués l'un à l'autre; depuis, chaque fois qu'ils s'étaient rencontrés, la situation n'avait jamais été embarrassante pour eux.
Mais aujourd'hui, le jour du mariage de son frère avec une autre femme, le jour où la trahison était consommée, elle éprouvait une certaine répulsion à le revoir. Son hésitation n'échappa pas à la vieille nourrice qui, se souvenant de les avoir vus tous deux au berceau et se sentant, bien entendu, plus de sympathie pour l'homme, dit timidement un mot en faveur d'Henry.
«Il parait qu'il va partir, ma chérie; il veut seulement vous donner la main et vous dire adieu.»
Cette simple explication fit son effet. Agnès se décida à recevoir son cousin.
Il entra si vite dans la chambre, qu'il la surprit, jetant dans les flammes les morceaux de la dernière lettre de Montbarry. Elle se mit aussitôt à parler la première, pour dissimuler son embarras.
«Tous quittez Londres bien soudainement, Henry. Est-ce pour affaires ou pour votre plaisir?»
Au lieu de répondre, il montra de la main les lettres qui flambaient encore et les cendres noircies de papier brûlé qui formaient un léger amas autour du foyer.
«Vous brûlez des lettres?
—Oui.
-Ses lettres?
—Oui».
Il lui prit doucement la main.
«Je ne me doutais pas que je vous importunais ainsi, à un moment où vous désiriez sans doute être seule. Pardonnez-moi, Agnès, je vous verrai à mon retour.»
Elle sourit tristement et lui fit signe de s'asseoir.
«Nous nous connaissons depuis notre enfance, dit-elle. Pourquoi aurais-je des secrets pour vous? J'ai renvoyé à votre frère, depuis quelque temps déjà, tous les cadeaux qu'il m'avait faits. J'ai voulu faire plus encore et ne rien garder qui pût me rappeler son souvenir. J'ai tenu à brûler ses lettres. J'ai suivi mon inspiration; mais j'avoue que j'hésitais un peu à détruire la dernière. Non pas parce que c'était la dernière, mais parce qu'elle contenait ceci. Elle ouvrit sa main, et lui fit voir une mèche des cheveux de Montbarry attachée par une petite tresse d'or. Allons! qu'elle disparaisse comme le reste!»
Elle la laissa tomber dans le feu. Pendant un moment, elle resta le dos tourné à Henry, appuyée sur le marbre de la cheminée et regardant les flammes. Henry prit la chaise qu'elle lui avait désignée; son visage exprimait deux sentiments bien contraires: son front tout plissé indiquait la colère et il avait les larmes aux yeux. Il s'assit en murmurant entre ses lèvres ce mot:
—Misérable!
Elle fit un effort sur elle-même, et le regardant bien fixement, lui dit: «Voyons, Henry, pourquoi partez-vous?
—Je m'ennuie, Agnès, et j'ai besoin de changement.» Elle s'arrêta un instant avant de reprendre. Les yeux d'Henry disaient clairement qu'il pensait à elle en faisant cette réponse. Agnès lui en était reconnaissante, mais elle songeait toujours à celui qui l'avait abandonnée, sans penser à Henry.
«Est-ce vrai, demanda-t-elle après un long silence, qu'ils se sont mariés aujourd'hui?»
Il répondit presque avec brusquerie par ce seul mot:
«Oui.
—Êtes-vous allé à l'église?»
Il écouta cette question avec un air de surprise indignée.
«Aller à l'église? répéta-t-il. J'aimerais autant aller au…
Il s'arrêta là,—Comment pouvez-vous demander cela? ajouta-t-il plus bas.
—Je n'ai jamais parlé à Montbarry, je ne l'ai même pas vu depuis qu'il a agi avec vous comme un misérable et un imbécile qu'il est.»
Elle le regarda soudain, sans dire un mot. Il la comprit et lui demanda pardon. Mais il n'était pas encore redevenu maître de lui.
«Le jour de l'expiation arrive pour certains hommes, dit-il, même dans ce monde. Il vivra assez pour maudire le jour où il épousa cette femme».
Agnès prit une chaise à côté de lui et le regarda avec une douce surprise.
«Est-ce bien raisonnable d'être prévenu contre cette femme, parce que votre frère me l'a préférée».
Henry lui répondit brusquement:
—Est-ce que vous défendez la comtesse? Vous seriez la seule au monde.
—Pourquoi pas, reprit Agnès. Je ne sais rien contre elle. La seule fois où nous nous sommes rencontrées, elle m'a paru une personne singulièrement timide et nerveuse, et de plus, fort malade, si malade qu'elle s'est évanouie, parce qu'il faisait un peu trop chaud dans la pièce où nous étions. Pourquoi serions-nous injustes? Nous savons qu'elle n'est nullement coupable, qu'elle n'a pas voulu me faire du mal, qu'elle ne savait pas la parole que nous avions échangée avec votre frère.»
Henry leva la main avec impatience et l'arrêta.
«Il ne faut pas être non plus trop juste et trop prête à pardonner, reprit-il. Je ne peux pas souffrir vous entendre parler de cette façon résignée, après la manière scandaleuse et cruelle dont vous avez été traitée de les oublier tous deux, Agnès, je désire que Dieu me permette de vous y aider!» Agnès lui mit la main sur le bras. «Vous êtes bon pour moi, Henry; mais vous ne me comprenez pas tout à_ _fait. Quand vous êtes entré, je pensais à mes souffrances, mais non pas avec les idées que vous avez. Je me demandais s'il était possible que mes sentiments pour votre frère, qui emplissaient entièrement mon coeur et qui avaient si complètement absorbé mon être avaient pu disparaître comme s'ils n'avaient jamais existé. J'ai détruit les derniers souvenirs qui me le rappelaient: je ne le reverrai plus en ce monde; mais le lien qui nous a jadis unis est-il absolument brisé? Suis-je aussi désintéressée de ce qui peut lui arriver d'heureux ou de malheureux que si nous ne nous étions jamais rencontrés et jamais aimés? Qu'en pensez-vous, Henry? Moi, je ne le crois pas.
—Si vous pouviez lui faire porter la peine de sa conduite, répondit sévèrement Henry Westwick, je pourrais être de votre opinion.»
Au moment ou il faisait cette réponse, la vieille nourrice reparut à la porte, annonçant une autre visite.
«Je regrette de vous déranger, ma chérie. Mais il y a la petite Mme Ferraris qui veut savoir quand elle pourra vous dire un mot.» Agnès se tourna vers Henry avant de répondre. «Vous vous souvenez d'Émilie Bidwell, ma petite élève favorite, il y a bien des années, à l'école du village, qui est ensuite devenue ma femme de chambre? Elle m'a quittée pour épouser un courrier italien nommé Ferraris, et j'ai bien peur qu'elle ne soit pas heureuse. Cela ne vous gêne-t-il pas que je la fasse entrer une ou deux minutes.»
Henry se leva pour prendre congé.
«Je serais heureux de revoir Émilie à un autre moment, dit-il, mais il est préférable que je m'en aille. Je n'ai pas tout à fait l'esprit à moi, Agnès, et si je restais ici plus longtemps, je pourrais vous dire des choses qu'il vaut mieux ne pas dire maintenant. Je vais traverser la Manche ce soir et voir ce que me feront quelques semaines de voyage. Il lui prit la main. Y a-t-il quelque chose au monde que je puisse faire pour vous?» demanda-t-il vivement.
Elle le remercia et essaya de retirer sa main, mais Henry résista par une douce étreinte.
«Dieu