L'oeuvre des conteurs allemands. Anonyme

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L'oeuvre des conteurs allemands - Anonyme


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regret l'une de l'autre et se reprendre étroitement serrées, je voyais leurs mains jouer dans leurs chevelures; parfois ils souriaient, et le sourire apparaissait pour disparaître au plus vite. Maintenant, ma mère se taisait. Tous les deux, ils semblaient heureux au même degré. Leurs yeux se noyèrent au même instant, et au moyen de la plus haute extase mon père parut renaître pour de bon; cette fois il poussait de profonds soupirs, s'écartait parfois de ma mère comme pour mieux pouvoir contempler le spectacle chéri que lui présentait le visage surprenant et mutin de sa délicieuse et adorable épouse. Mon père cria: «Je t'aime, ô ma femme bénie, je t'aime!» Et au même instant, ma mère: «Oui, oui, nous nous aimons comme Philémon et Baucis!» Leur ravissement dura quelques minutes, puis ce fut le silence.

      J'étais comme pétrifiée. Les deux êtres pour lesquels j'avais ressenti jusqu'à présent le plus d'amour et de respect venaient de me révéler des choses sur lesquelles les jeunes filles se font des idées délicieusement absurdes. Ils avaient rejeté toute dignité et toutes les conventions dans lesquelles ils s'étaient toujours montrés, dignes et sans passion. Ils venaient de m'apprendre que le monde, sous le maintien extérieur des mœurs et des convenances, ne recherche que la jouissance et la volupté. Mais je ne veux pas faire de la philosophie, je veux avant tout raconter.

      Durant dix minutes ils restèrent comme morts sous les draps. Puis ils se levèrent, s'habillèrent et quittèrent la chambre. Je savais que ma mère allait mener mon père dans la chambre où les cadeaux étaient exposés. Cette chambre donnait sur la véranda qui menait au jardin. Au bout de quelques minutes je quittai furtivement ma cachette et me sauvai dans le jardin, d'où je saluai mes parents. Je ne sais pas comment je pus réciter ma poésie et présenter mes bons vœux à mon père. Mon père prit mon trouble pour de l'attendrissement. Pourtant je n'osais regarder mes parents, je ne pouvais oublier le spectacle qu'ils venaient de m'offrir; l'image de leurs ébats était devant mes yeux. Mon père m'embrassa, puis aussi ma mère. Quelle autre espèce de baisers n'était-ce pas? J'étais si troublée et si confuse que mes parents le remarquèrent à la fin. Je mourais d'impatience de regagner ma chambre pour être seule et approfondir ce que je venais d'apprendre et me livrer enfin à des expériences personnelles. Ma tête était en feu; mon sang battait dans mes artères.

      Ma mère crut que je m'étais trop serrée. Elle m'envoya dans ma chambre. J'avais une belle occasion pour me déshabiller, et je le fis avec une telle hâte que je déchirai presque mes habits. Que mon corps angulaire était laid en comparaison de la beauté plantureuse de ma mère! C'est à peine si s'arrondissait ce qui chez elle était épanoui. J'étais comme une chèvre, tandis qu'elle représentait une belle chatte; il me semblait que j'étais un monstre de laideur auprès d'elle. J'essayais de faire seule ce que j'avais vu faire par d'autres que moi et ne pouvais comprendre comment certains détails corporels si peu importants pouvaient déchaîner des joies qui m'étaient encore refusées. J'en conclus que j'étais trop jeune et que seuls les êtres d'âge mûr peuvent éprouver tant d'allégresse; cependant j'avais des sensations très agréables. Mais je ne pouvais pas comprendre comment elles pouvaient déchaîner un tel délire et vous faire perdre les esprits. J'en conclus encore que l'on ne pouvait atteindre cette suprême volupté qu'avec le concours d'un homme. Je comparais le pasteur à mon père. Est-ce qu'il posait aussi? Était-il aussi bouillant, aussi voluptueux, aussi fou seul à seul avec une femme? Serait-il ainsi avec moi si j'étais prête à faire tout ce que ma mère avait fait? Et je ne pouvais oublier cette image, entre toutes belle, quand ma mère, pour le ranimer de ses caresses, avait si longtemps regardé mon père dans les yeux et l'avait caressé au front avec une langueur adorable.

      En moins d'une heure, j'avais vécu dix ans. Quand je vis que tous mes essais étaient vains, je les abandonnai fatiguée et je me mis à réfléchir à ce que j'allais entreprendre. J'étais déjà très systématique, je tenais un journal où je notais mes petites dépenses et toutes mes observations. Aussi notai-je tout de suite les paroles entendues, mais, par prudence, sur différents papiers, pour que personne ne pût comprendre les phrases détachée. Puis je me mis à réfléchir à ce que j'avais vu et bâtis des châteaux en Espagne.

      Premièrement: ma mère avait fait semblant de dormir et, par sa pose provocante, elle avait obligé mon père à satisfaire son désir. Avec beaucoup de soin elle avait caché son désir à mon père. Elle voulait faire semblant de condescendre, d'accorder. Puis elle avait aussi disposé le miroir pour jouir doublement et en cachette. Ce que j'avais vu moi-même dans le miroir m'avait aussi causé plus de plaisir que la simple réalité, j'y voyais distinctement des choses qui sans cela m'auraient été cachées. Tous ces préparatifs, elle les avait faits à l'insu de mon père. Elle ne voulait donc point lui avouer qu'elle jouissait plus que lui. Enfin, elle lui avait aussi demandé s'il ne voulait pas attendre jusqu'au soir, elle qui avait tout préparé pour assouvir immédiatement son désir!

      Deuxièmement: tous les deux avaient crié: «Je t'aime, je t'aime!» Ils avaient aussi parlé de quelque chose qui se passait au moment de l'extase, ils s'étaient écriés ensemble encore une fois: «Je t'aime!» De quoi parlaient-ils? Je n'arrivais pas à comprendre. Je ne puis pas vous dire toutes les explications stupides que j'inventai alors. Il est étonnant que, malgré leur ruse naturelle, les jeunes filles cherchent si longtemps dans les ténèbres et qu'elles ne découvrent que très rarement les explications les plus simples et les plus naturelles.

      Il était évident que les baisers et les jeux n'étaient pas le principal: ils n'étaient que des excitants, bien que ma mère ressentît alors la plus forte volupté. Les jeux de mon père lui avaient fait crier: «Je t'aime», elle désirait probablement un baiser, et elle avait fait la même chose à mon père.

      Bref, j'avais tant de pensées que je ne pus me calmer de tout le jour. Je ne voulais questionner personne. Puisque mes parents faisaient ces choses en cachette, elles devaient être défendues. Beaucoup de visites vinrent dans la journée, et dans l'après-midi arriva mon oncle. Il était accompagné de sa femme, de ma cousine, une fillette de seize ans, et d'une gouvernante de la Suisse française. Ils passèrent la nuit chez nous, car mon oncle avait affaire en ville le lendemain. Ma cousine et sa gouvernante partagèrent ma chambre. Ma cousine devait coucher avec moi. J'aurais préféré partager la couche de la gouvernante, pour laquelle on dressa un lit de camp. Elle avait environ vingt-huit ans, était très vive et n'était jamais à court d'une réponse. Sans doute elle aurait pu m'apprendre bien des choses. Je ne savais comment l'entreprendre, car elle était très sévère avec ma cousine, mais j'aurais pu compter sur l'intimité de la nuit et sur le hasard. Je forgeai mille plans. Quand nous montâmes dans notre chambre, Marguerite (c'est ainsi que s'appelait la gouvernante) s'y trouvait déjà. Elle avait dressé un paravent entre nos lits. Elle nous pressa de nous coucher, nous fit réciter notre prière, nous souhaita bonne nuit, nous recommanda de nous endormir bientôt et emporta la lampe de son côté. Elle aurait pu se dispenser de faire ces recommandations à ma cousine, qui, à peine sous les draps, s'endormit aussitôt. Moi, je ne pouvais m'endormir. Mille pensées se brouillaient dans ma tête. J'entendais Marguerite remuer, elle se déshabillait et faisait sa toilette de nuit. Un faible rayon de lumière filtrait par un trou de la grosseur d'une tête d'épingle. Je me penchai hors du lit et je l'agrandis avec une épingle à cheveux. J'y collai mon œil, Marguerite changeait justement de chemise.

      Son corps n'était pas aussi beau que celui de ma mère; ses formes étaient pourtant rondes et pleines, les seins petits et fermes, les jambes bien faites. Je la regardais depuis quelques instants et à peine, quand elle rêva un petit moment. Puis elle sortit un livre de sa sacoche posée sur la table, s'assit sur le bord du lit et se mit à lire.

      Bientôt elle se leva et passa avec la lampe de notre côté pour voir si nous dormions. Je fermai mes yeux de toutes mes forces et les rouvris quand la gouvernante se fut assise sur une chaise. Je la regardais à travers la déchirure. Marguerite lisait avec beaucoup d'attention. Le livre devait raconter des choses particulières, car ses yeux brillaient, ses joues se rougissaient, sa poitrine s'agitait et, tout à coup, elle porta le livre plus près de ses yeux, appuya les pieds sur le bord du lit, et se mit à lire avec encore plus d'attention et de plaisir. Je ne voyais pas ce à quoi elle voulait en venir, mais je pensai immédiatement à ce que j'avais vu le matin. Parfois, elle semblait lire


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