L'oeuvre des conteurs allemands. Anonyme
Читать онлайн книгу.ces choses pour les comprendre», je lui fermai la bouche avec ma main grande ouverte, si bien qu'elle poussa un grand soupir et se tut immédiatement. Je caressais fiévreusement le front élégant qui résistait à ma main, quand je m'arrêtai tout à coup et lui dis: «Si vous voulez que je continue, vous devez me procurer un avant-goût de ce qui m'attend et de ce que vous m'avez si délicieusement décrit!». Aussitôt, elle me caressa gentiment comme je faisais, et je vis à la chaleur de ses baisers que ma proposition lui faisait le plus vif plaisir. Elle ôta ma main de sa bouche et m'embrassa avec toutes sortes de câlineries, de chatteries qui tenaient à la fois de la sœur et de l'amie, et que je ne savais pas bien lui rendre, car c'était la première fois que j'étais dans une telle situation.
Elle me dit alors tristement: «Cela ne va pas, ma chère Pauline! Ton âme est encore fermée à l'amour. Mais je ne veux pas te laisser ainsi sans rien. Viens, assieds-toi là, de la façon que je vais t'indiquer, de façon que je puisse t'enseigner, ainsi qu'il sied à une jeune fille aussi jolie que toi. Je vais voir si je peux te procurer verbalement ce que ta virginité te défend encore.» Mon père avait aussi dit des mots aussi tendres à ma mère. Je ne me fis donc pas prier. Je m'agenouillai auprès d'elle en lui tenant la tête. À peine m'eut-elle touchée que mon âme commença à être renseignée sur ce qui me faisait si mal quand elle essayait de s'y prendre autrement. Mais quelle autre sensation en comparaison de tout ce que j'avais essayé jusqu'alors! Dès que son activité de femme expérimentée se fut communiquée à moi, une volupté inconnue m'inonda et je ne savais plus ce que l'on me faisait. Nous parlions maintenant avec volubilité, nos corps étaient l'un près l'autre. Je me renversai par devant et, appuyée sur la main gauche, je jouais avec la droite avec une de ses nattes épaisses; elle en avait deux qui descendaient très bas. Ces premières sensations de la volupté, que je devais connaître jusque dans mes années les plus mûres, m'enivraient déjà d'un bonheur ineffable. Sa langue m'éjouissait. Elle me chatouillait le front, les joues, le nez, aspirait chaque pli, baisait avec feu le tout, humectait mes paupières de salive, puis elle retournait aussitôt à mon oreille, où elle me causait un chatouillement vigoureux et indiciblement doux. Quelque chose de merveilleux et d'inconnu se pressait en moi. Toute ma sève allait se mettre en mouvement et je sentais que, malgré ma jeunesse, j'avais droit aux plus hauts ravissements. Je voulais lui rendre centuplé tout ce qu'elle me procurait. C'est avec rage que je la caressais, ainsi qu'elle-même me faisait. Enfin, ma main fut prise de fourmillements, à cause de la fausse position que j'avais adoptée à côté d'elle. Nous étions hors de nous et nous arrivâmes ensemble au but. Je sentis un dernier baiser mordre presque ma bouche, tandis que je la mordais également. Je perdis connaissance. Je m'abattis sur la jeune femme frissonnante. Je ne savais plus ce qui m'arrivait.
Quand je revins à moi, j'étais couchée auprès de Marguerite. Elle avait remonté la couverture et me tenait tendrement embrassée. Je compris tout à coup que j'avais fait quelque chose de défendu. Mon désir et mon feu s'étaient éteints. Mes membres étaient brisés. Je ressentais une violente démangeaison aux endroits que Marguerite avait si fertilement caressés; le baume de ses baisers ne pouvait pas calmer ma tristesse. J'eus conscience d'avoir commis un crime et j'éclatai en sanglots. Marguerite savait que dans des cas semblables il n'y a rien à faire avec des petites niaises comme moi, elle me tenait contre sa poitrine et me laissa tranquillement pleurer. Enfin, je m'endormis.
Cette nuit unique décida de toute ma vie. Mon être avait changé et mes parents le remarquèrent à mon retour. Étonnés, ils m'en demandèrent la cause. Nos relations, entre Marguerite et moi, étaient aussi des plus étranges. Le jour nous pouvions à peine nous regarder; la nuit, notre intimité était des plus folâtres, notre conversation des plus intimes, nos plaisirs des plus agréables. Je lui jurai de ne jamais me laisser séduire, et de ne jamais tolérer qu'un homme me fît connaître son étreinte dangereuse. Je voulais jouir de tout ce qui était sans danger. Quelques jours avaient suffi pour faire de moi ce que je suis encore et ce que vous avez si souvent admiré. J'avais remarqué que tout le monde se déguisait autour de moi, même les meilleures et les plus respectables. Marguerite, qui m'avait tout avoué, ne m'avait jamais parlé de cet instrument qui lui causait autant de joie que n'importe quelle autre chose et auquel elle n'aurait pas renoncé pour un empire. Je le désirais aussi de toute mon âme. Elle ne me l'avait jamais montré. L'idée me vint de dérober la clef de l'armoire où il était enfermé. Ma curiosité ne me laissait pas de repos. Je ne voulais pas avoir recours aux autres, je voulais tout apprendre par moi-même! Durant cinq jours je n'arrivai pas à me procurer cette clef; enfin, je la possédai! Je profitai de ce que Marguerite donnait une leçon à ma cousine pour contenter ma curiosité. Et voici que j'avais la chose en main, je la retournais, j'éprouvais son élasticité. L'instrument était dur et froid. J'essayai de me rendre compte de sa réelle utilité. En vain. Cela était tout à fait impossible. Je ne ressentais aucun plaisir. Je ne pouvais que constater cette vérité qui me navrait. Je me contentai de chauffer l'instrument entre mes mains. J'avais décidé d'ouvrir enfin la voie des fortes joies que d'autres éprouvaient et dont je n'avais eu que l'avant-goût. Marguerite m'avait dit que même entre les bras d'un homme cela était douloureux, et que bien des femmes prenaient goût à ces choses seulement après plusieurs années d'abandon le plus complet à l'homme aimé. J'essayai donc. Je chauffai l'instrument entre mes mains et je m'apprêtai non sans une certaine appréhension. Je voulais recevoir l'hôte exigeant. Je remarquai que ces quatre nuits passées avec Marguerite avaient contribué à faire de grands changements en moi. J'étais maintenant non plus une petite niaise, mais presque une femme comme toutes celles que je voyais agir, souffrir ou jouir autour de moi. Aussi je ne m'épargnai pas. Je fis comme avait fait Marguerite tandis que je la regardais avec attention lors de l'étrange nuit où nous étions séparées par un paravent, et où elle lisait le livre à images. J'étais si excitée que je supportai toute la douleur avec une constance qui m'étonnait. Enfin, je parvins au but que j'avais si longtemps désiré et que je croyais devoir être le paradis. Je me fis du mal et ma déception fut en somme très vive, car je n'éprouvais pas la moindre volupté. Il me fut aussi très douloureux de me croire faite autrement que toutes les femmes. J'étais inconsolable de cette expérience. Je ne comprenais rien de ce qui m'était arrivé, mais je ressentis tout le jour la brûlure et la douleur d'une blessure. Désenchantée, je remis l'instrument dans sa cachette. J'étais mécontente et j'en voulais à Marguerite de ne m'avoir pas aidée et de m'avoir laissé faire quelque chose de maladroit.
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