Les trois hommes en Allemagne. Джером К. Джером
Читать онлайн книгу.et le lendemain poussâmes jusqu'à Yarmouth, où mes amis se trouvèrent forcés de nous quitter; je me décidai à abandonner le yacht. Le matin de bonne heure je vendis nos provisions aux enchères sur la plage de Yarmouth. Je le fis avec perte, mais j'eus la satisfaction de rouler le capitaine Goyles. Je confiai l'Espiègle à un marin de l'endroit, qui promit de le ramener pour deux souverains à Harwich. Nous rentrâmes à Londres par le train.
Il se peut qu'il existe d'autres yachts que l'Espiègle et d'autres patrons que le capitaine Goyles, mais cette aventure m'a vacciné contre tout désir de récidive.
George confirma qu'un yacht entraînait en outre beaucoup de responsabilité et nous en abandonnâmes l'idée.
—Que penseriez-vous de la rivière? suggéra Harris. Nous y avons passé de bons moments.
George continua à fumer en silence; je cassai une autre noix.
—La rivière n'est plus ce qu'elle a été, dis-je. Je ne sais pas exactement comment cela se fait; mais il y existe un je ne sais quoi dans l'air, une sorte d'humidité, qui chaque fois que j'en approche réveille mon lumbago.
—Et moi, remarqua George, j'ignore le pourquoi de la chose, mais je ne puis plus dormir dans son voisinage. J'ai passé une semaine chez James au printemps. Toutes les nuits, je me réveillais à sept heures et il m'était impossible de refermer l'œil.
—Je n'avais fait que la proposer sans y attacher grande importance, dit Harris, car cela ne me vaut rien non plus; mon séjour s'y achève invariablement sur une attaque de goutte.
—Ce qui me réussit le mieux, dis-je, c'est l'air de la montagne. Que penseriez-vous d'un voyage pédestre à travers l'Ecosse?
—Il fait toujours humide en Ecosse, s'écria George. J'y ai passé trois semaines l'année avant-dernière sans y avoir jamais eu le corps ni le gosier secs, si j'ose dire.
—Pourquoi pas la Suisse? émit Harris.
J'objectai:
—Jamais elles ne nous laisseront aller seuls en Suisse: vous savez ce qu'il en advint la dernière fois. Il nous faut un endroit où ni femme ni enfant habitués à un certain confort ne voudraient résider, un pays de mauvais hôtels, de communications difficiles, où nous vivrions à la dure, où nous devrions trimer, jeûner peut-être.
—Doucement! interrompit George, doucement! Vous oubliez que je pars avec vous.
—J'y suis, exclama Harris; une balade à bicyclette!
George eut l'air d'hésiter.
—Il y a pas mal de montées, songez-y, et on a le vent debout.
—Soit! mais aussi des descentes avec le vent dans le dos.
—Je ne m'en suis jamais aperçu, dit George.
—Vous ne trouverez pas mieux qu'un voyage à bicyclette, persista Harris.
Je me sentais enclin à l'approuver.
—Et je vous dirai même où aller, continua-t-il: à travers la Forêt Noire.
—Mais elle est toute en montées! riposta George.
—Pas toute, mettons les deux tiers. Et il y a une commodité, que vous oubliez.
Il regarda autour de lui avec précaution et chuchota:
—Il y a des petits trains qui gravissent ces hauteurs, des petits trucs à roues dentées, qui...
La porte s'ouvrit et Mme Harris apparut. Elle dit qu'Ethelbertha était en train de mettre son chapeau et que Muriel, lasse d'attendre, avait récité sans nous: «The Mad Hatters Tea Party».
—Au club, demain quatre heures! me chuchota Harris en se levant.
Je passai la consigne à George en montant l'escalier.
CHAPITRE DEUXIÈME
Une tâche ardue. Ce qu'Ethelbertha aurait pu dire. Ce qu'elle dit. Ce que Mme Harris dit. Ce que nous dîmes à George. Nous partons le mercredi. George expose que nous pouvons profiter de ce voyage pour cueillir un peu de savoir. Harris et moi en doutons. Quel est celui qui trime le plus sur un tandem? L'avis de celui qui est devant. Ce qu'en pense celui qui est derrière. Comment Harris égara sa femme. La question des bagages. La sagesse de mon vieil oncle Podger. Début de l'histoire de l'homme porteur d'un sac.
Le soir même, j'entamais le débat avec Ethelbertha. J'affectai d'être irritable. Je m'attendais à ce qu'Ethelbertha fît une remarque à ce sujet. J'en aurais admis le bien fondé, attribuant mon état à un peu de surmenage cérébral.
Une fois sur le chapitre de ma santé, l'urgence de remèdes radicaux nous apparaîtrait. Avec du tact, j'amènerais Ethelbertha à prendre l'initiative de la décision. J'imaginais qu'elle dirait: «Mon chéri, c'est un changement de régime qu'il te faut, un changement complet. Laisse-toi persuader et pars pour un mois. Non, ne me demande pas de t'accompagner. Je sais que tu le préférerais, mais je ne le veux pas. C'est la société d'hommes qu'il te faut. Essaie de décider George et Harris à t'accompagner. Crois-moi, une tension d'esprit perpétuelle réclame de temps à autre un relâchement de l'effort journalier. Tâche pour quelque temps d'oublier qu'il faut aux enfants des leçons de musique, des bottines, des bicyclettes et de la teinture de rhubarbe trois fois par jour; tâche d'oublier qu'il existe ce qu'on appelle des cuisinières, des tapissiers, des chiens de voisins et des notes de boucher. Va-t'en te mettre au vert, et choisis loin d'ici un endroit où tout te sera nouveau, où ton cerveau surmené pourra se retremper dans une atmosphère de calme et d'oubli. Reste absent quelque temps; donne-moi le loisir de te regretter et de méditer sur ta bonté et sur tes qualités que j'ai continuellement sous les yeux, que je pourrais oublier; car ce serait humain, puisqu'on devient facilement indifférent aux bienfaits du soleil et aux beautés de la lune. Va-t'en et reviens-nous reposé de corps et d'âme, plus brillant, meilleur, si possible.
Mais même lorsque nos désirs s'accomplissent, jamais le bonheur ne se présente tel exactement que nous l'aurions souhaité. Pour commencer, Ethelbertha ne sembla pas remarquer mon énervement; il fallut que je forçasse son attention. Je fis:
—Excuse-moi, je ne suis pas bien ce soir.
—Tiens..., me répondit-elle, je n'avais rien remarqué; qu'est-ce qui ne va pas?
—Je ne saurais te l'expliquer. Je sens venir cela depuis des semaines.
—C'est ce whisky. Jamais tu n'y touches, sauf quand nous allons chez les Harris. Tu sais pourtant que tu ne le supportes pas. Tu n'as pas la tête solide.
—Ce n'est pas le whisky; c'est plus sérieux que cela. Je pense que c'est une affection plutôt mentale que physique.
—Tu as encore lu ces critiques, dit Ethelbertha avec un peu plus de sympathie. Pourquoi, selon mon conseil, ne les as-tu pas jetées au feu?
—Ce ne sont pas les critiques. Elles ont même été flatteuses, du moins les deux ou trois dernières.
—Alors qu'est-ce que c'est? Car il y a sûrement une raison.
—Non, il n'y en a pas. Et c'est cela qui est étonnant. Je définirais mon état: une sensation étrange d'agitation...
Il me sembla qu'Ethelbertha me scrutait bizarrement; mais comme elle ne dit rien, je continuai:
—Cette grise monotonie de la vie, ces journées paisibles de félicité sans événements finissent par me peser.
—Voilà-t-il pas de quoi se plaindre! s'écria Ethelbertha. Nous pourrions avoir des journées d'une autre teinte et les aimer encore moins.
—Je n'en suis pas sûr. Je peux m'imaginer la douleur