Les trois hommes en Allemagne. Джером К. Джером

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Les trois hommes en Allemagne - Джером К. Джером


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vous, mais j'ai comme un pressentiment que je ne trompe pas.

      —Ce voyage va me coûter cher, dit Harris.

      —Ce fut dès le début, dis-je, une idée stupide.

      —Nous avons été fous d'écouter George, déclara Harris: il nous vaudra de sérieux ennuis un de ces jours.

      —Il a toujours été gaffeur.

      —Et si entêté!

      A ce moment nous entendîmes la voix de George dans le hall. Il demandait son courrier.

      Je chuchotai:

      —Il serait préférable de ne rien lui dire: il est trop tard pour rebrousser chemin.

      —Il n'y aurait aucun avantage à le rebrousser, puisqu'en tout état de cause je devrai faire la dépense de cette salle de bains et de ce piano.

      George entra, joyeux:

      —Eh bien! cela va-t-il? Avez-vous réussi?

      Quelque chose dans sa manière de parler me déplut. Harris me sembla avoir la même impression.

      —Réussi quoi? demandai-je.

      —Mais... à pouvoir vous absenter.

      Je sentis que le moment était venu de donner une leçon à ce garçon.

      —Quand on est marié, dis-je, l'homme propose et la femme se soumet. C'est son devoir; toutes les religions l'enseignent.

      George joignit ses mains et fixa ses yeux au plafond.

      —Peut-être nous est-il arrivé quelquefois de plaisanter, de rire de ces choses-là, continuai-je; mais vous allez voir comment on procède quand cela devient sérieux. Nous avons fait part à nos femmes de notre intention de voyager. Elles en ont du chagrin, c'est naturel; elles préféreraient nous accompagner ou, à défaut, voudraient nous voir rester avec elles. Mais nous leur avons expliqué nos désirs à ce sujet, ce qui a mis fin à toute discussion.

      —Pardonnez-moi, je n'avais pas saisi. Je ne suis qu'un pauvre célibataire. Les gens me racontent ceci et cela et je les écoute.

      —D'où votre erreur mon garçon. Dorénavant, quand vous aurez besoin d'explications, venez nous trouver, moi ou Harris: nous vous dirons la vérité en ces matières.

      George nous remercia et nous continuâmes à dresser nos plans.

      —Quand partirons-nous? demanda-t-il.

      —Le plus tôt possible, répondit Harris.

      Je supposai qu'il espérait s'échapper avant que Mme Harris pût formuler d'autres désirs. Nous nous décidâmes pour le mercredi suivant.

      —Et où irons-nous? reprit Harris.

      —Sans doute, dit George, que vous désirez cultiver votre esprit?...

      —Oui..., répondis-je. A un degré raisonnable. Sans prétendre vouloir devenir des phénomènes. Si possible sans trop d'effort personnel. Et avec le minimum de dépense.

      —Ce sera facile, déclara George. Nous connaissons la Hollande et les bords du Rhin. Très bien. Je propose donc que nous prenions le bateau jusqu'à Hambourg, que nous visitions Berlin et Dresde, et que nous nous dirigions ensuite vers la Forêt Noire, par Nuremberg et Stuttgart.

      —On m'a parlé de beaux sites en Mésopotamie, murmura Harris.

      George estima que la Mésopotamie se trouvait trop en dehors de notre itinéraire, mais que le voyage Berlin-Dresde était très faisable.

      Il nous persuada. Fut-ce un bien, fut-ce un mal?

      —Quant aux machines, je pense, dit George, que nous ferons comme d'habitude. Harris et moi sur le tandem et J...

      —J'aime autant pas, interrompit Harris avec fermeté. Vous et J..., sur le tandem; moi, sur la bicyclette.

      —Cela m'est égal, dit George, J... et moi monterons le tandem, Harris.

      Je lui coupai la parole:

      —Je n'ai pas l'intention de traîner George tout le temps. La charge devra être partagée.

      —Très bien, concéda Harris. Nous la partagerons. Mais il est bien entendu qu'il travaillera.

      —Qu'il fera quoi? s'exclama George.

      —Qu'il travaillera, répéta Harris avec énergie: en tout cas aux montées.

      —Grands dieux! soupira George, vous n'avez donc pas le moindre besoin d'exercice?

      Le tandem donne invariablement lieu à des altercations. Celui qui est en avant prétend toujours que celui qui est en arrière reste à ne rien faire, tandis que, selon l'avis de celui de derrière, c'est lui seul qui propulse la machine, pendant que celui de devant se contente d'être essoufflé. C'est un mystère à jamais impénétrable. Tandis que la prudence d'une part vous dit à l'oreille de ne pas outrepasser vos forces pour ne pas attraper une affection cardiaque, pendant que la justice vous chuchote à l'autre oreille: «Pourquoi t'imposer tout le travail? ce véhicule n'est pas un fiacre, tu n'es pas chargé du transport d'un client», il est agaçant d'entendre l'autre grogner tout à coup: «Qu'y a-t-il? vous avez perdu les pédales?»

      Harris, peu de temps après son mariage, eut des ennuis sérieux, causés par l'impossibilité où il fut de se rendre compte des faits et gestes de la personne qui était assise derrière lui. Il traversait la Hollande à bicyclette avec sa femme. Les routes étaient pierreuses et la machine sautait beaucoup.

      —Tiens-toi bien, dit Harris sans se retourner.

      Mme Harris crut comprendre: «Saute à bas!»

      Aucun d'eux ne peut expliquer comment Mme Harris avait pu entendre: «Saute», quand il avait dit: «Tiens-toi bien.»

      Mme Harris articule: «Si tu m'avais dit de bien me tenir, pourquoi aurais-je sauté?»

      Et Harris de riposter: «Si j'avais voulu que tu sautasses, pourquoi aurais-je dit: «Tiens-toi bien»?

      Toute amertume est maintenant passée, mais à présent encore il leur arrive de discuter là-dessus.

      Qu'on l'explique d'une manière ou d'une autre, le fait est que Mme Harris sauta pendant que Harris pédalait de toutes ses forces, persuadé que sa femme était toujours assise derrière lui.

      Il paraît qu'elle crut d'abord qu'il prenait la côte en vitesse simplement pour se faire admirer. Ils étaient jeunes alors et il lui arrivait de faire de ces sortes de démonstrations. Elle s'attendait à ce qu'il sautât à terre une fois au sommet et l'attendît adossé à sa machine, dans une attitude pleine de désinvolture. Quand elle le vit au contraire dépasser le faîte et prendre la descente à une allure rapide, elle fut d'abord surprise, ensuite indignée et enfin inquiète. Elle courut au haut de la colline et cria de toutes ses forces. Il ne tourna pas la tête. Elle le vit disparaître dans un bois situé à un kilomètre et demi, s'assit sur le bord de la route et se mit à pleurer. Ils avaient eu un débat insignifiant le matin même, et elle se demanda s'il ne l'avait pas pris au tragique et ne voulait pas abandonner sa compagne. Elle était sans argent et ignorait le hollandais. Les passants semblèrent la prendre en pitié; elle essaya de leur expliquer l'incident. Ils comprirent qu'elle avait perdu quelque chose, mais sans saisir quoi. Ils la conduisirent au village le plus proche et allèrent quérir un garde champêtre. Ce dernier, à ses pantomimes, conclut qu'on lui avait volé sa bicyclette. On fit fonctionner le télégraphe et l'on découvrit dans un village, à quatre kilomètres de là, un malheureux gamin sur une antique bicyclette de dame. On l'amena à Mme Harris dans une charrette, mais comme elle parut n'avoir que faire de lui ni de sa machine, on le remit en liberté, sans plus chercher à percer ce mystère.

      Cependant Harris continuait à pédaler avec un plaisir croissant. Il lui semblait avoir acquis des ailes. Il dit à ce qu'il croyait être Mme Harris:

      —Jamais


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