Le corsaire rouge. James Fenimore Cooper

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Le corsaire rouge - James Fenimore Cooper


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à quoi ils n’ont pas songé, certainement.

      Sa voix fut presque couverte par celle qui avait retenti jusqu’à l’esquif de Wilder, et qui se fit entendre de nouveau comme si elle hélait une autre barque.

      La réponse fut prompte, courte, expressive, mais elle fut faite à voix basse et avec précaution. Cette interruption soudaine parut embarrasser l’individu avec lequel Wilder avait eu une conversation si équivoque, comme s’il ne savait quelle conduite il devait tenir dans cette circonstance. Il avait déjà fait un mouvement pour conduire son nouvel hôte à la chambre du capitaine, lorsque le bruit des rames qui fendaient l’eau tout près du bâtiment, lui annonça qu’il était trop tard. Faisant signe à Wilder de rester où il était, il courut à l’embelle pour recevoir ceux qui venaient d’arriver.

      Grâce à cet abandon, Wilder resta seul en possession de la partie du vaisseau où il se trouvait, ce qui lui fournit l’occasion de recommencer son examen, et d’observer en même temps les nouveaux arrivés.

      Cinq ou six matelots aux formes athlétiques sortirent de la barque et montèrent à bord dans un profond silence. Une courte conférence eut lieu à voix basse entre eux et un officier qui semblait recevoir un rapport et transmettre un ordre. Lorsque ces préliminaires furent terminés, une corde fut descendue d’un palan de la grande vergue, et le bout alla tomber dans la barque récemment arrivée. L’instant d’après, le fardeau qu’elle était destinée à transporter parut au milieu de l’air, à peu près à égale distance de l’eau et du mât; il descendit alors lentement, incliné vers le bord, jusqu’à ce qu’il fût déposé en sûreté sur le tillac du vaisseau.

      Pendant tout le temps de cette opération, qui n’avait rien d’extraordinaire en elle-même, et qui n’était que ce que l’on voyait tous les jours à bord des grands bâtiments dans le port, Wilder avait ouvert de si grands yeux qu’ils semblaient prêts à sortir de leurs orbites. La masse noire qui avaient été enlevée de la barque semblait, au moment où elle s’était dessinée dans le ciel, avoir les formes d’un corps humain. Les matelots se groupèrent à l’entour, après beaucoup de bruit et d’assez longs entretiens à voix basse; le corps ou fardeau, quel qu’il fût, fut emporté par les matelots, qui disparurent derrière les mâts, les chaloupes et les canons qui couvraient l’avant du vaisseau.

      Tout cet incident était de nature à exciter l’attention de Wilder; cependant ses regards n’étaient pas tellement absorbés par ce qui se passait à l’embelle, qu’ils ne pussent apercevoir une douzaine d’objets noirs qui semblaient sortir tout à coup de derrière les espars. Ce pouvait être des masses inertes qu’on balançait dans l’air; mais ils avaient aussi une ressemblance frappante avec des têtes humaines. La manière simultanée dont ils parurent et disparurent servit à confirmer ce soupçon; et, à dire la vérité, notre aventurier ne douta pas un instant que la curiosité n’eût fait sortir toutes ces têtes de leurs cachettes respectives. Néanmoins, il n’avait guère eu le temps de refléchir à toutes ces circonstances, lorsqu’il fut rejoint par son premier compagnon, qui semblait avoir été laissé de nouveau seul avec lui sur le tillac.

      –Vous savez ce que c’est que de tirer les matelots de terre quand un vaisseau est près de mettre à la voile? dit l’officier.

      –Vous semblez avoir une méthode expéditive de les hisser à bord.

      –Ah! vous voulez parler du drôle qui est à la grande vergue. Vous avez la vue bonne, camarade, pour distinguer les choses à cette distance. Mais le drôle a fait le mutin; quand je dis qu’il a fait le mutin, je veux dire qu’il a fait ribote; car, pour mutin, il ne l’est qu’autant qu’on peut l’être quand on ne peut ni parler, ni s’asseoir, ni rester debout.

      Puis, comme s’il était content de l’explication qu’il avait donnée, il se mit à rire d’un air de satisfaction, pour se féliciter de son esprit.

      –Mais, ajouta-t-il bientôt, voilà longtemps que vous êtes à bord, et le capitaine vous attend dans sa cabine. Suivez-moi, je vous servirai de pilote.

      –Arrêtez, dit Wilder; ne serait-il pas à propos de lui annoncer ma visite?

      –Il en est déjà informé. Il ne se passe rien à bord, ici, qui ne parvienne à son oreille avant d’être mis sur le journal.

      Wilder ne fit pas d’autre objection, mais se montra prêt à suivre son guide. Celui-ci le conduisit jusqu’à l’endroit qui séparait la chambre principale du reste du vaisseau, et, lui montrant du doigt une portte, il dit à demi-voix:

      –Frappez deux fois; si l’on répond, entrez.

      Wilder suivit ses instructions: il frappa une première fois; mais, ou l’on n’entendit point, ou l’on ne voulut pas répondre. Il recommença, et on lui dit d’entrer. Le jeune marin ouvrit la porte, en proie à une foule de sensations qui trouveront leur explication dans la suite de notre histoire, et à la clarté d’une lampe brillante il reconnut l’étranger à la redingote verte

       Table des matières

      «D’après le bon et vieux principe qui dit:

      Prenne celui qui a la force, et garde celui

      qui peut.»

      WORDSWORTH. Le Tombeau de Rob-Roy.

      L’appartement où notre aventurier se trouvait alors ne peignait pas mal le caractère de celui qui l’occupait. Pour la forme et pour les proportions, il n’avait rien qui le distinguât des chambres de vaisseau ordinaires; mais l’ameublement offrait un singulier mélange de luxe et d’apprêts militaires. La lampe, suspendue au plafond, était d’argent massif, et, malgré les changements qu’on y avait faits pour l’adapter à la place, il y avait encore dans la coupe et dans les ornements quelque chose qui trahissait qu’elle avait dû éclairer autrefois un sanctuaire plus auguste et plus sacré. D’énormes chandeliers du même métal, et qui avaient dû évidemment aussi figurer dans une église, étaient posés sur une table vénérable, dont l’acajou brillait encore du vernis d’un demi-siècle, et dont les griffes dorées et les pieds ciselés annonçaient une destination première bien différente du service ordinaire d’un vaisseau. Un canapé, couvert de velours épinglé, était du côté de la barre d’arcasse, tandis qu’on voyait en face un divan de soie bleue, dont la forme, l’étoffe et les piles de coussins prouvaient que l’Asie elle-même avait été mise à contribution par le riche possesseur de cet appartement. Après ces meubles, qui frappaient les premiers la vue, on remarquait encore des glaces, des miroirs, de l’argenterie et même des tentures; mais il n’était pas une seule pièce de l’ameublement qui n’eût dans sa forme ou dans sa disposition quelque chose de particulier, qui assignait à chacune d’elles une origine différente. En un mot, la recherche et l’élégance semblaient avoir été consultées, beaucoup plus que le goût et l’harmonie, pour le choix de la plupart de ces objets, qui paraissaient avoir été rassemblés indistinctement, à mesure qu’ils flattaient un caprice, ou qu’ils attiraient les regards du maître somptueux.

      Au milieu de ce mélange de luxe et de richesse se montraient les sinistres instruments de la guerre. La cabine renfermait quatre de ces sombres canons dont le poids et le nombre avaient attiré les premiers l’attention de Wilder. Quoiqu’ils fussent placés si près des objets de luxe que nous venons de décrire, il n’était pas difficile de s’apercevoir qu’ils étaient disposés de manière à pouvoir servir au premier moment, et que cinq minutes suffiraient pour dépouiller la place de tout l’attirail du luxe, pour en faire une batterie terrible et bien protégée. Des pistolets, des sabres, des demi-piques, des haches, en un mot, toutes les armes du marin, étaient arrangés autour de la chambre, de manière à servir en quelque sorte de décoration guerrière, et à se trouver en même temps à portée de la main.

      Autour


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