Le corsaire rouge. James Fenimore Cooper

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Le corsaire rouge - James Fenimore Cooper


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escalier qui communiquait évidemment aux chambres des officiers subalternes, et qui ouvrait un passage direct jusqu’au magasin. Ces dispositions, un peu différentes de ce qu’il était habitué de voir, frappèrent sur-le-champ Wilder, quoiqu’il n’eût pas alors le loisir de se demander quelle pouvait en être la cause ou l’utilité.

      Il y avait une expression secrète de satisfaction, tempérée peut-être par une légère teinte d’ironie, sur la physionomie de l’étranger en redingote verte,–car il avait encore le costume sous lequel nous l’avons présenté la première fois au lecteur,-lorsqu’il se leva en voyant entrer Wilder. L’un et l’autre restèrent quelques instants sans parler; le prétendu avocat fut le premier à rompre enfin le silence.

      A quelle heureuse circonstance ce vaisseau doit-il l’honneur de votre visite? demanda-t-il.

      –Je crois pouvoir répondre à l’invitation de son capitaine, dit Wilder avec une assurance égale à celle que montrait l’autre.

      ––Vous a-t-il fait voir son brevet en prenant ce titre? On dit, je crois, sur mer qu’aucun croiseur ne doit être sans brevet

      –Et que dit-on aux universités sur ce point important?

      –Je vois que je ferai mieux de déposer la robe pour reprendre l’uniforme de marine, reprit l’autre en souriant. Il y a dans notre métier… dans notre profession, devrais-je dire, puisque c’est votre expression favorite, quelque chose qui nous révèle malgré nous l’un à l’autre. Oui, monsieur Wilder, ajouta-t-il avec dignité en faisant signe à son hôte d’imiter son exemple et de prendre un siège, je suis un marin comme vous, et je suis heureux de pouvoir ajouter le commandant de ce noble vaisseau.

      –Alors, vous devez convenir que je ne me suis pas présenté sans une autorisation suffisante.

      –Je l’avoue. Mon vaisseau a paru fixer agréablement vos regards, et je dois m’empresser de dire, de mon côté, que votre air, vos manières, tout en vous m’a fait désirer de faire avec vous une plus ample connaissance. Vous cherchez du service?

      –On doit rougir de rester dans l’inaction dans ces temps d’agitation et d’activité.

      –Très-bien. C’est un monde singulièrement bâti que celui où nous vivons, monsieur Wilder. Les uns se croient en danger en ayant sous leurs pieds un plancher non moins solide que la terre ferme, tandis que d’autres sont contents de confier leur sort à l’Océan. Il en est ensuite qui pensent que prier est l’unique affaire de l’homme; puis d’autres au contraire sont avares de leur souffle, et s’arrogent eux-mêmes ce qu’ils n’ont point le loisir ou l’inclination de demander. Sans doute vous avez jugé prudent de prendre des informations sur la nature de nos relations, avant de venir ici chercher de l’emploi?

      –On dit dans Newport que ce bâtiment est un vaisseau négrier,

      –On dit cela dans Newport! Elles ne se trompent jamais, ces bonnes langues de village! Si la sorcellerie a jamais existé sur la terre, le premier de la bande malicieuse a dû être un aubergiste de village, le second le docteur, et le troisième le prêtre. Quant à la quatrième place, le tailleur et le barbier peuvent se la disputer.– Roderick!

      Le capitaine accompagna ce mot, par lequel il venait de s’interrompre avec si peu de cérémonie, en frappant un léger coup sur un gong chinoi, qui, entre autres curiosités, était suspendu à l’une des solives à portée de sa main.

      –Eh bien! Roderick, dormez-vous?

      Un garçon vif et léger s’élança de l’une des deux petites cabines construites sur les hanches du vaisseau, et répondit à l’appel en annonçant sa présence.

      –La barque est-elle de retour?

      La réponse fut affirmative.

      –Et a-t-elle réussi?

      –Le général est dans sa chambre, Monsieur, et il pourrait vous répondre d’une manière plus satisfaisante que moi.

      –Eh bien! que le général vienne me rendre compte du résultat de sa campagne.

      L’intérêt de Wilder était excité à un tel point, qu’il retint même son haleine, de peur de troubler la rêverie soudaine dans laquelle son compagnon était alors évidemment tombé. Le jeune garçon descendit par l’escalier, comme un serpent qui se glisse dans son trou, ou plutôt comme un renard qui s’élance dans son terrier, et alors un profond silence régna dans la chambre. Le commandant du vaisseau appuya sa tête sur sa main, et parut oublier entièrement qu’il y avait un étranger auprès de lui. Le silence aurait duré beaucoup plus longtemps, s’il n’eût été interrompu par l’arrivée d’un tiers. Un corps raide et immobile s’éleva lentement par le petit escalier, de la manière à peu près que les spectres font leur apparition au théâtre. Lorsque la moitié de la personne fut visible, le corps cessa de monter et tourna une tête impassible du côté du capitaine.

      –J’attends des ordres, dit une voix sourde qui sortait de lèvres qu’on voyait à peine remuer.

      Wilder tressaillit à cette apparition inattendue, et celui qui causait sa surprise avait en effet un aspect assez remarquable pour frapper quiconque ne l’avait jamais vu. La figure était celle d’un homme de cinquante ans; le temps en avait plutôt durci qu’altéré les traits. Les joues étaient uniformément rouges, à l’exception d’une de ces petites bulbes expressives de chaque côté, qui ont tant de rapport avec les bourgeons de la vigne, ce qui fait donner l’épithète de bourgeonnés à ces sortes de visages. Le sommet de la tête était chauve; mais autour de chaque oreille était une masse de cheveux grisâtres, couverts de pommade et réunis en une seule tresse bien lissée et bien unie. Le cou était long, et un énorme col noir semblait l’allonger encore; les épaules, les bras et le buste annonçaient un homme fort grand, et le tout était enveloppé d’une sorte de pelisse d’une forme bizarre qui ressemblait assez à un domino. Le capitaine, dès qu’il entendit la voix, leva la tête en s’écriant:

      –Ah! général, vous êtes à votre poste; avez-vous trouvé la terre?

      –Oui.

      –Et l’endroit?–et l’homme?

      –L’un et l’autre.

      –Et qu’avez-vous fait?

      –Exécuté mes ordres.

      –Très-bien. Vous êtes un trésor pour l’exécution, général, et sous ce rapport je vous porte dans mon cœur. Le drôle s’est-il plaint?

      –Il était bâillonné.

      –Excellente méthode pour prévenir les remontrances! Tout est à merveille, général; vous avez mérité, comme toujours, mon approbation.

      –Alors récompensez-moi.

      –De quelle manière? Vous avez déjà le plus haut rang auquel je puisse vous élever. A moins de vous faire chevalier…

      –Bah! mes hommes ne sont pas mieux traités que les soldats de la milice. Ils manquent d’habits.

      –Ils en auront. Les gardes de Sa Majesté ne seront pas la moitié si bien équipés. Général, je vous souhaite une bonne nuit.

      La figure descendit de la manière subite, inattendue, on pourrait presque dire infernale, dont elle était montée, laissant de nouveau Wilder seul avec le capitaine du vaisseau. Celui-ci parut tout à coup frappé de l’idée que cette bizarre entrevue avait eu lieu en présence d’un étranger, et que, pour lui du moins, elle semblait demander quelque explication.

      –Mon ami, dit-il d’un air toujours un peu hautain, quoique assez expressif pour montrer qu’il voulait bien descendre à une explication,–mon ami commande ce que, sur un bâtiment plus régulier, on appellerait les soldats de marine. Il s’est élevé de grade en grade, par ses services, du rang le plus subalterne au poste distingué qu’il occupe


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