Le meurtre d'une âme. Daniel Lesueur

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Le meurtre d'une âme - Daniel Lesueur


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avait fondu, ne risquant pas de déceler les traces compromettantes, la communication devenait plus facile entre le souterrain et le château. Mlle de Solgrès n'avait plus à faire le grand détour extérieur par le bois. En un instant, elle traversait le parc, s'enfonçait dans le ravin broussailleux, découvrait parmi les ronces la porte de fer, si bien dissimulée sous une couche de terre et de plantes grimpantes... Elle mettait la clef dans la serrure... Jamais elle n'avait besoin de tourner le pène. Le battant s'écartait comme de lui-même. Quelqu'un était là, toujours, à toute minute... A peine s'était-elle glissée dans l'ouverture, que deux bras aimants se refermaient autour d'elle... Et tout aussitôt le premier baiser dissipait miraculeusement les craintes, les hésitations, l'angoisse confuse, dont elle frissonnait tout à l'heure le long du chemin. D'ailleurs, ce n'était pas du remords qu'éprouvait Armande. Son esprit simple, sa nature inculte et droite, tenus à l'écart des subtilités sociales, ne pouvait concevoir qu'il y eût du mal à suivre jusqu'au bout un sentiment aussi absolu que celui qui l'entraînait vers Michel. «Puisque je suis certaine d'être née pour l'aimer et lui donner le bonheur, puisque je n'ai plus désormais que ce but dans ma vie, l'hypocrisie, le mensonge, la faute, consisteraient à me refuser à lui. Dussé-je subir plus tard la honte et les pires souffrances, je resterai fière d'avoir été choisie par la destinée pour être la récompense de son héroïsme, de son dévouement à la France.» Voilà comment raisonnait la jeune fille. L'enthousiasme et l'amour gonflaient son cœur ardent. Et comment n'aurait-elle pas adoré l'être charmant, beau et aventureux, qui tremblait d'une émotion si tendre quand il la tenait contre son cœur, et qui, depuis la première rencontre de leurs lèvres, avait su la rassurer en lui dévoilant une âme éclatante de loyauté et si délicieusement pénétrée de reconnaissance!...

      Le matin du jour où l'Italien devait partir, Mlle de Solgrès, en sortant du souterrain, vint trouver Louise Bellard.

      —«Écoute...» lui dit-elle. «C'est aujourd'hui qu'il nous quitte.»

      Elle n'avait pas besoin de le nommer. Depuis presque une quinzaine que le volontaire garibaldien était leur hôte secret, les deux femmes n'avaient eu l'imagination occupée que de lui. Et la Louison n'était pas sans avoir pénétré les sentiments de sa jeune maîtresse.

      —«Oui,» reprit Mlle de Solgrès. «J'ai bien peur qu'à sa première marche forcée, la blessure ne se rouvre. Mais il ne pense qu'à son devoir. Et ce n'est pas à moi de lui dire qu'il a tort.

      —Dieu vous bénira tous les deux, mademoiselle.

      —Puisse-t-il nous réunir bientôt!» murmura l'amoureuse.

      C'était une confidence. Louise en profita pour s'écrier:

      —«Ah! mademoiselle, vous êtes faits l'un pour l'autre.

      —Ma bonne Louison, tu vas me rendre un service. Cet après-midi, avant son départ, monsieur Michel viendra ici, chez toi. Moi, je l'y rejoindrai. Tu nous laisseras seuls... Pense donc que nous ne nous sommes pas vus à la lumière du jour depuis que nous nous sommes liés du plus éternel des liens. Oui, maintenant, tu peux être certaine de ce que tu avais sans doute deviné. Nous sommes des fiancés, Louise...» Armande rougit et ajouta plus bas: «Des époux.»

      —Mademoiselle,» dit Louise, «ma maison est la vôtre, comme tout ce qui m'appartient, et comme ma vie elle-même, s'il vous la faut. Mais n'est-ce pas bien imprudent de vous rencontrer ici?...

      —Cinq minutes seulement, Louise!... Pas plus. Le temps de voir ses chers yeux à la face du ciel, d'y lire mon bonheur et ses serments.

      —Mademoiselle, ne vous ai-je pas dit que le chef prussien était venu rôder par ici?

      —Une seule fois, n'est-ce pas? Avant-hier?...

      —Oui.

      —Il n'a pas reparu?

      —Non.

      —Eh bien! il n'y a guère de chance pour qu'il dirige encore sa promenade de ce côté,» fit Mlle de Solgrès. «Le dégel a tellement détrempé ces allées éloignées du parc!...»

      Une invincible réserve empêcha Louise d'en expliquer davantage à la jeune châtelaine. Après tout, c'est vrai, le colonel allemand paraissait oublier son caprice. Et ce caprice révoltait trop l'honnête paysanne pour qu'il ne lui répugnât pas d'en parler.

      —«De toutes façons,» reprit-elle, «je ferai le guet, et monsieur Michel disparaîtrait à la moindre alerte. Il se cacherait dans ma chambre du fond. Ces chacals n'ont pas fouillé ma pauvre petite bicoque. Ils ne s'en aviseront pas aujourd'hui.

      —Voilà ce que tu feras, Louise. A trois heures, tu t'avanceras jusqu'à la crête du ravin. Monsieur Michel entr'ouvrira la porte de fer. Si tu te mets à chanter, il rentrera immédiatement et ne bougera plus. Si tu lui fais signe qu'il peut venir, il te suivra chez toi. Je m'y trouverai ou j'arriverai aussitôt. Une demi-heure plus tard, nous nous serons dit adieu, et il sera loin. Est-ce entendu?

      —Comptez sur moi, mademoiselle.

      —D'ailleurs,» ajouta encore Armande, «le seul danger serait que les Prussiens le surprissent quand il sortira du souterrain. Dans le parc ou chez toi, s'ils l'aperçoivent un instant, cela ne peut pas leur porter ombrage. Il marche comme tout le monde, à présent, sa blessure n'éveillera donc pas les soupçons. Il n'a pas d'arme sur lui... Lors de sa récente arrestation, on lui a pris son revolver. Quant à la lettre, elle est fixée dans la tige de son autre botte, et parfaitement dissimulée sous ce morceau de cuir que tu nous as procuré toi-même...»

      Louise hocha la tête.

      —«On le trouverait bien jeune pour ne pas être au régiment...

      —Il est étranger.

      —Un trop beau monsieur pour les vêtements qu'il porte... Les Prussiens ne le prendraient pas pour un gars du pays.

      —Tu m'épouvantes!... Mais c'est qu'il en rencontrera, des Prussiens, par les routes.

      —Vous savez bien, mademoiselle, qu'il marchera surtout la nuit. Ayez bon espoir. Tours n'est pas si loin. Pourvu seulement qu'avec tant de retard, sa mission ne soit pas devenue inutile!»

      Inutile ou non, Michel Occana était bien résolu à l'accomplir. Il s'agissait de la France, deux fois aimée désormais, puisque c'était la patrie d'Armande. Et il s'agissait d'un ordre donné par Garibaldi, son chef adoré, son dieu. Aussi quand le jeune homme sortit du souterrain, quand il aperçut la silhouette attentive de la Louison, et reconnut le signal rassurant, ce fut dans un élan de joie héroïque qu'il bondit sur la pente du ravin, en atteignit le bord et salua le soleil,—un frileux soleil d'hiver,—qui lui sembla radieux comme la liberté, la gloire et l'amour, pour lesquels battait son cœur.

      —«Prenez garde, monsieur,» observa Louise, «votre jambe n'est peut-être pas bien solide.»

      Il sourit. Et devant le charme de ce sourire, prise un peu, elle aussi, à cette grâce virile du bel Italien, la paysanne comprit le doux égarement de sa jeune maîtresse.

      —«Monsieur,» dit-elle timidement, «mademoiselle de Solgrès est la meilleure des créatures du bon Dieu.

      —Elle en sera la plus heureuse, s'il ne tient qu'à moi,» s'écria Michel avec une sincérité d'accent qui lui valut immédiatement la confiance de Louison.

      —«N'est-elle pas encore là?» dit-il avec un vif regard dès qu'on eut atteint le seuil de la maison du garde.

      —«Oh! soyez tranquille, elle ne tardera pas,» répliqua la rustique confidente, non sans une intention de finesse.

      Comme son hôte allait et venait dans la chambre d'un pas impatient, elle lui dit:

      —«Asseyez-vous dans ce coin sombre. Mieux vaut ne pas attirer l'attention, si quelque indiscret venait à passer.»

      Puis, pour lui faire perdre la notion des minutes, elle étala devant lui le contenu d'un bissac préparé à son intention, lui montrant qu'elles avaient


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