P'tit-bonhomme. Jules Verne

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P'tit-bonhomme - Jules Verne


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      Et pourtant, que de distractions l'enfant adoptif de la comédienne rencontrait dans sa nouvelle existence! Il accompagnait miss Anna Waston pendant ses promenades, assis près d'elle, sur le coussin de sa voiture, au milieu des beaux quartiers de Limerick, à l'heure où le monde élégant pouvait la voir passer. Jamais bébé n'avait été plus attifé, plus enrubanné, plus décoratif, si l'on veut permettre cette expression. Et que de costumes variés, qui lui eussent fait une riche garde-robe d'acteur! Tantôt, c'était un Écossais, avec plaid, toque et philabegg, tantôt un page avec maillot gris et justaucorps écarlate, ou bien un mousse de fantaisie avec vareuse bouffante et béret rejeté en arrière. Au vrai, il avait remplacé le carlin de sa maîtresse, une bête hargneuse et mordante, et, s'il eût été plus petit, peut-être l'aurait-elle fourré dans son manchon, en ne laissant passer que sa tête toute frisottée. Et, en outre des promenades à travers la ville, ces excursions jusqu'aux stations balnéaires des environs de Kilkree, avec ses magnifiques falaises sur la côte de Clare, Miltow-Malbay, citée pour ses redoutables roches qui déchiquetèrent jadis une partie de l'invincible Armada!... Là, P'tit-Bonhomme était exhibé comme un phénomène sous cette désignation: «l'ange sauvé des flammes!»

      Une ou deux fois, on le conduisit au théâtre. Il fallait le voir en baby du grand monde, ganté de frais—des gants à ce garçonnet!—trônant au premier rang d'une loge sous l'œil sévère d'Élisa, osant à peine remuer, et luttant contre le sommeil jusqu'à la fin de la représentation. S'il ne comprenait pas grand'chose aux pièces, il croyait cependant que tout ce qu'il voyait était réel, non imaginaire. Aussi, lorsque miss Anna Waston apparaissait en costume de reine, avec diadème et manteau royal, puis en femme du peuple, portant cornette et tablier, ou même en pauvresse, vêtue de haillons à volants et coiffée du chapeau à fleurs des mendiantes anglaises, il ne pouvait croire que ce fût elle qu'il retrouvait à Royal-George-Hôtel. De là, le profond trouble de son imagination enfantine. Il ne savait plus que penser. Il en rêvait la nuit, comme si le sombre drame eût continué, et alors c'étaient des cauchemars effrayants, auxquels se mêlaient le montreur de marionnettes, ce gueux de Carker, les autres mauvais garnements de l'école! Il se réveillait, trempé de sueur, et n'osait appeler...

      On sait combien les Irlandais sont passionnés pour les exercices de sport, et en particulier pour les courses de chevaux. Ces jours-là, il y a un envahissement de Limerick, de ses places, de ses rues, de ses hôtels, par la «gentry» des environs, et les fermiers qui désertent leurs fermes, et les misérables de toute espèce qui sont parvenus à économiser un shilling ou un demi-shilling pour le mettre sur un cheval.

      Or, quinze jours après son arrivée, P'tit-Bonhomme eut l'occasion d'être exhibé au milieu d'un concours de ce genre. Quelle toilette il portait! On eût juré un bouquet plutôt qu'un bébé, tant il était fleuri de la tête aux pieds,—un bouquet que miss Anna Waston faisait admirer, on pourrait même dire respirer à ses amis et connaissances!

      Enfin, il faut bien prendre cette créature pour ce qu'elle est, un peu extravagante, un peu détraquée, mais bonne et compatissante, quand elle trouvait le moyen de l'être avec quelque apparat. Si les attentions dont elle comblait l'enfant étaient visiblement théâtrales, si ses baisers ressemblaient aux baisers conventionnels de la scène qui ne viennent que des lèvres, ce n'était pas P'tit-Bonhomme qui eût été capable d'en saisir la différence. Et pourtant, il ne se sentait pas aimé comme il l'aurait voulu, et peut-être se disait-il, sans en avoir conscience, ce que ne cessait de répéter Élisa:

      «Nous verrons bien ce que cela durera... en admettant que cela dure!»

       SITUATION COMPROMISE.

       Table des matières

      Six semaines s'écoulèrent dans ces conditions, et on ne saurait être étonné que P'tit-Bonhomme eût pris l'habitude de cette vie agréable. Puisqu'on se plie à la misère, il ne doit pas être très difficile de s'accoutumer à l'aisance. Miss Anna Waston, toute de premier élan, ne se blaserait-elle pas bientôt par l'exagération et l'abus de ses tendresses? Il en est des sentiments comme des corps: ils sont soumis à la loi de l'inertie. Que l'on cesse d'entretenir la force acquise, et le mouvement finit par s'arrêter. Or, si le cœur a un ressort, miss Anna Waston n'oublierait-elle pas un jour de le remonter, elle qui oubliait neuf fois sur dix de remonter sa montre? Pour employer une locution de son monde, elle avait éprouvé «une toquade» des plus vives à l'exemple de la plupart des toquées de théâtre. L'enfant n'avait-il été pour elle qu'un passe-temps... un joujou... une réclame?... Non, car elle était réellement bonne fille. Cependant, si ses soins ne devaient pas manquer, ses caresses étaient déjà moins continues, ses attentions moins fréquentes. D'ailleurs, une comédienne est tellement occupée, absorbée par les choses de son art,—rôles à apprendre, répétitions à suivre, représentations qui ne laissent pas une soirée libre... Et les fatigues du métier?... Dans les premiers jours, on lui apportait le chérubin sur son lit. Elle jouait avec lui, elle faisait la «petite mère». Puis, cela interrompant son sommeil qu'elle avait l'habitude de prolonger fort tard, elle ne le demandait plus qu'au déjeuner. Ah! quelle joie de le voir assis sur une haute chaise qu'on avait achetée exprès, et manger de si bel appétit.

      «Hein!... c'est bon? disait-elle.

      —Oh! oui, madame, répondit-il un jour, c'est bon comme ce qu'on mange à l'hospice, quand on est malade.»

      Une observation: bien que P'tit-Bonhomme n'eût jamais reçu ce qu'on appelle des leçons de belles manières,—et ce n'étaient ni Thornpipe ni même M. O'Bodkins qui auraient pu les lui enseigner,—il était d'une nature réservée et discrète, d'un caractère doux et affectueux, qui avaient toujours contrasté avec les turbulences et les polissonneries des déguenillés de la ragged-school. Cet enfant se montrait supérieur à sa condition, ainsi qu'il était supérieur à son âge, par les façons et les sentiments. Si étourdie, si linotte qu'elle fût, miss Anna Waston n'avait point été sans en faire la remarque. De son histoire, elle ne connaissait que ce qu'il avait pu lui en raconter depuis l'époque où il avait été recueilli par le montreur de marionnettes. C'était donc bien et dûment un enfant trouvé. Pourtant, étant donné ce qu'elle appelait sa «distinction naturelle», miss Anna Waston voulut voir en lui le fils de quelque grande dame, d'après la poétique du drame courant, un fils que, pour une raison inconnue, sa position sociale l'avait contrainte d'abandonner. Et là-dessus, de s'emballer suivant son habitude, brodant tout un roman qui ne brillait guère par la nouveauté. Elle imaginait des situations que l'on pourrait adapter au théâtre... On en tirerait une pièce à grands effets de larmes... Elle la jouerait, cette pièce... Ce serait le plus magnifique succès de sa carrière dramatique... Elle s'y montrerait renversante, et pourquoi pas sublime... etc., etc. Et, lorsqu'elle était montée à ce diapason, elle saisissait son ange, elle l'étreignait comme si elle eût été en scène, et il lui semblait entendre les bravos de toute une salle...

      Un jour, P'tit-Bonhomme, troublé par ces démonstrations, lui dit:

      «Madame Anna?...

      —Que veux-tu, chéri?

      —Je voudrais vous demander quelque chose.

      —Demande, mon cœur, demande.

      —Vous ne me gronderez pas?...

      —Te gronder!...

      —Tout le monde a eu une maman, n'est-ce pas?...

      —Oui, mon ange, tout le monde a eu une maman.

      —Alors pourquoi que je ne connais pas la mienne?...

      —Pourquoi?... Parce que... répondit


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