Toutes les Oeuvres Majeures de Cicéron. Ciceron
Читать онлайн книгу.par votre erreur même, affermi dans le chemin de la vertu par un pardon si généreux, on n’aura plus désormais rien de pareil à vous reprocher, et montrez l’espoir d’être quelque jour utile à ceux qui vous auront pardonné. Rappelez encore, si vous le pouvez, que les liens du sang ou l’amitié de vos ancêtres vous unissent étroitement à ceux dont vous implorez la générosité. Relevez votre dévouement, la haute naissance, la dignité de vos protecteurs ; usez, en un mot, de tous les lieux communs qui ont rapport à l’honneur et à la dignité des personnes. Employez les prières, et sans montrer jamais ni fierté ni hauteur, prouvez qu’on vous doit des récompenses plutôt que des châtiments. Nommez ensuite ceux à qui on a pardonne des délits plus graves. Un de vos moyens les plus victorieux sera de démontrer que, lorsque vous étiez armé de la puissance et de l’autorité, vous étiez bon et porté à la clémence. Atténuez aussi votre faute de manière à la rendre la plus légère possible, et à faire voir ainsi qu’il ne serait pas moins honteux qu’inutile de vous punir pour si peu de chose. Enfin pour attendrir vos auditeurs, employez les moyens que nous avons indiqués au premier livre.
XXXVI. L’adversaire, de son côté, exagérera la faute : le coupable n’a rien fait par ignorance, mais il a agi par méchanceté, par cruauté ; son caractère est impitoyable, superbe. Il a toujours été, dira-t-il, mon ennemi ; et rien ne pourra jamais changer ses sentiments envers moi. Ces services qu’il rappelle, est-ce à sa bienveillance ou à des vues intéressées que je les dois ? Ils ont été suivis d’une haine violente, il les a effacés par tout le mal qu’il m’a fait ; ou, ses services sont bien au-dessous des fautes qu’il a commises ; ou bien, ses services ont été récompensés ; il faut. punir ses fautes : le pardon serait aussi honteux qu’inutile. Quelle folie de ne point user de votre pouvoir sur celui que vous avez désiré si souvent avoir entre vos mains ! Rappelez-vous quels étaient pour lui vos sentiments, quelle était votre haine. L’indignation qu’inspire le crime de l’accusé fournit à l’orateur un lieu commun ; la pitié que réclame le malheur dû à la fortune, et non à sa propre faute, lui en fournira un second.
La multitude des divisions de la question de genre nous a forcés de nous y arrêter longtemps. Comme la différence et la variété des objets qu’elle embrasse pourraient nous jeter dans quelque erreur, il me paraît indispensable de prévenir ici de ce qui me reste à dire sur ce genre de question, et d’expliquer mes motifs. La question juridiciaire traite, avons-nous dit, du droit et du tort, des châtiments et des récompenses. Nous avons traité des causes où l’on s’occupe du droit et du tort ; il faut donc maintenant parler des peines et des récompenses.
XXXVII. Un grand nombre de causes ont pour but la demande d’une récompense ; car souvent les tribunaux s’occupent des récompenses dues à l’accusateur, et l’on en sollicite devant le sénat ou devant le peuple. Qu’on n’aille pas croire qu’en parlant d’affaires portées devant le sénat, nous sortions du genre judiciaire. En effet, la louange et le blâme, quand il s’agit de recueillir ensuite les suffrages et de porter un jugement, ne sont plus du genre délibératif, mais bien du genre judiciaire, puisqu’il faut énoncer un avis et prononcer sur un homme. Avec une connaissance approfondie de la nature de toutes ces causes, il est facile de voir qu’elles diffèrent entre elles par le genre, et par la variété des formes, mais qu’elles n’en sont pas moins liées mutuellement, dans une foule de détails, par les rapports les plus intimes. Occupons-nous d’abord des récompenses. « Le consul L. Licinius Crassus poursuit et parvient à détruire dans la Gaule citérieure des brigands qui, sous différents chefs obscurs et inconnus, dévastaient la province par des courses continuelles, sans que leur nombre et leur nom permissent de les considérer comme ennemis du peuple romain. Le consul, à son retour à Rome, demanda au sénat les honneurs du triomphe. »
Ici, comme dans la déprécation, il ne s’agit pas d’établir le point à juger par des raisonnements et des réfutations ; car, s’il ne se présente pas de question ni de partie de question incidente, le point à juger est simple et renfermé dans la demande elle-même. Dans la déprécation, on s’exprimerait ainsi : « Faut-il punir ? » Ici on dira : « Faut-il récompenser ? » Voyons maintenant quels lieux appartiennent à la question des récompenses.
XXXVIII. On la divise en quatre parties : les services, l’homme, le genre de récompense, et les richesses. On considère les services en eux-mêmes, relativement aux circonstances, à l’intention de celui qui les a rendus, et à la fortune. On examine les services en eux-mêmes ; s’ils sont importants ou non, faciles ou difficiles, rares ou communs, ennoblis ou non par leur motif : les circonstances ; si l’on nous a rendu des services quand nous en avions besoin ; quand les autres ne pouvaient ou ne voulaient nous en rendre ; quand nous avions perdu tout espoir : l’intention s’ils n’ont pas eu pour principe des vues intéressées, mais bien le désir sincère d’être utile : la fortune, s’ils ne sont point dus au hasard, mais à une volonté bien décidée, ou si la fortune ne s’opposait point aux effets de cette bonne volonté.
Quant à l’homme, on s’attache à découvrir sa conduite, à connaître quels frais ou quels soins lui a coûtés cette action ; s’il en a déjà fait une semblable ; s’il ne réclame point le prix d’une action dont un autre est l’auteur, ou qui n’est due qu’aux dieux ; s’il n’a pas lui-même refusé d’accorder une récompense méritée par les mêmes moyens ; si l’honneur qu’il s’est acquis par ses services ne l’a point assez récompensé ; s’il n’a pas été forcé d’agir comme il a fait ; ou si son action n’est point de nature à mériter une récompense, puisqu’il eût mérité d’être puni pour n’avoir pas fait cette action dont il se glorifie ; enfin s’il ne demande point trop tôt sa récompense, et ne vend point à un prix assuré des espérances incertaines ; ou s’il ne se hâte point de demander une récompense, pour se dérober à quelque peine par ce jugement anticipé.
XXXIX. Pour le genre de récompense, on examine la nature et l’importance de celle qu’on exige, l’action pour laquelle on la réclame, et le prix que mérite chaque action. On va chercher ensuite dans l’antiquité, à quels hommes et à quelles actions on a accordé un honneur qu’on ne doit pas d’ailleurs prodiguer. Celui qui s’oppose à ce qu’on accorde la récompense, a ici pour lieux communs, d’abord, que les récompenses de la vertu et du zèle dans l’accomplissement de ses devoirs sont sacrées ; qu’on ne doit point les accorder au crime ni les prodiguer à la médiocrité ; ensuite, que les hommes auront moins d’amour pour la vertu, si on les familiarise avec les récompenses, dont l’attrait seul nous fait trouver belles et agréables des actions difficiles et pénibles en elles-mêmes ; enfin, que si, dans l’antiquité, on rencontre quelques grands hommes dont le mérite supérieur a été honoré d’une pareille distinction, ne croiront-ils pas que l’on veut ternir leur gloire, en accordant la même récompense à des hommes tels que ceux qui la demandent aujourd’hui ? L’orateur comptera ces héros ; il les opposera aux adversaires. Celui qui demande la récompense développera son action, et la comparera avec celles qu’on a honorées d’une récompense. Enfin, il dira que c’est décourager la vertu, que de lui refuser le prix de ses efforts.
On parle des richesses, quand il s’agit d’une récompense pécuniaire. Alors on examine si le pays qui l’accorde est riche ou non en propriétés, en revenus, en argent comptant : les lieux communs sont, qu’il faut augmenter et non diminuer les richesses d’un État ; qu’il y a de l’impudence à ne point se contenter de la reconnaissance, et à trafiquer de ses bienfaits. L’adversaire répondra qu’une basse avarice peut seule calculer quand il s’agit d’être reconnaissant ; qu’il ne vend point ses services, mais qu’il désire qu’on l’en récompense par l’honneur qu’il a mérité. Mais c’est assez parler des questions ou états de cause : passons aux discussions qui portent sur le sens littéral.
XL. La discussion porte sur le sens littéral, quand le texte offre quelque chose de douteux : ce qui vient de termes ambigus, de la lettre et de l’esprit, de lois contraires, de l’analogie ou de mots mal définis. La question naît de l’ambiguïté des termes, quand le texte offre deux ou plusieurs sens qui empêchent de distinguer l’intention véritable de celui qui a écrit. Par exemple : « Un père