La vie infernale. Emile Gaboriau

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La vie infernale - Emile Gaboriau


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qu’un coup de couteau. L’intention m’a sauté aux yeux en lisant dans le journal le paragraphe qui vous concerne. L’avez-vous lu?.. Oui. Eh bien! que vous en semble? Moi, je jurerais que l’article a été rédigé sur une note fournie par votre ennemi… Il y a plus, les détails sont inexacts. Et comme en définitive c’est assez de signer ses méfaits sans endosser les mauvaises actions des autres, je vais écrire un mot de rectification, que je porterai moi-même…

      Il dit, et transportant son énorme personne devant le bureau de Paul, il écrivit:

      «Monsieur le directeur,

      «Témoin de la scène de l’autre soir à l’hôtel d’A… permettez-moi une importante rectification. Il n’est que trop vrai que des portées ont été glissées parmi les cartes, mais qu’elles l’aient été par M. X… c’est ce qui n’est pas prouvé, car on ne l’a pas VU.

      «Je sais que les apparences sont contre lui; je ne lui en garde pas moins toute mon estime.

«BARON TRIGAULT.»

      Pendant ce temps, Mme Férailleur et son fils se consultaient du regard. Leur impression était la même. Celui-là ne pouvait être un ennemi.

      Lors donc que le baron eut lu à haute voix sa lettre:

      – Je ne saurais vous exprimer toute ma reconnaissance monsieur, prononça Pascal, mais puisque vraiment vous voulez me servir, de grâce n’envoyez pas cette note… Elle vous attirerait peut-être des ennuis, et je n’en serais pas moins obligé de renoncer à l’exercice de ma profession… et je voudrais surtout être oublié…

      – Soit… je vous comprends… vous espérez atteindre le traître et vous craignez de lui donner l’éveil… j’approuve votre prudence. Mais gardez toujours ma déclaration. Et si jamais il vous faut un coup d’épaule venez sonner à ma porte. Et rappelez-vous que le jour où vous aurez des preuves, je vous fournirai le moyen de rendre votre justification plus éclatante que l’affront…

      Il s’apprêtait à se retirer, mais avant de passer la porte:

      – A l’avenir, ajouta-t-il, je surveillerai les doigts du joueur placé à ma gauche… Et à votre place, je tâcherais de me procurer la note qui a servi pour l’article… On ne sait pas tout le parti qu’on peut tirer, à un moment donné, d’une page d’écriture…

      Le baron sorti, Mme Férailleur se leva.

      – Pascal, s’écria-t-elle, cet homme sait quelque chose et tes ennemis sont les siens, je l’ai lu dans ses yeux… Il t’a clairement dénoncé M. de Coralth…

      – J’ai entendu, ma mère, et mon parti est pris… Je dois disparaître… De ce moment, Pascal Férailleur n’existe plus…

      Le soir même, deux grandes voitures de déménagement stationnaient devant la maison où demeurait Mme Férailleur.

      Elle venait de vendre son mobilier en bloc à un marchand de meubles, afin de rejoindre son fils, parti, disait-elle, pour l’Amérique.

      VI

      – On m’attend… Je repasserai vers minuit… J’ai encore à faire quantité de visites urgentes…

      Voilà ce qu’avait dit à Mlle Marguerite le docteur Jodon.

      Le fait est qu’en sortant de l’hôtel de Chalusse, après s’être assuré que M. Casimir faisait répandre de la paille sur la chaussée, le docteur reprit tout bonnement le chemin de son logis.

      C’est que s’il était dans son rôle de paraître accablé de malades, ces fameuses visites n’existaient encore que dans le lointain de ses espérances.

      Son seul et unique client, depuis le commencement de la semaine, était un vieux portier de la rue de la Pépinière, qu’il visitait deux fois par jour, faute de mieux.

      Le reste de son temps, il le passait à attendre la clientèle qui ne venait pas, et à maudire la médecine, une profession perdue, déclarait-il, ruinée par la concurrence, et, pour comble, embarrassée par la sotte obligation d’un décorum qui paralyse l’initiative individuelle.

      S’il eût consacré à l’étude la moitié seulement des heures qu’il consumait en malédictions et en combinaisons également stériles, le docteur Jodon eût peut-être haussé son mérite, qui était médiocre, au niveau de ses ambitions, qui étaient immenses.

      Mais, ni le travail, ni la patience, n’entraient dans son système.

      Il était de son époque et prétendait arriver très-vite, très-haut et sans peine. Une certaine tenue, de l’aplomb, quelque chance et beaucoup de réclames devaient, paraît-il, suffire.

      C’est avec cette conviction qu’il était venu se fixer rue de Courcelles, au centre d’un quartier opulent, dont les malades pauvres ont la ressource des consultations gratuites de l’hôpital Beaujon.

      Mais les événements avaient trompé son attente.

      Peu à peu, en dépit d’atroces privations héroïquement dissimulées, il voyait s’épuiser le petit capital qui constituait toute sa fortune, une vingtaine de mille francs, faible mise pour des prétentions si hautes.

      Il avait encore payé son terme le matin même, mais il pouvait déjà calculer l’époque prochaine où il n’aurait plus de quoi le payer…

      Que ferait-il alors?

      Quand il songeait à cela, et c’était presque son unique pensée, il sentait s’allumer en lui des colères et des haines furibondes…

      C’est qu’il ne s’en prenait pas à lui de ses mécomptes.

      A l’exemple des ambitieux déçus, il accusait les hommes et les choses, les événements, des envieux et des ennemis que certes il n’avait pas.

      Par certains jours, il eût été capable de tout pour arriver à l’assouvissement de ses ambitions. Car il avait tout souhaité, tout envié, tout espéré, et les privations, à la longue, avaient été comme de l’huile jetée sur la flamme des convoitises qui incendiaient son cerveau.

      Plus calme, à d’autres moments, il se demandait à quelle porte de la fortune frapper, pour qu’elle ouvrit plus vite à son impatience fiévreuse.

      Il avait songé à s’improviser dentiste, ou à chercher un bailleur de fonds pour la vente de quelqu’un de ces spécifiques dont le brevet assure cent mille livres de rentes.

      Il avait rêvé l’établissement d’une pharmacie monstre, la création d’une maison de santé ou encore l’exploitation lucrative de quelque remède nouveau.

      Mais pour tout cela il fallait de l’argent, beaucoup d’argent, et il n’en avait plus. L’heure venait de prendre un parti, il ne pouvait plus tenir…

      Sa troisième année d’exercice, rue de Courcelles, lui avait à peine rapporté de quoi payer son domestique… Car il avait un domestique, cela pose.

      Il avait un valet de chambre par la même raison qu’il avait un appartement, c’est-à-dire l’apparence d’un appartement somptueux.

      Fidèle à son système – celui de son maître – il y avait tout sacrifié aux dehors, à l’étalage, à la montre, à ce qui se voit et reluit…

      Un luxe criard et de mauvais goût y faisait cligner les yeux. Ce n’était que tapis et tentures, dorures au plafond, objets d’art et consoles chargées d’ornements.

      Il est sûr qu’un paysan arrivant de son village eût été ébloui.

      Mais il fallait se garder d’examiner de trop près.

      Il y avait plus de coton que de soie dans le velours des meubles, et qui eût été toucher certaines statues, haut huchées sur leur socle, eût reconnu du plâtre, sous une couche de peinture verte frottée de limaille de cuivre.

      Ce plâtre, jouant le bronze, c’était tout l’homme, son système… et notre siècle…

      Quand


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