La vie infernale. Emile Gaboriau

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La vie infernale - Emile Gaboriau


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n’a pas d’autre nom, répondit-il très-vite, et elle ne connaît pas ses parents… Elle demeurait dans notre rue, autrefois, avec sa gouvernante, Mme Léon, et une vieille domestique… C’est là que je l’ai aperçue pour la première fois… Elle habite maintenant l’hôtel du comte de Chalusse, rue de Courcelles…

      – A quel titre?

      – C’est le comte qui a pris soin d’elle… c’est à lui qu’elle doit son éducation… Il est comme son tuteur… et sans que jamais elle m’ait rien dit à ce sujet, je suppose que M. de Chalusse est son père…

      – Et cette jeune fille t’aime, Pascal?..

      – Je le crois, ma mère… Elle m’a juré qu’elle n’aurait jamais d’autre mari que moi.

      – Et le comte?..

      – Il ne sait, il ne soupçonne rien… De jour en jour je remettais à tout te dire et à te prier d’aller trouver M. de Chalusse… Ma position est si modeste encore… Le comte est immensément riche, il a l’intention de donner à Marguerite une dot énorme, deux millions, je crois…

      Mme Férailleur l’interrompit d’un geste.

      – Ne cherche plus, prononça-t-elle, voilà d’où part le coup.

      Pascal se dressa en pied, les joues pourpres, l’œil en feu, la lèvre frémissante.

      Il lui semblait qu’un éclair déchirant les ténèbres venait d’illuminer les profondeurs du gouffre où on l’avait précipité.

      – Si cela était, cependant, s’écria-t-il, si cela était!.. Cette fortune immense du comte de Chalusse peut avoir tenté quelque misérable… Qui me dit qu’on n’a pas épié Marguerite et qu’on n’a pas découvert que je suis un obstacle!.. Ne sais-je pas quelles convoitises terribles allument les reflets des millions…

      Mieux que personne, en effet, il pouvait connaître les effroyables expédients de la cupidité. Sa vie avait toujours été calme et unie, mais on n’est pas impunément quatre ans maître-clerc d’avoué. La triste expérience du monde chasse vite les illusions, en ces études où affluent fatalement, comme le linge sale aux lavoirs publics, les infamies de détail, les bassesses des intérêts en conflit, toutes les iniquités et les scélératesses de la vie intime, qui échappent à la cour d’assises et à la police correctionnelle.

      – Crois-moi, insista Mme Férailleur, quelque chose en moi-même me dit que je ne me trompe pas… Je n’ai aucune preuve, et cependant je suis sûre…

      Lui, réfléchissait.

      – Et, avec cela, reprit-il, quelle coïncidence étrange!.. Sais-tu ce qui est arrivé la dernière fois que je lui ai parlé, à ma chère Marguerite… il y a eu hier huit jours. Elle était si triste et si visiblement agitée que j’en ai été effrayé… Je l’ai interrogée, elle n’a pas voulu, tout d’abord, répondre à mes questions, puis comme j’insistais: «Eh bien!.. m’a-t-elle dit, je tremble qu’il n’y ait quelque projet de mariage pour moi… M. de Chalusse ne m’en a pas touché un mot, mais depuis quelque temps il s’enferme souvent et reste de longues heures en conférence avec un jeune homme, dont le père lui a rendu un grand service autrefois… Et ce jeune homme, toutes les fois que je me trouve avec lui, me regarde d’un air singulier!..»

      – Son nom?..

      – Je l’ignore… Elle ne l’a pas prononcé, et moi, dans le trouble où m’avait jeté ce qu’elle m’apprenait, je ne lui ai pas demandé… Mais elle me le dira… Ce soir même, si je ne puis arriver jusqu’à elle, je lui ferai parvenir une lettre… Si ce que nous soupçonnons est vrai, le secret est aux mains de trois personnes… Dès lors, ce n’est plus un secret…

      Il s’interrompit, prêtant l’oreille; on entendait, dans l’antichambre, comme une altercation entre la femme de ménage et quelque visiteur.

      – Je vous dis qu’il y est, morbleu!.. disait une grosse voix essoufflée, et il faut que je le voie et que je lui parle! Il s’agit d’une affaire si urgente que j’ai campé là une partie de bouillotte au moment le plus vif…

      – Je vous assure, monsieur, que monsieur est sorti.

      – Eh bien! j’attendrai… Conduisez-moi à une pièce où je puisse m’asseoir.

      Pascal avait pâli. Il reconnaissait la voix du joueur qui, chez Mme d’Argelès, avait conseillé de le fouiller.

      N’importe, il ouvrit, et un gros homme à face plus large qu’un mascaron, soufflant comme une locomotive, s’avança avec ce sans-gêne des gens qui se croient tout permis parce qu’ils ont beaucoup d’argent.

      – Parbleu!.. s’écria-t-il, je savais bien qu’il y était!.. Vous me reconnaissez, n’est-ce pas, cher monsieur… le baron Trigault. Je venais pour…

      Les mots expirèrent sur ses lèvres, et il parut aussi embarrassé que s’il n’eût pas eu huit cent mille livres de rente… Il venait d’apercevoir Mme Férailleur.

      Il la salua, et adressant un geste d’intelligence à Pascal:

      – Je voudrais vous entretenir en particulier, dit-il… pour ce que vous savez.

      Si grand que fût l’étonnement de Pascal, il n’en avait rien paru sur sa physionomie.

      – Vous pouvez parler devant ma mère, monsieur, répondit-il d’un ton froid et même hostile… elle sait tout.

      La surprise du baron se traduisit par une grimace qui, chez lui, était un tic.

      – Ah!.. fit-il sur trois tons différents, ah!.. ah!..

      Et comme on ne lui offrait pas de siége, il s’avança un fauteuil et s’y laissa tomber lourdement en disant:

      – Vous permettez, n’est-ce pas… Ces diables d’escaliers me mettent dans un état!

      Sous ses massives apparences, cet opulent et corpulent personnage dissimulait une clairvoyance très-exercée et l’esprit le plus délié.

      D’un coup d’œil alerte, tout en semblant reprendre haleine, il étudiait le cabinet et ses hôtes.

      A terre étaient un revolver et une lettre froissée, et des larmes brillaient encore dans les yeux de Mme Férailleur et de son fils. Il n’en fallait pas plus à un observateur…

      – Je ne vous cacherai pas, cher monsieur, commença-t-il, que je suis amené chez vous par un scrupule de conscience…

      Et se méprenant à un geste de Pascal:

      – Je dis bien: scrupule, insista-t-il… j’en ai quelquefois. Votre sortie, ce matin, après la scène… déplorable, a fait naître en moi toutes sortes de doutes taquins… Doucement, me suis-je dit, nous avons été peut-être un peu prompts… Ce jeune homme pourrait bien n’être pas coupable.

      – Monsieur! interrompit Pascal d’un ton menaçant.

      – Pardon… laissez-moi finir. La réflexion, je dois l’avouer, n’a fait que confirmer ma première impression et augmenter mes doutes… Diable! me suis-je dit encore, si ce jeune homme est innocent, le coupable est un des habitués de Mme d’Argelès, c’est-à-dire un homme avec qui je joue deux fois par semaine, avec qui je jouerai lundi prochain… c’est grave cela. Et là-dessus l’inquiétude m’a pris et me voici…

      La raison saugrenue que le baron donnait de sa visite était-elle la vraie? C’est ce qu’il était assez difficile de discerner.

      – Je suis venu, continuait-il, en me disant que bien certainement l’inspection seule de votre intérieur m’apprendrait quelque chose… Et maintenant que j’ai vu, je jurerais que vous êtes tombé dans un abominable guet-apens.

      Il se moucha là-dessus, bruyamment, ce qui ne l’empêcha nullement d’observer le jeu muet de Pascal et de sa mère.

      Ils étaient stupéfaits; heureux intérieurement de cette déclaration, mais en même temps


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