La vie infernale. Emile Gaboriau

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La vie infernale - Emile Gaboriau


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avait du moins eu l’attention de sortir sur le palier pour l’interroger; mais ses réponses n’apprirent rien de neuf.

      Le bourgeois, ainsi qu’il disait, l’avait pris au coin de la rue Lamartine et du faubourg Montmartre et lui avait recommandé de le mener rondement. Il avait fouetté ses chevaux et le malheur avait eu lieu en route. Il n’avait rien entendu. Le bourgeois ne lui avait pas paru indisposé quand il était monté dans la voiture.

      Encore, ce peu qu’il dit, on ne le lui arracha pas sans difficulté. Il avait commencé par soutenir impudemment que le bourgeois l’avait pris à midi, espérant ainsi escamoter le prix de cinq heures, ce qui, joint au bon pourboire qu’on ne pouvait manquer de lui donner, devait constituer un bénéfice honnête. La vie est chère, on fait ce qu’on peut.

      Cet homme parti, toujours grognant, encore qu’on lui eût mis deux louis dans la main, le docteur revint se planter debout devant son malade, les bras croisés, sombre, le front plissé par l’effort de sa méditation.

      Il ne jouait pas la comédie, cette fois.

      En dépit, ou plutôt en raison des minutieuses explications qui lui avaient été données, il trouvait à toute cette affaire quelque chose de suspect et de trouble.

      Toutes sortes de soupçons vagues et indéfinissables se heurtaient dans sa pensée. Était-il en présence d’un crime? Certainement, évidemment non.

      Mais quoi alors? Pourquoi cette atmosphère de mystère et de réticences qu’il sentait autour de lui.

      N’était-il pas sur la trace de quelque lamentable secret de famille, d’un de ces scandales horribles, longtemps cachés, qui tout à coup éclatent?

      Cette idée de se trouver mêlé à quelque ténébreuse affaire lui souriait infiniment, cela ferait du tapage, on le nommerait, on parlerait de lui dans les journaux et la clientèle viendrait les mains pleines d’or.

      Mais comment savoir, pour arrêter d’avance un plan de conduite, pour s’insinuer, pour s’imposer au besoin?

      Il réfléchit et une idée lui vint, qu’il jugea bonne.

      Il marcha à Mlle Marguerite, qui pleurait, affaissée sur un fauteuil, et la toucha du doigt; elle se dressa.

      – Encore une question, mademoiselle… fit-il en donnant à sa voix toute la solennité dont elle était capable. Savez-vous quelle est la liqueur dont M. de Chalusse s’est versé quelques gouttes ce matin?

      – Hélas! non, monsieur.

      – Le savoir serait cependant bien important, pour la sûreté de mon diagnostic… Qu’est donc devenu le flacon?

      – Je pense que M. de Chalusse l’aura remis dans son secrétaire.

      Le docteur désigna un meuble à gauche de la cheminée.

      – Là? fit-il.

      – Oui, monsieur.

      Il hésita, mais triomphant de son hésitation, il dit:

      – Ne pourrait-on l’y prendre?

      Mlle Marguerite rougit.

      – Je n’ai pas la clef, balbutia-t-elle avec un embarras visible.

      M. Casimir s’approcha.

      – Elle doit être dans la poche de M. le comte, et si mademoiselle permet…

      Mais elle, reculant, les bras étendus comme pour défendre le meuble:

      – Non, s’écria-t-elle, non, on ne touchera pas au secrétaire, je ne le veux pas…

      – Cependant, mademoiselle, insista le docteur, monsieur votre père…

      – Eh! monsieur, M. le comte de Chalusse n’est pas mon père!

      Jamais homme ne fut décontenancé autant que le docteur Jodon par la soudaine violence de Mlle Marguerite.

      – Ah!.. fit-il, sur trois tons différents, ah!.. ah!..

      En moins d’une seconde, mille idées, mille suppositions bizarres et contradictoires traversèrent son esprit.

      Qui donc était cette jeune fille, qui n’était pas Mlle de Chalusse?.. A quel titre habitait-elle l’hôtel?.. Comment y régnait-elle en souveraine?..

      Puis encore, pourquoi cette explosion d’énergie à propos d’une demande bien naturelle et en apparence insignifiante?..

      Mais déjà elle avait repris son sang-froid, et à son attitude, il était aisé de deviner qu’elle cherchait quelque expédient pour conjurer un péril entrevu. Elle en trouva un.

      – Casimir, commanda-t-elle, cherchez dans les poches de M. de Chalusse la clef de son secrétaire.

      Tout ébahi de ce qu’il jugeait un nouveau caprice, le valet de chambre obéit.

      Il fouilla les vêtements épars sur le tapis, et de la poche du gilet retira une clef.

      Elle était fort petite, ouvragée et découpée comme toutes les clefs des serrures de sûreté.

      Mlle Marguerite la prit, en disant d’un ton bref:

      – Un marteau.

      On lui en apporta un.

      Aussitôt, à la stupeur profonde du médecin, elle s’agenouilla devant la cheminée, posa à faux la clef sur un des chenêts de fer forgé, et d’un coup sec du marteau, la fit voler en éclats.

      – Comme cela, prononça-t-elle, en se relevant, je serai tranquille.

      On la regardait, elle crut devoir justifier jusqu’à un certain point sa conduite.

      – Je suis certaine, dit-elle aux gens, que M. de Chalusse approuvera ma détermination. Quand il sera rétabli, il fera faire une autre clef.

      L’explication était superflue. Il n’était pas un domestique qui ne crût deviner quel mobile l’avait guidée, pas un qui ne se dît à part soi:

      – Mademoiselle a raison… Est-ce qu’on touche jamais au secrétaire d’un mourant! Qui sait ce qu’il y a de millions dans celui-ci?.. S’il y manquait quelque chose, on accuserait tout le monde… La clef brisée, il n’y aura pas de soupçon possible.

      Mais le docteur se livrait à de bien autres conjectures.

      – Que peut-il bien y avoir dans ce secrétaire qu’elle ne veut pas qu’on voie, pensait-il.

      Cependant, il n’avait plus de raison de prolonger sa visite.

      Une fois encore, il examina le malade, dont la situation restait la même, et après avoir expliqué ce qu’il y avait à faire en son absence, il déclara qu’il allait se retirer, pressé qu’il était par quantité de visites urgentes, ajoutant qu’il reviendrait vers minuit.

      – Mme Léon et moi, veillerons M. de Chalusse, répondit Mlle Marguerite, ainsi, monsieur, vos prescriptions seront suivies à la lettre. Seulement… vous ne trouverez pas mauvais, je l’espère, que je fasse prier le médecin de M. le comte de venir vous prêter le concours de ses lumières…

      M. Jodon trouvait cela très-mauvais, au contraire, d’autant plus mauvais que dix fois pareille mésaventure lui était arrivée dans ce quartier aristocratique. Survenait-il un accident, on l’appelait, parce qu’on l’avait là, sous la main; il donnait les premiers soins, il se flattait d’avoir conquis un client, et pas du tout, quand il se représentait, il trouvait quelque docteur illustre, venu de loin en voiture…

      S’attendant à quelque chose de ce genre, il sut cacher son dépit.

      – A votre place, mademoiselle, répondit-il, j’agirais comme vous… Si même vous jugez inutile que je me dérange…

      – Oh! monsieur, je compte sur vous au contraire.

      – En ce cas, très-bien…

      Il salua; il se retirait, Mlle Marguerite le suivit sur le palier.

      – Vous savez, monsieur, lui dit-elle


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