La vie infernale. Emile Gaboriau

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La vie infernale - Emile Gaboriau


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qu’il se proposait de doter on ne savait combien de pauvres filles, et qu’enfin il avait promis des fonds pour faire bâtir une chapelle.

      Comment cela était arrivé, c’était à n’y pas croire.

      Le matin même, M. de Chalusse s’était présenté, déclarant que vieux, célibataire, sans enfants, sans famille, il prétendait se charger de l’avenir d’une pauvre orpheline.

      On lui avait présenté la liste de toutes les orphelines de l’hospice, et c’était moi qu’il avait choisie…

      – Et au hasard, ma chère Marguerite, répétait Mme la supérieure; au hasard… c’est un véritable miracle…

      Cela me semblait tenir du miracle, en effet; mais j’étais bien plus étourdie encore que joyeuse.

      Je sentais le vertige envahir mon cerveau, et j’aurais voulu demeurer seule pour me recueillir, pour réfléchir, car j’étais libre, je le savais, de refuser ces éblouissantes perspectives…

      Timidement je demandai la permission de retourner chez mes patrons, pour les prévenir, pour les consulter… Cette permission me fut refusée.

      Il me fut dit que je délibérerais et que je me déciderais seule, et que ma résolution prise, il n’y aurait plus à revenir…

      Je restai donc à l’hospice, et je dînai à la table de Mme la supérieure.

      Pour la nuit, on me donna la chambre d’une sœur qui était absente.

      Ce qui m’étonnait le plus, c’est qu’on me traitait avec une visible déférence, comme une personne appelée à de hautes destinées, et dont sans doute on attendait beaucoup…

      Et cependant, j’hésitais à me décider…

      Mon indécision dut paraître une ridicule hypocrisie; elle était sincère et réelle…

      Assurément, je n’avais pas à regretter beaucoup ma situation chez mes patrons, mais enfin je la connaissais, cette situation; je l’avais expérimentée, le plus pénible était fait, j’arrivais à la fin de mon apprentissage, j’avais pour ainsi dire arrangé ma vie, l’avenir me paraissait sûr…

      L’avenir! que serait-il avec le comte de Chalusse?.. On me le faisait si beau, si éblouissant, que j’en étais épouvantée. Pourquoi le comte m’avait-il choisie de préférence à toute autre?.. Était-ce vraiment le hasard qui avait déterminé son choix?.. Le miracle, en y réfléchissant, me paraissait préparé de longue main, et devait, pensais-je, cacher quelque mystère…

      Enfin, plus que tout, l’idée de m’abandonner à un inconnu, d’abdiquer ma volonté, de lui confier ma vie, me répugnait.

      On m’avait accordé quarante-huit heures pour prendre un parti; jusqu’à la dernière seconde, je demeurai en suspens.

      Qui sait?.. C’eût été un bonheur peut-être si j’eusse su me résigner à l’humilité de ma condition… Je me serais épargné bien des souffrances que je ne pouvais même pas concevoir…

      Je n’eus pas ce courage, et, le délai expiré, je répondis que je consentais à tout.

      Mlle Marguerite se hâtait.

      Après avoir trouvé une sorte de douceur triste à s’attarder parmi les lointaines impressions de sa première enfance, elle souffrait davantage à mesure que son récit se rapprochait du moment présent…

      – Je vivrais des milliers d’années, reprit-elle, que je n’oublierais jamais le jour où j’abandonnai l’hospice des Enfants-Trouvés, pour devenir la pupille de M. de Chalusse. C’était un samedi… La veille, j’avais rendu ma réponse à Mme la supérieure. Dès le matin, je vis arriver mes anciens patrons. On était allé les prévenir et ils venaient me faire leurs adieux… La rupture de mon contrat d’apprentissage avait présenté quelques difficultés, mais le comte avait tout aplani avec de l’argent.

      N’importe!.. Ils me regrettaient, je le vis bien… leurs yeux étaient humides… Ils regrettaient l’humble petite servante qui leur avait été si dévouée…

      Mais en même temps je remarquai dans leurs manières une visible contrainte… Plus de tutoiement, plus de voix rude… ils me disaient: vous, ils m’appelaient: mademoiselle… Pauvres gens! ils s’excusaient avec des paroles grotesques et attendrissantes d’avoir osé accepter mes services, déclarant en même temps qu’ils ne me remplaceraient jamais pour le même prix…

      La femme surtout me jurait qu’elle ne se consolerait jamais de n’avoir pas remis vertement à sa place son frère, un mauvais gars, comme la suite l’avait bien prouvé, lorsqu’il avait osé hausser son caprice jusqu’à moi…

      Pour la première fois, ce jour-là, je me sentis sincèrement aimée, si véritablement que si ma réponse n’eût pas été donnée et signée, je serais retournée chez ces braves relieurs…

      Mais il n’était plus temps.

      Une converse vint me dire de descendre, que Mme la supérieure me demandait.

      Une dernière fois j’embrassai le père et la mère Greloux, comme nous disions à l’atelier, et je descendis.

      Chez Mme la supérieure, une dame et deux ouvrières chargées de cartons m’attendaient.

      C’était une couturière qui arrivait avec les vêtements qui convenaient à ma nouvelle situation. C’était, on me l’apprit, une prévenance de M. de Chalusse. Ce grand seigneur pensait à tout et ne dédaignait pas, entouré qu’il était de trente domestiques, de descendre aux plus minutieux détails…

      Donc, pour la première fois, je sentis sur mon épaule le frissonnement de la soie et le moelleux du cachemire… J’essayai aussi de mettre des gants… je dis j’essayai, car jamais je n’y pus parvenir.

      Tout en parlant ainsi, sans arrière-pensée de coquetterie, certes, la jeune fille agitait ses mains mignonnes et exquises sans exiguité, rondes, pleines, blanches, avec des ongles qui avaient des reflets nacrés…

      Et le juge de paix se demandait s’il était bien possible que ces mains de duchesse, faites pour le désespoir de la statuaire, eussent été condamnées aux plus grossiers ouvrages.

      – Ah!.. ma toilette ne fut pas une petite affaire, reprit-elle avec un sourire qui empruntait aux circonstances quelque chose de navrant. Toutes les bonnes sœurs réunies autour de moi mettaient à me faire belle autant de soins et de patience qu’elles en déployaient à parer, les jours de fête, la vierge de notre chapelle.

      Un secret instinct me disait qu’elles se fourvoyaient, que leur goût n’était pas le goût; qu’elles m’habillaient ridiculement… n’importe… je les laissais se contenter sans mot dire. J’avais le cœur horriblement serré… jamais attention faite pour rendre joyeuse n’apporta tant de tristesse.

      Je croyais sentir encore sur ma main les larmes de Mme Greloux, et ces parures criardes me paraissaient aussi funèbres que la dernière toilette du condamné…

      Enfin, elles trouvèrent leur œuvre parfaite, et alors j’entendis autour de moi comme une clameur d’admiration… Jamais les sœurs, à les entendre, n’avaient contemplé rien de si merveilleux… Celles qui étaient à la classe ou à la couture furent mandées pour juger, et même les plus sages d’entre les orphelines furent admises… Peut-être, pour ces dernières, devais-je être un exemple destiné à rendre les bons conseils palpables, car Mme la supérieure disait à toutes:

      – Vous voyez, mes chères filles, où mène une bonne conduite… Soyez sages autant que notre chère Marguerite, et Dieu vous récompensera comme elle…

      Et moi, roide sous mes superbes atours, plus qu’une momie sous ses bandelettes, les bras écartés du corps, pâle d’appréhension, j’attendais.

      J’attendais M. de Chalusse, qui devait venir me prendre après avoir terminé toutes les formalités qui allaient substituer son autorité à l’autorité de la commission administrative de l’hospice.

      Une


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