Les beaux messieurs de Bois-Doré. Жорж Санд

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Les beaux messieurs de Bois-Doré - Жорж Санд


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lorsqu'un homme à la moustache grise et tout habillé de noir parut à cheval, et vint savoir pourquoi je pleurais ainsi. Je lui montrai cette femme couchée sur le corps de son mari. Il lui parla en plusieurs langues, car il était un grand savant; mais il vit bientôt qu'elle n'était pas en état de répondre.

      »La secousse qu'elle venait d'éprouver hâtait son accouchement.

      »Des bergers passaient avec leurs troupeaux. Il les appela; et, comme ils virent que cet homme de bien était un prêtre de leur religion chrétienne, ils obéirent à son commandement et portèrent la femme dans leur maison, où elle mourut, une heure après avoir mis Mario au monde, et après avoir donné au prêtre la bague de mariage qu'elle avait au doigt, sans pouvoir rien expliquer, mais en lui montrant l'enfant et le ciel!

      »Le prêtre s'arrêta chez les bergers pour faire ensevelir ces pauvres morts, et, comme il crut que j'avais été l'esclave de cette dame, il me confia l'enfant en me disant de le suivre. Mais je ne voulus pas le tromper, ayant connu qu'il était savant et humain. Je lui dis mon histoire, et comment j'avais vu, par hasard, l'assassinat du colporteur.»

      – C'était donc un colporteur? dit le marquis.

      – Ou un gentilhomme déguisé, répondit Mercédès; car sa femme avait, sous sa pauvre cape, les vêtements d'une dame, et lui-même, quand on le dépouilla pour l'ensevelir, fut trouvé en chemise fine et en chausses de soie sous ses habits grossiers. Il avait les mains blanches, et on trouva aussi sur lui un cachet où il y avait des armoiries.

      – Montrez-moi ce cachet! s'écria Bois-Doré fort ému.

      La Morisque secoua la tête et dit:

      – Je ne l'ai pas.

      – Cette femme se méfie de nous, reprit le marquis s'adressant à Lucilio, et pourtant cette histoire m'intéresse plus qu'elle ne croit! Qui sait si…? Voyons, mon grand ami, tâchez, au moins, de lui faire dire à quelle époque précisément est arrivée l'aventure qu'elle nous raconte.

      Lucilio fit signe au marquis d'interroger l'enfant, qui répondit sans hésiter:

      – Je suis né une heure après la mort de mon père, une heure avant celle du bon roi de France, Henri le quatrième. Voilà ce que M. l'abbé Anjorrant, qui a pris soin de moi, m'a appris, en me recommandant de ne jamais l'oublier, et ce que ma mère Mercédès ne me défend pas de vous dire, à condition que l'Espagnol ne le saura pas.

      – Pourquoi? dit Adamas.

      – Je ne sais, répondit Mario.

      – Alors, prie ta mère de continuer son histoire, dit M. de Bois-Doré, et comptez que nous vous en garderons le secret, comme nous l'avons promis.

      La Morisque reprit ainsi son récit:

      – Le bon prêtre s'étant fait donner une chèvre pour nourrir l'enfant, nous emmena en me disant:

      » – Nous parlerons religion plus tard. Vous êtes malheureuse, et je vous dois la pitié.

      »Il demeurait assez loin de là, dans la cœur de la montagne. Il nous mit dans une petite cabane faite de pierres de marbre et couverte d'autres grandes pierres noires toutes plates, et il n'y avait dans cette maison que de l'herbe sèche. Ce saint n'avait rien de mieux à nous donner que l'abri et la parole de Dieu. Il demeurait dans une maison qui n'était guère plus riche que le chalet où nous étions.

      »Mais je ne fus pas là huit jours sans que l'enfant fût propre, bien soigné et la maison bien close. Les bergers et les paysans ne me rebutaient pas, tant leur prêtre leur avait enseigné la douceur et la pitié. Moi, je leur enseignai vite, pour le soin de leurs troupeaux et pour la culture de leurs terres, des choses qu'ils ne savaient pas et que savent tous les Morisques cultivateurs. Ils m'écoutèrent, et, me trouvant utile, ils ne me laissèrent plus manquer de rien.

      »J'aurais été bien heureuse de rencontrer cet homme de paix et ce pays de pardon, si j'avais pu oublier mon pauvre père, la maison où j'étais née, mes parents et mes amis que je ne devais plus revoir; mais je me mis à tant aimer ce pauvre orphelin, que peu à peu je me consolai de tout.

      »Le prêtre l'éleva et lui enseigna le français et l'espagnol, tandis que je lui apprenais ma langue, afin d'avoir quelqu'un au monde avec qui je pusse la parler; et pourtant, ne croyez pas qu'en lui apprenant des prières arabes, je l'aie détourné de la religion que le prêtre lui enseignait.

      »Ne croyez pas que je repousse votre Dieu. Non, non! Quand je vis cet homme si vrai, si miséricordieux, si savant et si chaste, qui me parlait si bien de son prophète Issa14 et des beaux préceptes de l'Engil15, qui ne disent pas de faire ce que le Coran nous défend, je pensai que la plus belle religion devait être celle qu'il pratiquait; et, comme je n'avais pas reçu le baptême, malgré l'aspersion des prêtres espagnols (m'étant garantie avec mes mains pour qu'aucune goutte de l'eau chrétienne ne tombât sur ma tête), je consentis à être de nouveau baptisée par ce vertueux, et je jurai à Allah de ne plus jamais renier dans mon cœur le culte d'Issa et de Paraclet.

      Cette naïve déclaration fit beaucoup de plaisir au marquis, lequel, malgré ses nouvelles notions de philosophie, n'était, pas plus qu'Adamas, partisan de l'idolâtrie païenne attribuée aux Mores d'Espagne.

      – Ainsi, dit-il en caressant la tête brune de Mario, nous n'avons point affaire ici à des diables, mais à des êtres de notre espèce. Numes célestes! j'en suis aise, car cette pauvre femme m'intéresse et cet orphelin me touche le cœur. Ainsi donc, mon bel ami Mario, tu as été élevé par un bon et savant curé des Pyrénées! et tu es toi-même un petit savant! Je ne pourrai pas te parler arabe; mais, si ta mère veut te donner à moi, je jure de te faire élever en gentilhomme.

      Mario ne savait point ce que c'était que la gentilhommerie.

      Certes, il était prodigieusement instruit pour son âge, pour le temps et le milieu où il avait été élevé; mais, à tous autres égards que la religion, la morale et les langues, c'était un vrai petit sauvage, ne se faisant aucune idée de la société où le marquis l'invitait à entrer.

      Il ne vit dans sa proposition que des rubans, des bonbons, des petits chiens et de belles chambres toutes pleines de ces bibelots qu'il prenait pour des jouets. Ses yeux brillèrent de naïve convoitise, et Bois-Doré, aussi naïf que lui dans son genre, s'écria:

      – Vive Dieu! maître Jovelin, cet enfant est né quelque chose. – Avez-vous vu comme ses yeux ont relui à ce mot de gentilhomme? – Voyons, Mario, demande à Mercédès de rester avec nous.

      – Et moi aussi! dit l'enfant, qui crut naturellement que l'offre s'adressait d'abord à sa mère adoptive.

      – Et elle aussi? répondit Bois-Doré; je sais bien que vous séparer serait fort inhumain.

      Mario, transporté, se hâta de dire à la Morisque, en arabe, et en la couvrant de caresses:

      – Mère! nous ne marcherons plus dans les chemins. Ce beau seigneur nous garde ici dans sa belle maison!

      Mercédès remercia en soupirant.

      – L'enfant n'est pas à moi, dit-elle; il est à Dieu, qui me l'a confié. Il faut que je cherche et que je retrouve sa famille. Si sa famille n'existe plus ou ne veut pas de lui, je reviendrai ici, et, à genoux, je vous dirai: «Prenez-le et chassez-moi si vous voulez. J'aime mieux pleurer seule à la porte de la maison où il sera heureux, que de le faire encore mendier sur les chemins.»

      – Cette femme a une belle âme, dit le marquis. Eh bien, nous l'aiderons, de notre argent et de notre crédit, à retrouver ceux qu'elle cherche; mais que ne nous apprend-elle ce qu'elle en sait? Nous l'aiderons peut-être tout de suite, d'après le nom de famille de l'enfant.

      – Ce nom, je ne le sais pas, répondit la Morisque.

      – Alors, qu'espérait-elle en quittant ses montagnes?

      – Dis-leur ce qu'ils veulent savoir, dit en arabe Mercédès à Mario, mais rien de ce qu'ils doivent encore ignorer.

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<p>14</p>

Jésus.

<p>15</p>

L'Évangile.