Histoire de ma Vie, Livre 1 (Vol. 1 – 4). Жорж Санд

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Histoire de ma Vie, Livre 1 (Vol. 1 – 4) - Жорж Санд


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au bout de quelques années. L'écrivain a quelquefois aussi envisagé l'avenir. Ses prédictions se trouvent déjà réalisées ou démenties quand son œuvre paraît. Je n'ai rien voulu changer aux réflexions et aux prévisions qui me vinrent durant ces derniers temps. Je crois qu'elles font déjà partie de mon histoire et de celle de tous. Je me bornerai à mettre leur date en note.

* * *

      Je continuerai l'histoire de mon père, puisqu'il est, sans jeu de mots, le véritable auteur de l'histoire de ma vie. Ce père que j'ai à peine connu, brillante apparition, ce jeune homme artiste et guerrier, est resté vivant dans les élans de mon ame, dans les fatalités de mon organisation, dans les traits de mon visage. Mon père est un reflet, affaibli sans doute mais assez complet, du sien. Le milieu dans lequel j'ai vécu a amené les modifications. Mes défauts ne sont donc pas son ouvrage absolument, et mes qualités sont un des instincts qu'il m'a transmis. Ma vie extérieure a autant différé de la sienne que l'époque où elle s'est développée, mais eussé-je été garçon et eussé-je vécu vingt-cinq ans plus tôt, je sais et je sens que j'eusse agi et senti en toutes choses comme mon père.

      Quels étaient, en 97 et en 98, les projets de ma grand'mère pour l'avenir de son fils? Je crois qu'elle n'en avait pas d'arrêtés et qu'il en était ainsi pour tous les jeunes gens d'une certaine classe. Toutes les carrières ouvertes à la faveur sous Louis XVI l'étaient sous Barras à l'intrigue. Il n'y avait rien de changé en cela que les personnes, et mon père n'avait réellement qu'à choisir sa place entre les camps et le coin du feu. Son choix, à lui, n'eût pas été douteux: mais depuis 93 il s'était fait chez ma grand'mère une réaction assez concevable contre les actes et les personnages de la Révolution. Chose très remarquable, pourtant, sa foi aux idées philosophiques qui avaient produit la Révolution n'avait pas été ébranlée, et en 97, elle écrivait à M. Heckel une lettre excellente que j'ai retrouvée. La voici:

DE MADAME DUPIN A M. HECKEL

      «Vous détestez Voltaire et les philosophes, vous croyez qu'ils sont cause des maux qui nous accablent. Mais toutes les révolutions qui ont désolé le monde ont-elles donc été suscitées par des idées hardies? L'ambition, la vengeance, la fureur des conquêtes, le dogme de l'intolérance, ont bouleversé les empires bien plus souvent que l'amour de la liberté et le culte de la raison. Sous un roi tel que Louis XV, toutes ces idées ont pu vivre et n'ont rien pu bouleverser. Sous un roi tel qu'Henri IV, la fermentation de notre Révolution n'eût pas amené les excès et les délires que nous avons vus, et que j'impute surtout à la faiblesse, à l'incapacité, au manque de droiture de Louis XVI. Ce roi dévot a offert à Dieu ses souffrances, et son étroite résignation n'a sauvé ni ses partisans, ni la France, ni lui-même. Frédéric et Catharine ont maintenu leur pouvoir, et vous les admirez, monsieur; mais que dites-vous de leur religion? Ils ont été les protecteurs et les prôneurs de la philosophie, et il n'y a point eu chez eux de révolution. N'attribuons donc pas aux idées nouvelles le malheur de nos temps et la chute de la monarchie en France, car on pourrait dire: «Le souverain qui les a rejetées est tombé, et ceux qui les ont soutenues sont restés debout.» Ne confondons point l'irréligion avec la philosophie. On a profité de l'athéïsme pour exciter les fureurs du peuple comme au temps de la Ligue on lui faisait commettre les mêmes horreurs pour défendre le dogme. Tout sert de prétexte au déchaînement des mauvaises passions. La Saint-Barthélemy ressemble assez aux massacres de septembre, les philosophes sont également innocens de ces deux crimes contre l'humanité.»

      Mon père avait toujours rêvé la carrière des armes. On l'a vu, durant son exil, étudier la bataille de Malplaquet dans sa petite chambre de Passy, dans la solitude de ces journées si longues et si accablantes pour un enfant de seize ans: mais sa mère aurait voulu, pour seconder ses inclinations, le retour d'une monarchie ou l'apaisement d'une république modérée. Quand il la trouvait contraire à ses secrets désirs, comme il ne concevait pas alors la pensée d'agir sans son adhésion complète, il parlait d'être artiste, de composer de la musique, de faire représenter des opéras ou exécuter des symphonies. On retrouvera ce désir marchant de compagnie avec son ardeur militaire, de même que son violon fit souvent campagne avec son sabre.

      En 1798, se présente dans l'histoire de mon père une circonstance futile en apparence, importante en réalité, comme toutes ces vives impressions de jeunesse qui réagissent sur notre vie entière, et qui même parfois disposent de nous à notre insu.

      Il s'était lié avec la société de la ville voisine, et je dois dire que cette petite ville de La Châtre, malgré les travers et les défauts propres à la province, a toujours été remarquable pour la quantité de personnes très intelligentes et très instruites qui se sont produites dans sa population, tant bourgeoise que prolétaire. En masse on y est pourtant fort bête et fort méchant, parce qu'on y est soumis à ces préjugés, à ces intérêts et à ces vanités qui règnent partout, mais qui règnent plus naïvement et plus ouvertement dans les petites localités que dans les grandes. La bourgeoisie est aisée sans être opulente, elle n'a point de lutte à soutenir contre une noblesse arrogante, et rarement contre un prolétariat nécessiteux. Elle s'y développe donc dans un milieu fort favorable pour l'intelligence, quoique trop calme pour le cœur et trop froid pour l'imagination.

      En 1798, mon père, lié avec une trentaine de jeunes gens des deux sexes, et lié intimement avec plusieurs, joua la comédie avec eux. C'est une excellente étude que ce passe-temps-là, et je dirai ailleurs tout ce que j'y vois d'utile et de sérieux pour le développement intellectuel de la jeunesse. Il est vrai que les sociétés d'amateurs sont, comme les troupes d'acteurs de profession, divisées la plupart du temps par des prétentions ridicules et des rivalités mesquines. C'est la faute des individus et non celle de l'art. Et comme, selon moi, le théâtre est l'art qui résume tous les autres, il n'est point de plus intéressante occupation que celle-là pour les loisirs d'une société d'amis. Il faudrait deux choses pour en faire un plaisir idéal: une bienveillance véritable qui imposerait silence à toute vanité jalouse, un véritable sentiment de l'art qui rendrait ces tentatives heureuses et instructives.

      Il est à croire que ces deux conditions se trouvèrent réunies à La Châtre à l'époque que je raconte, car les essais réussirent fort bien, et les acteurs improvisés restèrent amis. La pièce qui eut le plus de succès, et qui fit briller chez mon père un talent de comédien spontané et irrésistible, fut un drame détestable, en grande vogue alors, mais dont la lecture m'a beaucoup frappée, comme un échantillon de couleur historique: Robert, chef de brigands.

      Ce drame, imité de l'allemand, n'est qu'une misérable imitation des Brigands de Schiller, et pourtant cette imitation a de l'intérêt et de l'importance, car elle implique toute une doctrine. Elle fut représentée pour la première fois à Paris en 1792; c'est le système jacobin dans son essence, Robert est un idéal du chef de la montagne, et j'engage mon lecteur à le relire comme un monument très curieux de l'esprit du temps.

      Les Brigands de Schiller sont et signifient toute autre chose. C'est un grand et noble ouvrage, rempli de défauts exubérans comme la jeunesse car c'est l'œuvre d'un enfant de vingt et un ans, comme chacun sait; mais si c'est un chaos et un délire, c'est aussi une fiction d'une haute portée et d'un sens profond.

      Ces représentations théâtrales remplirent les loisirs de la société de La Châtre durant quelques mois, et échauffèrent l'imagination de mon père plus que sa mère ne pouvait le prévoir. Bientôt l'action scénique n'allait plus le satisfaire, et il allait échanger son sabre de bois doré pour un sabre à la hussarde.

      Pour jouer Robert on enrégimenta des comparses, et les brigands furent des Hongrois-Croates, qui étaient en France comme prisonniers de guerre et avaient été cantonnés à La Châtre. On leur faisait simuler un combat, on leur fit comprendre qu'après la bataille, ils devaient paraître blessés; ils se concertèrent si bien et ils mirent tant de conscience, qu'à la représentation on les vit sortir de la mêlée boitant tous du même pied.

      Ainsi mon père, chef de brigands sur les planches d'un théâtre, où les moines avaient fait chère lie, et où la Montagne avait tenu ses séances,


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