Recherches nouvelles sur l'histoire ancienne, tome I. Constantin-François Volney

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Recherches nouvelles sur l'histoire ancienne, tome I - Constantin-François Volney


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égal à Moïse ne s'était élevé en Israël:» un tel prononcé a de la dignité et de la modestie dans la bouche d'un grand-prêtre successeur de Moïse.

      On conçoit aussi comment Helquiah a pu employer, au temps d'Abraham, les mots Iahouh et Dan, qui ne furent usités que long-temps après; comment il a fait des notes explicatives sur le lit d'Og, roi de Basan, sur les rois qui régnèrent en Edom, avant qu'il y eût des rois en Israël, comment il a cité le livre des Guerres du Seigneur, celui de Moshalim, ou traditions, etc., et employé le terme de nabia pour prophète, au lieu de raï, voyant, qui fut usité jusqu'après David; enfin, comment il a pu dire: «de la terre de Sennar est sorti l'Assyrien qui a bâti Ninive,» événement qui date de l'an 1218, ainsi que nous le prouverons. Cette remarque avait alors de l'intérêt pour les Juifs, à qui 150 ans de guerres avaient fait connaître les Assyriens, tandis qu'auparavant, soit sous Moïse, soit sous David, ils n'avaient aucun rapport avec ce peuple lointain, et ne le connaissaient que vaguement.

      Le mérite de cette date tardive du Pentateuque ne se borne pas là. Elle a encore l'avantage d'expliquer plusieurs énigmes de la Genèse et du livre des Nombres, qui sont restées inintelligibles jusqu'à ce jour. Par explique, elle explique les bénédictions supposées que Jacob mourant est censé donner à ses enfants..... Nous disons supposées, parce qu'il est inconcevable qu'il y ait eu là un sténographe pour les recueillir,58 et qu'en les examinant avec critique, l'on y découvre un résumé allégorique de l'historique de chaque tribu, présenté, selon l'usage oriental, sous une forme prophétique.

      «Zabulon habitera aux bords de la mer, près des ports, appuyé contre Sidon: Issachar, âne robuste, voyant que sa terre est bonne, baissera59 l'épaule sous le fardeau, et paiera le tribut. Le pain d'Aser est excellent… Je diviserai Siméon et Lévi: je le disperserai en Israël (les lévites n'eurent point de lot spécial…); le sceptre ne sera point ôté de Juda, ni le trône d'entre ses pieds; jusqu'à ce que vienne celui à qui appartient le sceptre et l'obéissance…» Remarquez qu'au temps de Josiah le sceptre avait été ôté d'Israël, c'est-à-dire des tribus, et qu'il restait en Juda, mais avec l'incertitude d'y persister s'il venait un puissant à qui appartînt l'obéissance.

      Un second passage énigmatique qui s'explique également bien, est la prophétie de Nohé à ses trois (prétendus) enfants: «Maudit soit Kanaan60; il sera l'esclave des serviteurs de ses frères.» Kanaan, comme on sait, est le peuple phénicien. Ici, les serviteurs de ses frères sont les Hébreux, devenus tributaires des Assyriens, issus de Sem, et même des Mèdes et des Scythes (en 621), issus de Iaphet.

      «Béni soit le Dieu de Sem, Kanaan sera son esclave.... Dieu dilatera Iaphet61 qui habitera les tentes de Sem...., et Kanaan sera son esclave.»

      On n'a jamais compris ce verset; mais dans la géographie hébraïque, Iaphet désigne les races scythiques qui parlent l'idiome sanscrit. Sem désigne les nations arabiques-chaldéennes, et la prophétie eut son accomplissement lorsque les Mèdes, race de Iaphet, eurent envahi Ninive, c'est-à-dire, l'habitation guerrière des Assyriens, race de Sem. Cet événement avait eu lieu 100 ans avant Helquiah, au temps de Sardanapale et d'Arbak; mais l'invasion des Scythes, qui, en 625, s'emparèrent de tous les pays sémitiques, nous paraît être l'application la plus directe et l'objet le plus immédiat de l'oracle: cet article semble nous révéler positivement le secret du rédacteur Helqiah.

      Enfin Kanaan, c'est-à-dire les peuples phéniciens se trouvaient alors exactement les esclaves et les tributaires des peuples sémitiques et iaphétiques, puisqu'ils payaient le tribut aux Assyriens et aux Scythes. Aucune explication n'avait, jusqu'à ce jour, rempli toutes les conditions de celle-ci. En cette circonstance nous avons un exemple remarquable de l'observation critique de M. John Bentley, qui, à l'occasion de prophéties semblables insérées dans les livres indiens, soit Pouranas, soit Shastras, nous avertit que, «de l'aveu des plus savants et des plus honnêtes brahmes62, les écrivains Indous (et en général les écrivains asiatiques), à raison de la corruption des mœurs du siècle, ont dès long-temps imaginé de se servir du respect porté aux anciens personnages, et de la croyance établie qu'ils avaient le don de prévoir l'avenir, pour leur attribuer tantôt des leçons de morale, tantôt des avis et prédictions de choses futures que l'on voyait ensuite arriver.» Or, comme les Indous modernes sont en tout point une image vivante de l'esprit et du caractère, des usages et du régime politique de l'ancienne Asie, qu'il ont surtout une grande ressemblance avec les Égyptiens, les Chaldéens et les Hébreux63; l'on conçoit que le grand-prêtre a pu imiter une pratique commune à tout l'ancien monde, surtout lorsque personne ne pouvait le convaincre de supposition.

      Une troisième énigme plus obscure, plus compliquée que les précédentes, se résout encore très-bien par la rédaction du Pentateuque à la date de l'an 621 avant J.-C.; c'est l'oracle rendu par le prophète Balaam, que le roi des Moabites appela pour maudire l'armée des Hébreux64; ce morceau est d'autant plus bizarre, que l'on veut expliquer les mystères les plus sacrés par les prédictions d'un devin païen que Moïse fit tuer (Voy. Josuè, chapitre 13, verset 22, et Numeri, chapitre 31, verset 8). Laissons à part son dialogue avec son ânesse, qui est raconté sérieusement, comme une chose crue par la cour du roi Moab et par les Hébreux. Balaam après bien des difficultés, et après des cérémonies de divination, curieuses pour le temps, au lieu de maudire les Hébreux, prononce sur eux des bénédictions.

      Or les dernières de ces bénédictions composent les versets suivants: «65Que les tentes d'Israël sont belles! Son roi l'emportera (ou prédominera) sur Agag; et son royaume s'élèvera (de plus en plus.)

      «Une étoile sortira de Jacob, un sceptre s'élèvera d'Israël; il démolira les pierres angulaires66 de Moab; il détruira tous les enfants de Seth. L'Idumée sera possédée par lui.—Le mont Séir sera possédé par ses ennemis, et Israël montrera sa force.»

      Jusqu'ici le style oraculaire est intelligible et présente des faits liés entre eux. Le premier roi d'Israël vainquit Agag, roi des Amalékites, et la royauté naissante des Hébreux fut affermie… David succéda, et se montra comme une étoile fortunée; il écrasa dans une bataille toute la nation moabite, dont il fit tuer, après l'action, tous les chefs, qui sont les pierres angulaires, les soutiens d'une nation, et tous les mâles qui pouvaient porter les armes: il fut le premier qui subjugua Séir (l'Idumée); jamais les Hébreux ne furent plus forts. Le verset qui suit se comprend encore.

      «Amaleq est le commencement (c'est-à-dire le plus ancien, ou le chef des peuples), sa fin sera la perte.» David réduisit aussi ce peuple aux abois: ici nous entrons dans l'obscurité.

      «Pour toi! ô peuple Qinéen, ton habitation (montueuse) est très-forte; tu as placé ton nid sur un rocher (destiné) à te brûler du soleil, ô Qinéen! jusqu'à ce que l'Assyrien (Assur) t'emmène captif. Malheur à qui verra ces choses! des vaisseaux viendront de Ketim; ils dévasteront l'Assyrien, ils dévasteront l'Hébreu, et lui aussi sera détruit67

      Le petit peuple Qinéen, ou la tribu de Qin, était parent des Juifs, comme étant issu d'une famille madianite, alliée de Moïse. Ce peuple vivait troglodyte dans des rochers arides au sud-est de la mer Morte, dans le district des Amalékites68: on ignore le temps où il fut conquis; mais puisque ce fut par les Assyriens, ce dut être par Sennacherib ou par Téglatphalasar, qui enleva les tribus d'Israël fixées à l'est du Jourdain et contiguës au pays d'Amaleq et de Qin.

      Quant aux vaisseaux venant de Ketim, la


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<p>58</p>

Genèse, ch. 49.

<p>59</p>

Les interprètes traduisent ce mot au passé, mais il n'en porte pas plus le signe dans l'hébreu que les autres traduits au futur. En général ils font arbitrairement l'échange de ces deux temps.

<p>60</p>

Genèse, chap. 9.

<p>61</p>

C'est un jeu de mots, car Iaphet signifie dilaté, vaste, comme le continent des races scythiques. Ham, le pays chaud, brûlé.

<p>62</p>

Asiatick researches, tome IV.

<p>63</p>

Mégasthènes fait une remarque expresse de cette ressemblance entre les Indiens et les Juifs pour les opinions théologiques (Eusèbe nous dit, Præpar. Evang., lib. IX, cap. 6), Megasthenis..... clarissimus hic locus est libro suo de Indicis tertio: «Quidquid ab antiquis de naturâ dictum est, eorum etiam qui extra Græciam philosophantur, ut brachmanum apud Indos, et Judæorum in Syriâ sermone celebratur». Un passage de Josèphe, dans son livre Ier contre Appion, est encore remarquable, § XXII: «Cléarque, disciple d'Aristote, en son livre du Sommeil, parlant d'Hyperochides, philosophe juif, observe que les Juifs tirent leur origine des Indiens. Chez les Indiens, dit-il, les philosophes se nomment Kalani, et chez les Syriens, Judæi, à raison du nom de la contrée qu'ils habitent».

<p>64</p>

Le livre des Nombres, chap. 22, dit que Balaam vint du pays des Ammonites. Le livre du Deutéronome dit, chap. 23, v. 4, qu'il vint de la Mésopotamie (Aramnahrim).

<p>65</p>

Numeri, chap. 24, v. 5 à 7 et 17 à 20.

<p>66</p>

Voilà encore une phrase de Jérémie.

<p>67</p>

Dans la Polyglotte de Walton, pas une des sept traductions grecque, syriaque, arabe, vulgate, chaldaïque, etc., ne ressemble à l'autre; ce qui démontre l'incertitude des auteurs: nous avons suivi le sens le plus littéral et le plus plausible.

<p>68</p>

Sam., lib. I, cap. 15, v. 6.